L’impuissance est-elle sous le code civil une cause suffisante de la nullité d’un mariage ou les mésaventures de François Fressange et Marie Gandeboeuf... compte rendu ci-après :
Ces questions de haut intérêt étaient soumises à l’examen de la cour ; elles ont été l’objet de discussions très approfondies, et de recherches puisées dans l’ancienne et la nouvelle législation. Les faits historiques et les considérations ont été invoquées à l’appui de chaque système ; il suffira pour reconnaître la juste et saine application des principes faites par le jugement de première instance, confirmé par l’arrêt de la cour , d’indiquer seulement les actes principaux et les circonstances essentielles de la cause.
François Fressange s’est marié le 9 mai 1826 à Marie Gandeboeuf, de l’état de cultivateur et habitant la même commune, celle de Torbesse ; l’acte d’état civil est rapporté. Les deux époux étaient alors âgés de quarante cinq ans ; ils avaient vécu presque toujours ensemble, au milieu des travaux de la campagne, et aucun soupçon ni de doute ne s’était élevé sur le véritable sexe de Marie Gandeboeuf.
Mariage Tortebesse 1811-1830 page 42 :
François Fressange s’est réuni à son épouse dans la nuit qui suivi les fêtes de la noce, et n’aurait pu à ce qu’il paraît consommer le mariage ; un vice de conformation, s’y serait formellement opposé. Marie Gandeboeuf présentait plutôt les signes de la virilité , que ceux du sexe féminin.
Le mari après un second essai, tenté avec violence, et malgré les efforts de sa compagne, et n’ayant plus d’incertitudes sur l’impossibilité absolue de remplir le but de l’union qu’il venait de contracter, quitta la maison conjugale et n’a plus reparu dans la commune.
Pendant cette absence, Marie Gandeboeuf s’est volontairement soumise à l’examen d’un médecin qui aurait, dit-on, reconnu et constaté l’obstacle et l’impossibilité d’arriver à la consommation du mariage. Mais le rapport de ce médecin n’a pas été produit.
François Fressange a présenté requête le 18 septembre 1826, à Monsieur le président du tribunal civil de Clermont, où après avoir rappelé tous les faits énoncés, il demande la nullité de son mariage, et conclut subsidiairement à la visite de son épouse par un docteur en médecine.
Un jugement a été rendu, après délibéré, le 2 Janvier 1827, conformément aux réquisitions du ministère public, seul contradicteur en première instance, comme en la cour. Voici le texte entier de ce jugement vraiment important en la matière.
« Attendu que, quoique la femme Fressange ne se présente pas, ni avoué pour elle, il n’en n’est pas moins le devoir de la justice, de vérifier si la demande est juste et d’ailleurs dans celle sur laquelle il s’agit de statuer, le ministère public est essentiellement partie, soit pour l’intérêt de la société , comme gardien de mœurs , soit pour le maintien des lois.
« Au fond : Attendu qu’à la vérité l’ancienne jurisprudence admettait une multitude d’empêchements au mariage et qui en produisait la nullité, au nombre desquelles se trouvait l’erreur sur la personne, et l’impuissance où le défaut de conformité de l’un des époux ;
« Mais qu’il en était autrement dans la nouvelle législation ; qu’elle avait bien classé au nombre des nullités de mariage, l’erreur sur la personne, mais qu’on ne trouverait nulle part que l’action en nullité pour cause d’impuissance, ou défaut de conformation, eu été conservée.
« Qu’on examine en effet, bien attentivement l’article 5 du divorce du code civil, elle n’existe pas parmi celles qui autoriseraient le divorce pour cause déterminée ;
« Qu’on passe ensuite au titre 6 du mariage, on y trouvera bien celle de l’erreur de la personne, mais pas un mot qui ait trait du vice de conformation des époux.
« Que si le législateur qui connaissait bien l’ancienne jurisprudence, eut voulu l’admettre comme moyen de nullité, il l’aurait classée parmi les autres et son silence à cet égard est une preuve de proscription : inclusio unius, est exclusio alterius :
« qu’ainsi la loi n’admette pas cette action, le tribunal ne pourrait se permettre un abus, et sans un excès de pouvoir sujet à réformation ;
« que vainement le demandeur augmenterait des expressions de l’article 180 qui admet l’erreur de la personne parmi les nullités admises pour les mariages, parce que l’erreur de la personne n’a pour objet que l’identité de l’individu, et ne s’entend pas à ses qualités morales et physiques.
« que si , voulant épouser tel individu, on lui en faisait épouser un autre par erreur ou supercherie, le mariage est nul. Voila ce que la loi a entendu, et c’est l’explication qu’en ont donnée les auteurs anciens et modernes, notamment d’Héricourt dans ses lois civiles et dans ses lois ecclésiastiques ;
« Que telle a été l’explication donnée par le célèbre Portalis, orateur du gouvernement, en présentant au corps législatif le titre 7 du code.
« L’erreur, dit-il, en matière de mariage ne s’entend pas d’une simple erreur sur les qualités, ni sur la fortune ou la condition de la personne à laquelle on s’unit, mais d’une erreur qui aurait pour objet la personne même ; mon intention était d’épouser une telle personne, on me trompe, ou je suis trompé par un concours particulier de circonstances, j’en épouse une autre qui lui est substituée à mon insu ou contre mon gré, le mariage est nul.
« Que le demandeur ne se plaignant pas qu’on lui ait fait épouser toute autre personne que celle qu’il avait en vue, et avec laquelle il avait contracté, il ne pouvait argumenter de cet article ;
« A-t-il trouvé du moins, dans la suite des articles de ce titre, quelque autre qui ai pu légitimer sa demande aucun d’eux n’a mis, au nombre des nullités du mariage, le défaut de conformation ou d’impuissance car c’est unum et idem ;
« Cependant la matière était assez grave, assez importante pour la société, pour que le législateur s ‘en expliquât, et que ne l’ayant pas fait, son silence était, comme on l’a dit, une preuve qu’il n’avait pas voulu l’admettre, et qu’il avait voulu faire cesser un scandale qui durait depuis trop longtemps ;
« Que ce n’était pas même du silence de la loi, qui seule a le droit de prononcer des nullités,qu’on peut tirer la conséquence que le législateur n’a pas voulu admettre l’impuissance au nombre des causes emportant la nullité des mariages ; son intention de la repousser est écrite dans la discussion qui eut lieu, soit au tribunal, soit au conseil d’état, sur l’article 3,3, qui lui même semble l’écarter, puisqu’il porte que le mari ne peut désavouer un enfant, en alléguant son impuissance naturelle ; que, lors de cette discussion plusieurs des membres, chargés de l’examen de toutes les parties du code , s’expliquèrent de la manière la plus formelle sur le rejet de cette cause ;
« Qu’on lisait dans le procès verbal du conseil d’état sur la discussion du titre de la paternité et de la filiation, ces expressions de Tronchet, l’un des plus grands jurisconsulte chargés de cette mission. « On n’a pas fait de l’impuissance l’objet d’un action de nullité, et le silence de la loi est fondé en raison ; car il n’est pas moyen de reconnaître avec certitude l’impuissance. » En général il était dans l’esprit du projet d’anéantir cette clause sous tous ses rapports.
« Cela est positif mais ce n’est pas tout, voici ce qu’on lit dans les observations du tribunal, sur ce même article 3,3 ; « On s’arrête ensuite aux mots : impuissance naturelle. On pense qu’il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, d’obtenir à cet égard des résultats certains, l’art est si souvent trompé par la nature, il se perd dans l’obscurité de ses impénétrables mystères, il prend pour vice de conformation ce qui n’est que différent de forme ;
« Il s ‘égare au milieu de ses contemplations, parce qu’il veut saisir par les règles ce qui échappe à toutes les règles, enfin rien de plus incertain que l’impuissance naturelle,rien de plus scandaleux que les moyens pour y parvenir. D’après ces observations, un membre propose et la section adopte la suppression des mots : impuissance naturelle.
« Qu’on lisait enfin dans ce procès verbal sur l’art. 146, qui porte qu’il n’y avait pas de mariage lorsqu’il n’y avait pas de consentement, et s’agissant de savoir si l’on l’interdisait aux sourds-muets, que Foucroy dit qu’il y aurait plus de motifs de déclarer incapables de mariage ceux qui sont atteints de maladies héréditaires ou vices de conformation, expressions qui prouvent évidemment que l’action relative à ce vice de conformation n ‘avait pas été admise ;
à que vraiment encore le demandeur opposait l’opinion de Merlin, qui la fonde sur un arrêt rendu en cour de Trèves, que cet arrêt ni cette opinion ne peuvent créer une nullité que la loi a repoussé, et qu’il était d’autant plus étonnant que cet auteur était d’avis d’admettre cette action, qu’il venait de dire, après avoir rapporté les expressions de Tronchet :
« Qu’il résultait clairement de là que le silence du code civil sur l’action en nullité de mariage, pour cause d’impuissance, était exclusif de cette action. »
« Que s’il cherche ensuite à établir que cela n’était vrai qu’en général, et qu’il y avait des circonstances ou l’on devrait l’admettre, ce n’était que par des arguties qui ne tendaient qu’à éluder l’application de la loi ;
« Qu’au surplus, son opinion était combattue par d’autres excellents auteurs, et par des arrêts qui ont jugé le contraire, et qu’il avait été d’autant plus dans l’intention des législateurs de faire cesser l’exercice de cette action à cet égard, et que le code civil fut pleinement exécuté, que par une loi postérieure, celle du 3 Ventôse an XII, ils ont abrogé toutes les lois contraires ;
« Que si, du point de droit, on passait aux considérations, l’on serait forcé de repousser une pareille action, 1° pour le scandale qu’elle produirai, et que c’était ce même scandale qui l’avait fait repousser ; 2° par la manière de constater le fait d’impuissance ou vice de conformation ;
« Qu’il faudrait ordonner une visite de la femme , que le tribunal n’aurait aucun pouvoir de faire exécuter si elle s’y refusait ; et que dans le cas de refus, quel parti la justice aurait à prendre ? Serait-ce de tenir le vice de conformation reproché par le demandeur à sa femme pour constant, et d’annuler le mariage ?
« C’est probablement la conséquence que le mari en tirerait : mais, dans ce cas, il serait évident aux yeux de la justice, que les époux étaient d’accord pour faire prononcer la nullité du contrat le plus sacré, ce serait faire revivre comme l’a observé le ministère public, le divorce par consentement mutuel, le pire de tous.
« Par tous ces motifs le tribunal donne défaut contre la défaillante, et faisant droit sur les conclusions du ministère public, déboute François Fressange de sa demande en nullité, et le condamne aux dépens. »
Sur l’appel de cette décision, interjeté par exploit du 30 avril 1827, après de longs débats, et délibéré en la chambre du conseil , la cour s ‘est déterminée par les motifs exprimés en ce jugement, et a condamné l’appelant en l’amende et aux dépens.