"Légère Gandeboeuf absente et dans l’incapacité manifester son consentement comme se trouvant actuellement détenue à la maison centrale de Montpellier, département de l’Hérault, par suite d’une condamnation à 20 ans de travaux forcés suivant l’arrêt de la cour d’assises du Puy-de Dôme daté du 26 novembre 1895".
Cette mention sur l’acte de mariage de sa fille m’a intriguée. D’abord sur la nature de la condamnation à 20 ans de travaux forcés. J’ai toujours cru que les travaux forcés étaient "réservés" aux hommes. Le "crime" devait être grave pour qu’une telle peine soit prononcée. Ensuite pourquoi l’incarcérer à Montpellier puisqu’elle a été jugée par le tribunal de Clermont-Ferrand ?
J’ai cherché à savoir pourquoi cette femme a été condamnée.
Pourquoi ensuite faire figurer une telle mention sur l’acte de mariage de sa fille ?
D’autant que pour le mariage de son fils Marien avec Jeanne Eragne le 28 novembre 1904 à La Tour d’Auvergne, il est mentionné que Légère Gandeboeuf "ménagère demeurant à Montpellier âgée de 51 ans est non présente mais consentante".
La mention du "crime" a été faite dans la commune dont est originaire Légère Gandeboeuf qui est également sa commune de résidence, et où peut-être le " crime"a-t-il été commis ?
Voici le résultat de mes recherches :
Extrait du Moniteur du Puy-de-Dôme du mercredi 27 novembre 1895 :
« Le crime de la Barette »
Cour d’assises du Puy-de-Dôme (elle siège à Riom) Présidence de M. le conseiller Verdier
Audience du 26 novembre (matin) Le crime de la Barette L’audience est ouverte à 9 heures, sous la présidence de M. le conseiller Verdier.
L’affaire sur laquelle le jury est aujourd’hui appelée à décider est des plus graves. Il s’agit, en effet, du crime de La Barette, dont le Moniteur du Puy-de-Dôme a publié en son temps tous les détails.
Les deux accusés sont :
- Gandeboeuf Légère, dite Marie, femme Vigier, né le 26 mars -1854 à Saint-Sauves.
Vigier Marien, dit Antoine, son fils, né le 1er août 1877, célibataire, cultivateur.
Tous deux sont domiciliés à La Barette, commune de Saint-Sauves.
- La femme Vigier, qui porte le traditionnel bonnet de bergère, est entièrement vêtue de noir. C’est une femme de taille moyenne, assez maigre, dont le visage anguleux est encadré de bandeaux dits « à la Vierge ». Les traits de la femme Vigier-Gandeboeuf sont réguliers ; la physionomie, qui a dû être belle, mais qui est peu sympathique est éclairée par deux yeux noirs qui brillent d’un éclat singulier.
L’accusé a une attitude très calme. Elle semble plutôt indifférente.
Quant au fils, le jeune Vigier, c’est un garçon de 18 ans, en paraissant 15 a peine. Il est rose et joufflu, semble très inquiet et pleure à chaudes larmes.
M. Delpy occupe le siège du ministère public.
M Sicard, du barreau de Clermont, est assis au banc de la défense.
L’acte d’accusation :
« Dans la nuit du 15 au 10 août dernier, le sieur Richard, Annet, cultivateur, âgé de 37 ans, quitta la Bourboule pour se rendre à Latour-d’Auvergne où il demeurait avec ses parents.
« Il rencontra en route deux individus qu’il ne connaissait point et qu’ils prétendirent s’appeler Vigier. Arrivés au lieu dit La Barette, commune de Saint-Sauves, devant l’habitation de la nommée Gandeboeuf, femme Vigier,ces deux individus quittèrent Richard.
« Presque au même instant, la femme Vigier apparut sur le seuil de sa porte un pistolet à la main et fit feu sur Richard qui tomba à la renverse. Grièvement blessé Richard néanmoins essaya de se relever pour s’enfuir ; mais la femme Vigier, dans un état de fureur indescriptible, se précipita sur lui et lui porta dans le bas-ventre un violent coup de baïonnette qui l’étendit de nouveau sur le sol.
« Une seconde fois, Richard tenta de s’échapper ; mais à ce moment survint le fils Vigier, qui, excité par sa mère et en proie comme elle à la plus grande colère, tira sur lui un coup de fusil qui l’atteignit. Bien que la victime ne donnât plus signe de vie, la mère et le fils Vigier s’acharnèrent encore sur le corps inanimé et le frappèrent avec la plus grande violence.
« Puis ils l’abandonnèrent sur le sol. « Dans le courant de la nuit Richard reprit connaissance et se traîna à quelque distance du lieu du crime, derrière une haie où il fut retrouvé dans la matinée du 16 août.
Malgré l’état lamentable dans lequel il se trouvait il eut encore la force de déposer devant le magistrat instructeur et succomba dans la journée du 18 août des suites de ses nombreuses blessures.
« Les deux accusés ont fait des aveux à peu près complets. Ils reconnaissent, l’un et l’autre, être les auteurs du meurtre de Richard qu’ils croyaient, être, l’un son mari, l’autre son père.
« la culpabilité des deux accusés n’en subsiste pas moins tout entière, et elle s’aggrave même, en ce qui concerne le fils, du fait de n’avoir pas reculé devant la pensée d’un parricide.
La préméditation ressort de toutes les circonstances relevées par l’information et des déclarations mêmes des inculpés.
« Les deux accusés n’ont encore subi aucune condamnation. Mais la moralité de la femme Vigier a fait l’objet de très mauvais renseignements. »
Nota : le journal retranscrit ici l’interrogatoire des accusés et les plaidoiries que je n’ai pas relatés.
Le verdict :
A 8 heures, M. le président déclare les débats terminés et le jury se rend dans sa salle de délibérations.
A 8 heures 1/2, le jury rentre rapportant un verdict de culpabilité, écartant la circonstance aggravante de préméditation , avec admission de circonstances atténuantes en ce qui touche la femme Vigier Gandeboeuf ; négatif en ce qui touche le jeune Antoine Vigier.
Antoine Vigier. acquitté, est mis en liberté immédiate.
La femme Vigier Gandeboeuf est condamnée à vingt ans de travaux forcés.
L’accusée éclate en sanglots.
L’audience est levée à 8 heures 3/4.
Voir les pages 2 et 3 :
https://www.bibliotheques-clermontmetropole.eu/overnia/view.php?id=/media-dam/CLERCO/lapresse/PDF/Le_Moniteur_1895_11_27.pdf