23 Janvier
7 h Appareillage de Abu Amara Farat. Très légère brise de terre qui a évité le Vimy le nez vers le fond de la baie. Nous tournons sur notre chaîne et reprenons le chenal de sortie. Les récifs se voient mal parce que nous avons le soleil dans les yeux. Mise en route à 10 m à la sortie de la passe, cap au 70. Marché 10 milles ainsi, puis mis successivement au 134 et au 155. Nous devons passer ainsi à 3 milles au large du récif isolé du Cap Raweia qui porte une balise.
Le Cap Raweia et l’Ile Makawar s’aperçoivent nettement à partir de 10 h 30. Nous déjeunons à 11h30 afin d’être sur la passerelle lorsque nous nous engagerons dans les chenaux. Vers midi et quart la balise sort de l’eau, puis une deuxième balise un peu plus dans le nord. Elles sont toutes deux peintes en rouge. Le récif Abington qui les porte se voit très nettement.
L’île Majeita qui sort peu après hors de l’eau ne parait pas être bien placée sur les cartes. Il semble qu’elle devrait être deux ou trois milles plus sud. En réalité, comme nous nous basons pour dire cela sur l’intervalle qui la sépare de Makawar et que la pointe sud de cette dernière île, très basse, ne se voit qu’au dernier moment, je crois en définitive qu’il n’y a pas d’erreur.
Aussitôt passé l’îlot de sable très bas d’Umm el Kurush nous mettons le cap au 248 sur la colline de Dabadiba qui se voit très nettement sur les hautes montagnes du (XXX ?). Celles-ci qui sont notés et non mis sur la carte ne sont pas très utiles parce qu’elles ne sont pas très discernables les unes des autres et qu’elles sont très loin.
Le passage délicat est au sud de Mukawar où la passe est assez large mais tracée entre des récifs qui ne découvrent pas. Nous avons le soleil à bâbord devant, en sorte que nous ne voyons les brisants que sur tribord en temps utile. Ceux de bâbord ne peuvent être aperçus que lorsqu’ils sont déjà passés. Nous ralentissons car nous ne voyons pas le récif Falcon, mais seulement ceux qui sont plus au sud. Nous franchissons le chenal en nous basant sur Mukawar et je crois que nous passons trop sud. On signale d’ailleurs à un moment donné de la passerelle supérieure qu’on voit le fond très près à bâbord par le travers. Nous franchissons en tout cas le chenal sans toucher.
La brise a fraîchi progressivement de la région sud depuis l’appareillage et souffle pas mal tandis que nous arrivons au mouillage. Un fort très visible et une série de maisons-cabanes au bord du rivage. Paysage peu intéressant : un premier plan de plaine montant en pente douce et au fond les lignes successives habituelles de montagnes.
Nous sommes mouillés à 1400 m de terre et à 600 m environ des deux balises d’entrée. Par brise de sud comme aujourd’hui c’est le mouillage en pleine côte sans abri. Il est 16 h 30. La brise tombe lentement avec la nuit. Tout devient humide et poisseux. Le pont est couvert d’eau.
24 Janvier
L’Amiral, Dinechin et moi descendons à terre à 8 h. Nous ne comptons guère trouver des
choses bien intéressantes, mais il faut tout voir.
La vedette accoste le long d’un boutre sur lequel s’agitent des noirs qui débarquent des caisses et des fûts. Nous sommes accueillis par un vieillard drapé. Belle tête de noir, collier de barbe frisée blanche. Turban à petits carreaux rouges et blancs. Il porte au-dessus du coude trois bracelets de cuir auxquels pendent des gris-gris. Sur le petit appontement, une douzaine d’hommes, tous noirs, mais appartenant certainement à plusieurs races très différentes.
L’un d’eux, drapé, a l’air de surveiller le débarquement. Il est le seul armé : le grand glaive passé dans la ceinture. Tous nous saluent de la main.
Le chef nous accompagne. Il nous propose de visiter le fort. Ce n’est qu’un bloc cubique à deux étages, percé de meurtrières. L’intérieur est propre et à l’étage, se trouve une chambre contenant une table et deux chaises. C’est dit le chef la chambre « pour l’anglais ».
Dans le nord du fort, plantés un peu au hasard en bordure de la mer une quarantaine de maisonnettes, la plupart faites en bois de caisse. L’une d’elle, séparée nettement des autres est plus confortable et doit être le séjour du « Mansour » quand il s’arrête ici. Le village est désert. Toutes les femmes ont dû se ramasser. Quatre enfants jouent ; deux d’entre eux, des petites filles probablement sont drapés de rouge. Nous ne pouvons, ni les approcher, ni les regarder à la jumelle. Ils disparaissent derrière les cases.
L’eau, dit le chef, est dans les montagnes. Là-bas aussi sont des mines d’or (à 5 h d’auto). Le petit port est certainement le point de débarquement de matériel destiné à ces mines. On voit sur le sol de nombreuses traces de voiture.
Tout le paysage à des km à la ronde n’est que le désert plat et stérile.
Un bonhomme nous propose des coquillages, une espèce de canne faite en corne d’antilope et recourbé à une extrémité. Un autre nous montre des perles difformes dans un papier. Nous n’achetons que la canne.
Nous distribuons quelques bakchichs et comme décidément nous avons épuisé tout l’intérêt du pays nous nous embarquons. Le chef nous demande si nous pouvons lui donner du sucre. Il embarque dans la vedette et nous prenons son houri à la remorque. Il est monté par deux hommes, l’un beau soudanais, l’autre aux trait fins au visage intelligent doit être un abyssin ou un somali.
Le chef nous dit qu’ici tout le monde est musulman.
Et nous rentrons à bord.
On m’apporte un intercepté :
« SOS. Quebec City position 40 45 longit. not sure. drifting helpless on leeshore. Will ships in immediate position or vicinity please give assistance. long. not sure. Was jammed it perhaps
28.45 or 38.45.
La Diana arrive au mouillage à 11 h. Nous prenons notre dernier déjeuner sur le Vimy, regrettant de quitter ce bateau sympathique.
Appareillage vers Port Soudan à 15 h 30. La brise souffle du sud moins fraîche qu’hier. Le ciel est trouble, très chargé de poussières dans le nord. Un orage tente de monter à contrevent.
Le Vimy prend la ligne de file derrière nous et nous refaisons en sens inverse la passe de l’Ile Makawar. La nuit tombe alors que nous franchissons le point le plus délicat ; celui où nous présumons que se trouve la roche qui est portée sur la carte française un mille dans l’est de la pointe nord du récif Falcon et sur la carte anglaise exactement à toucher la partie nord de ce récif. Nous pouvons encore voir, fort heureusement briser les récifs de Majeita et nous piquons dans l’est pour nous dégager complètement de la zone malsaine.
- Admiralty chart Red Sea Published 1873 Wikipedia Commons.
Le vent est passé au nord sans que nous ne nous en soyons aperçus ; la mer est assez grosse, mais nous sommes portés par elle et nous ne bougeons presque pas. Nous ne marchons d’ailleurs que six nœuds pour n’arriver à Sanganeb qu’à 4 h 30.
Je fais changer de route et augmenter de vitesse à 5 h 30. Nous prenons la mer de travers et nous cognons un peu. Le Vimy, qui nous suit s’en donne. Il est vrai qu’il semble toujours que le voisin bouge plus que soi.
Port Soudan
Les pilotes montent sur les deux bateaux à 6 h 45. A 7 h 15 nous sommes mouillés tous les deux, chacun sur deux ancres. La brise du nord fraîchit avec le soleil. Il fait chaud et poussiéreux. Le spectacle de Port Soudan n’est pas réjouissant. Dans le port, seul un cargo charge du charbon ; tout le reste de cette belle organisation moderne parait dormir.
A 9 h 30, le Commissionner, Mr Redfern vient faire sa visite officielle. L’Amiral la lui rend à 11 h.
Je descends à terre à 10 h 30 avec de Marliave (frère de l’amiral de Marliave, peintre et amis de l’amiral Joubert). Je retrouve au passage les points familiers et ceux que j’avais oublié et que je reconnais en les voyant.
Du débarcadère part une route asphaltée, qui a poussée là sur le sable on ne sait pourquoi. Elle est flanquée à son départ, à gauche par un hôtel énorme, en pierres grises, propre comme tous les établissements anglais : volets et tuyautages peints en vert. Il n’y a certainement aucun voyageur ; à gauche les bureaux du gouvernement, énorme bâtisse à terrasse sur laquelle flottent les pavillons britanniques et égyptien. C’est là que j’allai il y a quatre ans, faire visite au sympathique Major Thompson, alors Commissionner. Je me rappelle ce matin où, appuyé sur mon sabre, je crus un instant que j’allai m’écrouler sous la chaleur. Aujourd’hui, je n’ai pas de ces soucis officiels. Je pars comme un pékin.
Nous traversons le jardin qui, malgré les efforts considérables d’arrosage est aussi pauvre, sinon plus qu’il y a quatre ans. Des citernes tirées par des prisonniers enchaînés sont vidées au pied de chaque arbre.
Nous prenons la rue que j’avais connue commerçante et où j’avais acheté les quelques bibelots d’ivoire que nous possédons. Presque tous les magasins sont fermés. Les marchands indigènes ont disparus et ce que proposent les deux malabars survivants sont des horreurs. Je suis un peu dégouté, j’avoue, car j’avais bien l’intention de refaire quelques achats.
Le marché et les rues avoisinantes, en revanche, sont aussi animées que jadis. Boutiques de banians garnies d’étoffes voyantes de soie et envahies de clients, tous noirs, tous enturbannés de blanc. Les boutiques dégagent une odeur d’épice délicieuse. De loin en loin, des formes humaines, complètement enveloppées reposent, soit à même la chaussée, soit sur des lits hindous de paille tressée. Dans la rue, des chameliers à la tignasse crépue, barrée d’une longue épingle de bois.
Au milieu de la place, des cordonniers et des marchands de je ne sais quoi, enfermé dans des petites boites en fer blanc. Les femmes portent toutes les bracelets de poignet et de cheville et des anneaux d’or dans le nez.
Le marché aux vivres est assez appétissant. Pas mal de légumes, quelques fruits et surtout des petits citrons de l’espèce de ceux des Antilles au parfum délicieux.
Resté à bord l’après-midi. Lu « Les loups » et commencé à préparer la traversée Port Soudan Djeddah.
…..
L’Amiral est allé au Cercle avec Badens. Ils ont été accueillis de façon charmante par les autorités du port. Le Major Mulholland, chef du port et appartenant à la Compagnie des Chemins de Fer a suggéré à l’Amiral à son deuxième passage à Port Soudan de piquer une pointe sur Khartoum. Proposition acceptée d’enthousiasme. Il suffira de prolonger notre séjour de deux jours, ce qui nous décalera du même temps le reste de la croisière.
26 Janvier
Temps morne au lever du jour. Le vent vient toujours du nord, mais il souffle moins fort. Je suis debout de bonne heure et je passe une partie de la matinée à rouspéter sur la tenue de la Diana. A onze heures, je vais mettre une carte chez le Commissionner, qui n’est pas chez lui. Le ciel est couvert et il fait chaud, même sous le casque. A partir de midi, la Diana charbonne. Les officiers descendent à terre pour un match de tir au Red Sea Rifle Club.
Travaillé les cartes et Instructions Nautiques des chenaux du Banc des Farisan. La suppression de l’escale de Lith nous gêne un peu, parce que la distance que nous aurons à parcourir entre les atterrages de Lith et Kunfudah ne peut pas être franchie pendant la durée du jour. Nous devrons mouiller en route, probablement au Ghulbet el Mahasi, ou un peu plus avant dans les chenaux si nous sommes en retard.
A cinq heures, je vais avec l’Amiral et Badens, prendre le thé chez le Commander Harden, capitaine de port. Sa femme est jolie, brune aux yeux bleus. Elle parle assez facilement français : c’est une écossaise. Lui a l’air assez idiot. Thé anglais dans un bungalow assez pauvre, entouré d’un petit jardin pelé. Ces gens doivent évidemment être bien payés et puis ils ont trois mois de congé par an, mais quand on pense qu’on peut vivre chaque année neuf mois dans une ambiance aussi inintéressante sous la grosse chaleur, il y a de quoi frémir.
Ces braves gens avaient invités tous les officiers des deux bateaux. Il n’en est pas venu un seul et pourtant Badens craignait vivement qu’il y eut foule.
A 20 h 10, nous quittons le bord (Dinechin – Badens – Rabot) pour aller dîner chez le Commissionner. Il y a là le Chef du Port et sa femme (Mulholland), le chef douanier et sa femme, le Commander de cet après-midi et sa femme.
Très mauvais dîner, une gélatine de poisson insipide, une dinde coriace entourée de frites délavées et de demi-sandwichs saucisses et une affreuse « charlotte », milieu entre le blanc manger et le quatre quarts.
Les femmes passent au salon comme d’habitude. Les hommes veulent boire des alcools, mais nous résistons. Après dîner morne. Nous rentrons à bord à onze heures. Pendant le dîner, le Commissionner m’annonce qu’il a vu dans le journal que G. est arrivée à Port Saïd.
L’Amiral doit partir demain à 6 h pour aller tirer la grouse.
27 Janvier
Le vent du nord souffle très frais dès le matin. Vers 9 h arrive dans le port le grand paquebot Strathaird de la P&O. Énorme bateau à trois cheminées, peint en blanc. Silhouette peu agréable à l’œil, trop haut pour sa longueur. Il porte à son mât avant le pavillon N qui signifie qu’il a des malades contagieux à bord. J’apprends qu’il vient d’Australie et des Indes. Il a la petite vérole à bord. Il n’a par suite aucune communication avec la terre et appareille à onze heures.
Je descends à terre vers 10 h avec de Marliave. Nous errons un peu dans les magasins désertes de la rue autrefois commerçante et nous nous dirigeons vers la place du marché où on nous dit qu’un grand nombre d’indigènes sont rassemblés à l’occasion du Beiram.
Spectacle magnifique de foule soudanaise grouillant autour de deux ou trois manèges de balançoires et de quelques petits marchands de pâtisserie et de rafraichissements. Tous les gens ont mis leurs plus beaux vêtements. Les hommes sont dans leur longue robe blanche immaculées et sont coiffés du gros turban. Les petits enfants, un très grand nombre se bousculent vers les manèges et les camions automobiles, dans lesquels on leur fait faire un tour de ville. Il y a là des petites filles drapées de cotonnade rouge, ornées de colliers et d’anneaux d’argent. Elles sont toutes d’un beau noir. Leurs cheveux sont peignés en une infinité de petites tresses graissées. Beaucoup ont de très beaux visages. D’autres sont vêtues de robes européennes, jaune, cerise, vert d’eau, qui en elles même sont affreuses, mais qui mettent dans le soleil des taches d’une violence inouïe. Errant dans les groupes, de vieilles femmes noires en haillons, à moitié nues. A un angle de la place les grands hommes noirs vêtus de blanc sont tassés sur quatre à cinq rangs autour d’un danseur qu’accompagne un joueur de tam-tam. Cet ensemble blanc tacheté de noir est éblouissant. Il se dégage de cette foule une odeur violente de parfum musqué et d’épices parfaitement exotique et, ma foi très agréable. Marliave tire des photos sans arrêt. Malheureusement, comme à l’ordinaire les petites filles ont peur de l’appareil et s’enfuient dès qu’elles s’aperçoivent qu’il va être braqué sur elles.
Je me régale vraiment du spectacle. On sent chez tous ces gens une joie parfaite, pas compliqué du tout, une satisfaction sympathique d’avoir enfin fini ce Ramadan épuisant.
Nous rentrons à bord à midi.
A 13 h, déjeuner sur la Diana. C’est à Port Soudan, un peu comme dans le canal. On retrouve les mêmes individus aux réceptions successives. Ici, c’est Mulholland, commandant du Port et des Chemins de Fer et sa femme, Acland District Commissionner et sa femme, Harden, le Commander retraité, capitaine du port et sa femme l’écossaise, et Redfern le Comm. Madame Mulholland est à moitié française par sa mère. Elle parle notre langue à peu près sans faute et sans accent.
Mauvais déjeuner comme d’habitude. Un menu aux noms ronflants et au goût médiocre.
Au cours du déjeuner ; Acland nous propose d’aller assister à un match de polo auquel il prend part. J’accepte parce que j’aime beaucoup le jeu pour son élégance et peut-être aussi, parce que je ne veux pas rester à bord tout l’après-midi. Nous prenons le café sur le pont arrière. Badens fait les inévitables photos.
L’Amiral n’est pas en train. Il parle peu et je le crois fatigué. Il faut dire qu’il a quitté le bord ce matin à 5 h 30 pour aller tirer la perdrix et qu’il n’est rentré qu’à dix heures. Soules l’a accompagné. Il est revenu avec une vingtaine d’oiseaux. Il parait d’ailleurs qu’il n’y a qu’à tirer dans le tas. Nous les mangerons demain.
Je me mets rapidement en civil et descends à terre avec trois officiers de la Diana. Nous partons en voiture au terrain de polo, qui se trouve au-delà du village indigène et du village en bois dit des pèlerins que les anglais ont fait bâtir hors de la ville pour accueillir convenablement ceux qui partent à La Mecque ou en reviennent. Le terrain de polo n’a pas été difficile à choisir. Il a suffi de tracer un rectangle à un endroit quelconque sur le sable qui est parfaitement uni. Quelques indigènes accroupis attendent le spectacle du match. Une tente, à côté de laquelle sont rangés les poneys. Sous la tente, des soudanais préparent le thé. Devant deux grands bancs très confortables. Nous nous installons, pendant que les Anglais passent leurs maillots de match. Ambiance très agréable de ces hommes forts, pas intelligents certainement, mais qui sentent la santé. De grands enfants qui aiment les jeux physiques et les bêtes, comme dit Siegfried. Les chevaux ne sont pas beaux ; ils sont petits et lourdauds. Le spectacle du jeu ne me déçoit pas, mais je comprends, à l’observer combien on doit être bon cavalier pour le pratiquer.
Dès la fin, les bancs sont trainés sous la tente. Les femmes servent le thé. Tout le matériel est simplement placé dans de vieilles caisses. Le feu brûle dans une tanaki. On ne pense pas à s’excuser de la pauvreté de l’installation comme le feraient certainement des français. Mais tout est propre et les gâteaux, exquis d’ailleurs sont protégés des mouches par des mousselines.
Ce thé est probablement offert par une personne bien déterminée, puisque j’entends remercier Madame So and So, mais je ne distingue pas la bénéficiaire des compliments.
Nous rentrons à bord lorsque la nuit tombe. La voiture passe dans le voisinage de la place, mais l’animation du matin est tombée et les groupes sont peu nombreux.
28 Janvier
Toujours le vent très frais du nord. Les lointains sont à peu près totalement masqués par la poussière du désert. Il fait frais, presque froid par instant lorsqu’on est dans le vent ; assez étouffant en bas dans la chambre.
Nous avons été invités par le Commissionner à une « levée » à l’occasion du Beiram. Nous arrivons au Gouvernement à 10 h. Les fenêtres et les encadrements des portes sont décorés de plantes vertes et des drapeaux anglais et égyptien. La réception a lieu au haut de l’escalier du premier étage. Le Commissionner fait son entrée dans les hurlements de la garde noire et au son du bugle. Il est grand comme un jour sans pain, vêtu de blanc décoré de feuilles de laurier à la manière des uniformes de diplomate. A ses côtés quelques officiers en kaki. Et le défilé commence. Chaque individu présenté a un carton à la main qui porte son nom. Il le remet à l’aboyeur qui l’annonce. Shake hand au passage. C’est une procession d’une quantité de civils sans intérêt, auxquels se mêlent de temps en temps quelques chefs indigènes. Ceux-ci sont assez bien, mais rien de plus. Nous avons vu mieux hier sur la place.
Le défilé fini, nous nous installons sous la véranda, où on nous sert de la limonade et de mauvais petits gâteaux. Et puis, nous prenons congé. Au fond, déplacement sans grand rendement. Les Anglais s’excusent d’ailleurs de la maigreur du pittoresque en nous expliquant qu’il n’est venu là que des gens de Port Soudan et de Souakim et que les gens vraiment intéressants, ceux de la montagne sont allés à Kassala, sur la route de Khartoum, faire leurs salams.
L’Amiral part tout à l’heure au match de tennis. Je vais m’abstenir, car la société d’anglais quelque aimable qu’ils soient, lorsqu’ils sont médiocres n’est pas supportable longtemps. Je ne suis heureusement pas invité à un dîner chez eux ce soir ; ceci m’évitera de me coucher tard et de manger des horreurs.
J’ai lu un peu des « Loups » et je suis descendu à terre avec Marliave, à la fois pour exercice et pour échapper aux anglais qui m’assomment et qui doivent venir à bord prendre un cocktail à 5 heures. Nous retournons à la place du marché, où il y a encore pas mal d’animation et où nous voyons comme hier des groupes de petite filles charmantes. L’une d’elles, en particulier est vêtue d’une robe de velours bleu foncé ornée de broderies d’argent et porte sur la tête un voile blanc magnifique orné de paillettes. C’est certainement un costume ancien, car il contraste avec tout ce qui l’entoure.
Nous rentrons à bord lorsque la nuit est faite. Nous trouvons sur le spardeck les inévitables anglais importants de Port Soudan. A peine arrivé, Badens m’annonce qu’on vient de recevoir un chiffré déchiffrable en partie seulement, d’où il ressort que l’Amiral reçoit l’ordre de Paris d’envoyer immédiatement un de ses bateaux à Djibouti à la disposition du Gouverneur pour faire faire une sortie en mer à l’Empereur d’Ethiopie. Le texte est suffisamment clair pour que nous décidions d’envoyer le Vimy. Je fais les ordres nécessaires.
Je dîne à bord seul avec Rabaud. Un dîner infect sorti des mains de notre Vatel : un bouillon Kub, une rondelle de bonite desséchée à la sauce tomate, une côtelette de mouton ornée de pommes de terre débordantes de graisse. J’exprime assez violemment ma dissatisfaction.
29 janvier
Vent de sable très violent dès le matin. La terre est à peine visible à l’arrière-plan. Dinechin vient à bord pour prendre les derniers ordres de l’Amiral.
Appareillage des deux bâtiments à 14 h. La brise est très fraîche, mais il y a moins de poussière et le ciel est à peu près clair. Le Vimy sort le premier parce qu’il a des apparaux de mouillage un peu plus modernes que ceux de la Diana. A l’extérieur du port, il prend la ligne de file derrière nous. Lorsque nous sommes au sud du Récif Wingate, nous lui signalons de faire route pour sa destination.
- Abords de Port Soudan Admiralty chart Red Sea Published 1873 Wikipedia Commons.