Une arrivée en Acadie pour le moins surprenante
Claude Robillard né vers 1650 est natif de Rouen en Normandie. Il s’embarque en juin 1663 sur le Jardin de Hollande, navire de 300 tonneaux emmenant à son bord, 279 passagers : des familles, des jeunes célibataires et des soldats. La première escale sera Plaisance en Acadie, suivie de Québec en Nouvelle-France. Le contexte est favorable à ces départs. Le gouvernement de Versailles tente d’attirer des Français vers ces nouveaux territoires en offrant des terres et de l’argent pour qui veut s’implanter à l’issue de sa période d’engagement dans les troupes de la Marine ou dans les régiments, tel celui de Carignan-Salières.
A Plaisance, sur le quai, des dépouilles gisent çà et là avec une odeur d’outre-tombe. Des assassinats, des batailles ? Que penser ? Le capitaine du navire Jean Guillon diffère le départ pour Québec. Aidé de soldats, il part à la recherche des mutins. Les malfrats sont transférés sur un radeau pour être pendus à la vue de tous.
Puis, le Jardin de Hollande reprend sa route en direction de Québec. Arrivé à bon port en juillet 1663, Claude s’engage auprès du sieur Robert Giffard de Monceil [1], médecin à Beauport (situé près de Québec). Claude s’initie à l’agriculture sur les terres du sieur Giffard. Cette seigneurie s’étend de la rivière Saint-Charles jusqu’au Sault Montmorency.
Premiers contacts avec les Indiens
Le 14 septembre 1666, le régiment de Carignan-Salières recrute des volontaires pour livrer bataille contre une tribu d’Iroquois appelée les « Agniers » alliés aux Anglais. A 16 ans, Claude Robillard marche au pas des 400 soldats et des centaines de recrues. Le régiment conduit par le général Tracy se dirige vers Sorel (situé à environ 65 kilomètres au nord-est de Montréal). Après quelques heures de lutte, la victoire des Français s’accompagne d’une douce amertume : les soldats se livrent au pillage et brûlent le village des « Agniers ». Les soldats reçoivent de l’argent ou des parcelles de terre pour s’établir en Nouvelle-France.
Puis, la vie reprend son cours. Claude Robillard s’installe en 1669 à Champlain situé sur le bord du fleuve Saint-Laurent, à quelques kilomètres du Cap-de-la-Madeleine (près de Trois-Rivières). A 19 ans, il achète sa première terre auprès de Bernard Lacoste dit Lavigne à l’ouest du fleuve : deux arpents de front sur quarante arpents de profondeur. Il emprunte auprès d’un ami Marin Richard la somme de 120 livres pour cette acquisition.
Un an plus tard, le 8 août 1670 [2], portant bien ses 20 ans, il unit sa destinée à une fille du Roy Marie Binard. Le couple aura trois enfants : Marie-Jeanne, née le 4 décembre 1672, Claude, et Adrien, baptisé le 9 octobre 1679 [3]. La famille possède une maison, trois bêtes à cornes dont un bœuf de labour, deux vaches laitières et des porcelets.
Pour subvenir à ses besoins, Claude loue la terre d’un de ses voisins, Pierre Dandonneau dit Lajeunesse. La même année, en 1672, Claude loue une seconde terre à Pierre Dandonneau. Il signe son nom sur l’acte notarié Robilliar [4].
Son patrimoine s’élève à 2 200 livres [5] :
Une maison avec une grange pour ranger le foin, une étable avec porcherie, un hangar et des instruments aratoires | 1452 livres |
Une terre cultivée et le bois debout (forêt) | 506 livres |
Les animaux, le foin et les réserves de nourriture | 132 livres |
Les créances | 110 livres |
Il se situe dans la moyenne au niveau patrimonial. Claude manque de bras pour cultiver la terre. En janvier 1676, il se dirige chez le notaire avec l’une de ses connaissances, Nicolas Rivard du Cap de la Madeleine, commandant de la milice de Batiscan. Il signe un bail de location d’une génisse pour une durée de cinq ans. Cette bête l’aidera à semer les labours au moyen d’une charrue. Mais la génisse ne suffit pas à fournir à l’ouvrage. Un an plus tard, il loue une paire de bœufs au sieur Des Groseilliers. Le paiement sera effectué en nature : 10 minots de blé à remettre au propriétaire à Noël pendant cinq ans.
Propriétaire de deux terres
Tout ne se gagne pas aisément ! L’agriculteur Robillard doit emprunter 330 livres pour acheter des semences auprès du marchand général Jacques Babie. Enfin, la récolte étant bonne, il paie une partie de ses dettes qu’il avait contractées pour acheter sa première terre en 1669.
Cherchant toujours à améliorer son sort, en décembre 1677, Claude Robillard achète la terre de son voisin, Maximin Raynier pour une somme de 300 livres payable pendant six ans à raison de 50 livres par année. A 27 ans, il continue d’investir : le voilà propriétaire de 160 arpents dont 4 situés de front sur le fleuve par 40 arpents de profondeur.
En plus de ses deux terres, Claude s’engage en juin 1678 auprès du chirurgien Jean Jalot pour cinq jours. Sa force de travail lui sera utile pour labourer six arpents de terrain avec une paire de bœufs qu’il a par ailleurs loué. Il recevra la somme de 55 livres et un carton de tabac en guise de salaire.
Sa première épouse décède en 1680. Claude ne restera pas longtemps esseulé, à peine un an et demi. Il convole en secondes noces auprès de Marie Grondin âgée de vingt ans, une fille du Roy native de Normandie, veuve également d’un précédent mariage avec Michel Morel. Du premier lit, Marie Grondin donna naissance à un fils Dominique Morel qui sera domestique au sein de la famille. Le mariage a lieu le 4 mars 1681 à Champlain.
Le couple Robillard Grondin donne jour à 5 enfants :
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- Louis, né le 15 mai 1682,
- Nicolas, né le 1er août 1684,
- Marie-Thérèse, baptisée à Montréal le 5 septembre 1686,
- Joseph, baptisé à Montréal le 13 avril 1689,
- Pierre, baptisé à Montréal le 28 septembre 1692.
Un second départ : Ville-Marie (Montréal)
A 35 ans, Claude décide de quitter Champlain et de tenter sa chance à Ville-Marie (Montréal). Il vend ses deux terres avec la maison, la grange et les bâtiments à Michel Poirier dit Langevin. Il se réserve la jouissance de la moitié de la grange jusqu’au printemps prochain et la maison pour y loger sa famille. Claude conserve également ses bestiaux pendant un certain temps. Prudent ce Robillard. L’acheteur paie la première terre en peaux de castor et en argent – 500 livres – à verser sur dix-huit mois. Quant à la deuxième terre, celle qui est située près de la maison de Noel Carpentier, l’acheteur remettra à Jacques Babie le marchand la somme de 300 livres que Claude lui devait.
Son intention est de trouver du travail à Ville-Marie. A-t-il utilisé le réseau de relations du sieur Robert Giffard, le seigneur qui l’a hébergé lors de son arrivée en Nouvelle-France ? Nul ne sait. Il signe un contrat d’engagement le 10 février 1685 avec les religieuses de l’hôpital Saint-Joseph de Montréal (futur Hôtel Dieu) pour cinq ans et loue la ferme du domaine de l’hôpital nommée « Domaine des pauvres malades ».
En avril 1685, munis de sacs et de baluchons, les Robillard disent au revoir à leurs voisins de Champlain et s’embarquent sur des canots. Les 600 habitants de Ville-Marie logent dans de modestes maisons de bois. L’église paroissiale et le séminaire des prêtres sulpiciens, seigneurs de l’île, dominent la ville à l’extrémité est. Les activités commerciales se concentrent entre les rues Notre-Dame et Saint-Paul, sur la place du Marché, lieu d’échanges privilégié entre Montréalais et Amérindiens. À cette époque, la ville était délimitée au nord par une petite rivière. Une enceinte de pieux située sur le pourtour de cette rivière délimitait les quartiers habités par les Français et les Iroquois.
Claude travaille d’arrache-pied sur les terres de l’hôpital : labourer les champs, sortir les animaux, nettoyer les bâtiments…, 112 arpents forment le fief de Nazareth, mais seuls 16 arpents sont cultivables. Ce domaine concédé par Maisonneuve à Jeanne Mance en 1654 couvre des terres agricoles, des prairies, des forêts et des bâtiments pour les animaux. La propriété s’étend par rapport à la configuration de Montréal aujourd’hui :
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- au nord à la rue William,
- à l’ouest à la rue Université,
- au sud à la rue de la Commune,
- et à l’est à la rue McGill.
Les religieuses s’engagent à lui donner la moitié des récoltes pour une durée de cinq ans. En retour, Claude devra effectuer les travaux agricoles. Claude disposera pour son usage personnel du bois provenant d’une terre de 200 arpents appartenant aux religieuses. Il pourra en vendre 10 cordes pour augmenter ses revenus. En revanche, Claude devra remettre chaque année aux religieuses 100 choux en pomme. Au moment des récoltes, les sœurs mettront à la disposition de Claude un journalier pour une durée de six semaines, une aide pour faucher et 10 pots d’eau de vie ! Ce journalier sera nul autre que son beau-fils, Dominique Morel.
A l’issue des cinq ans, Claude Robillard devra rendre intégralement les instruments et les animaux de la ferme en qualité et en nombre égaux de ce qu’ils valaient lors de la signature du contrat.
La persévérance de Claude Robillard lui permettra d’acheter un emplacement dans la ruelle de Chagouamigon, située aujourd’hui dans le Vieux-Montréal. Pour quelle utilité ? Sans doute pour cultiver des terres.
- Ruelle de Chagouamigon (Montréal) Crédit Photo : G. Champagne, 2007
Il laissera une trace dans la vie de Montréal : une rue porte son nom dans le Vieux-Montréal.
- Rue Robillard à Montréal Crédit Photo : G. Champagne, 2007
Il revendra ce bien en 1698 pour acquérir une terre à Champlain à une dame nommée Margane devenue veuve.
A 48 ans, Claude Robillard sent la fatigue lui peser sur les épaules. Les soirs d’hiver au coin du feu, les rives de Champlain où il a passé ses premières années lui semblent bien loin. Sa deuxième épouse décède le 31 octobre 1708 [6]. On ne peut vieillir seul encore moins lorsque l’on a une parcelle à cultiver et des personnes à charge. Claude reprend donc la flèche de Cupidon à 59 ans. Il épouse Marie Françoise Guillin le 27 janvier 1709 à Ville-Marie. Marie Françoise est normande tout comme lui et fille du Roy. Elle est veuve d’André Trajot. Le couple n’aura pas d’enfant. Claude Robillard quitte Ville-Marie et termine ses dernières années à Champlain. Il rend l’âme le 24 mai 1719 à 69 ans. Marie Françoise le rejoint quelques mois plus tard.
- Cimetière de Champlain, Crédit Photo : P. Lanouette, 2007
Claude Robillard n’a cessé de construire au cours de son existence : labourer, acheter des terres, prospecter. Aventureux ou avant-gardiste ? Il tente sa chance en quittant son bourg de Normandie pour la Nouvelle-France ayant quitté à peine son enfance. Installé à Champlain, village au bord du fleuve Saint-Laurent, il vend ses terres et tente sa chance en ville avec femme et enfants, en ayant pris au préalable ses précautions. Sans le connaître davantage que par ce récit, que pouvons-nous retenir de ce personnage ? Au vu de son parcours, il a fait preuve de ténacité, d’audace et de volonté. Tel fut Claude Robillard, pionnier sur ces quelques arpents de neige.
Sources :
- Jean Denis Robillard, « Un défricheur au coeur du Québec : Claude Robillard », Editions JDR, 2001. Cote Bibliothèque Nationale du Québec à Montréal : 929.20971 R654.
- Jean Denis Robillard, « L’adolescence d’un pionnier en Nouvelle-France, Claude Robillard », Editions JDR, 1999. Cote Bibliothèque Nationale du Québec à Montréal : 929.20971 R654.