L’oisillon au chapeau de paille
Bien que je ne descende pas directement de lui (c’était l’oncle de mon arrière grand-mère Françoise REDON épouse de Jean BARLIER), Claude BLANC mérite de figurer au tableau... (d’honneur ?) des personnages, dignes d’intérêt.
Natif de Saint-André-le-Coq (Puy-de-Dôme), Claude BLANC est le 9e enfant de Marie BLANC [1] et de père inconnu. Ses 8 (demi) frères et sœurs sont, tous, les enfants légitimes d’Antoine CIBERT [2] qui décède en 1853.
Lui est né hors mariage le 16 avril 1855, comme le serait un oisillon poussé et tombé hors du nid ; il est reconnu comme enfant naturel par sa mère alors âgée de 42 ans, mais qui est veuve depuis 2 ans.
Enfant très certainement probablement délaissé en raison de son statut de bâtard (il porte le nom de BLANC, et au lieu de CIBERT), il verra sa mère se remarier une 2e fois, avec André GARMY en 1858 (il a 3 ans), puis une 3e fois avec Marien CHAPUT en 1866 (il a alors 11 ans).
Après une enfance que l’on suppose tumultueuse et difficile, en compagnie de ses cinq demi-frères et sœurs encore en vie, Claude ira peu ou pas à l’école, et sera, comme tout un chacun, cultivateur, et participera malgré lui aux pénibles travaux des champs.
Dès l’âge de 15 ans, il est placé comme domestique chez M. et Mme François VALLAUDE, cultivateurs au lieu-dit « Demolle », commune de Luzillat (Puy-de-Dôme), tandis que sa mère qui a refait sa vie, s’est établie à quelques lieues de là, très exactement à La Moutade, commune de Crevant-Laveine. Ces deux bourgades s’étendent sur les rives, de part et d’autre de la rivière Allier, à mi chemin entre Maringues et Puy-Guillaume, et sont reliées par un immense pont de bois de 206 mètres de long.
Au recensement de la population de 1876, Claude BLANC apparaît à nouveau comme domestique, mais cette fois-ci chez M. et Mme Antoine HEDIEUX, cultivateurs aux Fumoux, dans la même localité de Luzillat.
La même année, il se rend au Conseil de Révision ; son degré d’instruction est estimé à « Zéro », mais il sera néanmoins reconnu « bon pour le service ».
Il est appelé à effectuer son service militaire en 1876. Il a alors près de 22 ans. Parti de Riom (Puy-de-Dôme) le 22 décembre pour le 96e Régiment d’Infanterie de Ligne, il arrive au corps et immatriculé le 23 dudit mois sous le n° 6587.
Dès son arrivée au corps, et durant tout son service militaire, Claude BLANC, soldat de 2e classe, se montrera particulièrement indiscipliné.
A peine un mois après son incorporation, le samedi 20 janvier 1877, lorsque le caporal lui fait une observation, il lui répond par un « Vous me faites chier ! » et écope de 2 jours de salle de police, sanction qui sera immédiatement alourdie par ses supérieurs, et commuée en 8 jours de salle de police par le capitaine, puis en 8 jours de prison par le colonel et enfin en 60 jours de prison par le général de division.
Négligence dans l’entretien de ses effets, manquement aux corvées, comportements désinvoltes, violence envers ses camarades, refus d’obtempérer, autant d’attitudes réitérées qui contreviennent aux règlements, et immanquablement sanctionnées par des jours de consigne ou de salle de police…
Le 26 mars 1879, il passe au 100e Régiment d’Infanterie de Ligne sur décision ministérielle du 15 février.
Mais son comportement ne s’en trouve pas pour autant amélioré ! Le 26 juin, il vient à la revue avec des bottes, laissant ses guêtres de cuir à la cantine où il est employé.
Le 23 septembre, il vient dans la salle à manger des sous-officiers et s’est mis à danser, et lorsque l’un d’eux lui demande de partir, il rétorque : « Si je veux ! ». Son attitude est immédiatement sanctionnée de 4 jours de salle de police par le sergent désabusé. Mais l’affaire n’en restera pas là, Claude BLANC écopera de 7 jours de prison, puis de 8 jours de cellule infligés par le colonel.
Ce ne sont pas de moins de 150 jours cumulés de punitions qui viendront émailler son séjour dans l’armée active qui devait s’achever le 1er juillet 1881, date prévue de son entrée dans la réserve.
Or, ce long séjour sous les drapeaux [3] sera brutalement interrompu un jour de printemps 1880.
En effet, nous savons d’après le registre de matricule des armées, que Claude BLANC est « condamné le 15 mai 1880 à la peine de 5 ans de travaux forcés et à la dégradation militaire pour être coupable de vol commis la nuit dans une maison habitée, conjointement avec une autre personne, à l’aide d’escalade et d’effraction, d’une somme d’argent et de divers objets au préjudice du cantonnement du Fort Mont-Louis (Pyrénées-Orientales) ».
Mais quelle est donc la nature des méfaits commis par Claude BLANC et son complice ?
On peut estimer à priori que s’attaquer à une dépendance d’une citadelle de Vauban demande une certaine dose de courage… ou plutôt d’inconscience !
Une recherche sur le site des Archives Nationales d’Outre-Mer, dans la base de données des dossiers individuels des condamnés au bagne, nous apprendra que Claude BLANC, condamné en 1880, est envoyé en Nouvelle-Calédonie sous les N° de matricule : 12178 / 4821 / 2059 (Voir : Son dossier individuel de bagne). Il a alors 25 ans.
Une consultation de son dossier de bagnard, sur place aux Archives d’Aix-en-Provence, nous permet de connaître précisément les faits. [4]
D’abord, le registre des matricules du bagne nous confirme qu’il a été condamné le 10 mai 1880 par le 2e Conseil de Guerre de Perpignan à « cinq ans de travaux forcés pour vol qualifié, sans surveillance » et qu’il a été dégradé le 15 mai suivant.
Ensuite, l’examen des pièces du dossier individuel viendra préciser les circonstances de l’événement.
Le 2e Conseil de Guerre permanent de la 16e Région de Corps d’Armée a rendu le jugement suivant :
« Aujourd’hui dix mai 1880, le 2e Conseil de Guerre permanent de la 16e Région de Corps d’Armée, ouï le Commissaire du Gouvernement dans ses réquisitions et conclusions, a déclaré le nommé BLANC Claude, soldat au 100e régiment d’infanterie, coupable de vol commis la nuit, dans une maison habitée, conjointement avec une autre personne, à l’aide d’escalade et d’effraction, d’une somme d’argent et de divers objets au préjudice du cantinier du fort Mont-Louis ‘Pyrénées-Orientales).
En conséquence, ledit Conseil a condamné le nommé BLANC Claude, sus qualifié, à la peine de cinq ans de travaux forcés et à la dégradation militaire avec dispense de la surveillance, conformément aux articles 261 et 19 du Code de Justice militaire, 379, 384, 381, 386, 390, 397, 393, 396, 19 et 46 du Code pénal ordinaire.
Et, vu l’article 139 du Code de justice militaire, le Conseil condamne ledit BLANC Claude solidairement avec le nommé FORESTIER Auguste, soldat au même corps à rembourser, sur ses biens présents et à venir, au profit du Trésor public, le montant des frais du procès et a fixé à deux jours la durée de la contrainte par corps.
Signalement du nommé BLANC Claude, fils de père inconnu et de Marie BLANC, né le 16 avril 1855 à St-André-le-Coq, arrondissement de Riom, département du Puy-de-Dôme, domicilié, avant d’entrer au service, à Luzillat, arrondissement de Thiers, département du Puy-de-Dôme, taille d’un mètre 650 millimètres, cheveux et sourcils blonds, front bombé, yeux bleux, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, visage oval, teint ordinaire, signes particuliers : petite cicatrice au front, deux en bas des reins, n° matricule au corps 942.
Le présent jugement a commencé à recevoir son exécution le quinze mai 1880, jour où le condamné a subi la dégradation militaire devant les troupes sous les armes.
Le montant des frais liquidés et décimes additionnels s’élève à la somme de trente deux francs cinquante centimes.
Pour extrait conforme
Le Greffier
Signé : Robinet »
Une notice individuelle en date du 12 mai 1880 signé du Procureur, commissaire du Gouvernement, expose précisément les faits qui ont motivé la condamnation à subir :
« Un vol à l’aide d’escalade et d’effraction ayant été commis, dans la nuit du 18 au 19 mars 1880, au préjudice d’un nommé CLERC, cantinier civil à la citadelle de Mont-Louis (Pyrénées-Orientales). Une première enquête faite le 19, n’amena aucun résultat ; mais une perquisition, opérée le 21 ayant fait découvrir un litre d’eau-de-vie caché dans le lit d’un soldat, cette découverte amena celle des auteurs du vol, les nommés FORESTIER (Auguste) et BLANC (Claude) soldats au 100e Régiment d’infanterie.
Pendant l’information et l’audience, tout en cherchant à se rejeter mutuellement la responsabilité du crime, ces deux hommes ont avoué s’être concertés pour le commettre, avoir pénétré, vers minuit, dans la cantine en passant par une fenêtre, avoir ensuite fracturé une table et avoir enlevé tout ce qui se trouvait dans le tiroir de cette table : la somme de 1 fr 65 c [5], quelques objets de mercerie, tels que fil, coton, etc, et avoir en outre, pris tout ce qu’ils avaient trouvé à leur convenance sur des étagères : un litre d’eau-de-vie, du fromage, etc.
Leur attitude a été convenable pendant l’instruction et à l’audience. »
Ainsi, nous découvrons l’identité de son complice : Il s’agit d’un certain Auguste FORESTIER, né le 9 janvier 1857 à Marvejols (département de la Lozère), déjà « condamné le 1er septembre 1875 par la Cour d’Assises de la Lozère à la peine de 3 ans de prison pour attentat à la pudeur avec violence sur la personne d’une jeune fille alors âgée de moins de quinze ans accomplis ». Ce dernier sera également condamné à la même peine de 5 ans de travaux forcés.
Quant au devenir de Claude BLANC, et son itinéraire, toujours d’après le registre des matricules, nous savons qu’au terme d’une dure et interminable marche, enchaîné par dizaine, au départ de Mont-Louis ou de Perpignan, il est arrivé au dépôt de Saint-Martin-de-Ré le 4 juin 1880 et qu’il a été écroué sous le N° 6429, en attendant son transfert vers le bagne de Nouvelle-Calédonie.
Claude BLANC et son compère d’infortune embarquent à bord de la frégate « La Loire » le 25 septembre 1880. [6]
Parti de Brest le 20 septembre, le vaisseau de 4 450 tonneaux pour une longueur de 62,86 mètres et ses 2 456 m2 de voilure, appareille avec ses 450 hommes d’équipage, et quitte Rochefort le 26 septembre.
La presse locale « Les Tablettes des deux Charentes » dans ses éditions du samedi 25 septembre et mercredi 29 septembre 1880, se fera l’écho de cet événement en ces termes :
« Rochefort
Le transport La Loire, venant de Brest, a mouillé sur la rade de l’île d’Aix, mercredi, 22, à deux heures 35 de l’après-midi. Ce bâtiment a embarqué, vendredi matin, ses passagers militaires et civils. Demain, samedi, il recevra 300 forçats, provenant du dépôt de Saint-Martin-de-Ré, et, dimanche, la commission supérieure, présidée par M. le major-général passera l’inspection à bord. Il est donc probable que La Loire appareillera, dimanche soir, pour la Nouvelle-Calédonie. »
Plus loin, elle poursuit :
« Un détachement de 100 soldats du 3e régiment, a été embarqué, ce matin, sur La Loire, pour remplacer, à la Nouvelle-Calédonie, un même nombre de militaires congédiables. Ce détachement sera placé, à bord du transport, sous le commandement de M. le capitaine Baule, du 2e régiment. »
Et dans son édition du mercredi suivant :
« Rochefort
Le vaisseau-transport La Loire a appareillé, à la remorque du Travailleur, pour Ténériffe et la Nouvelle-Calédonie, dimanche soir à 2 h 45. Son état-major est composé de MM. le capitaine de vaisseau Brown de Colstoun, commandant ; le capitaine de frégate Masson, second ; les lieutenants de vaisseau Thierry, Canolle, Reveillère, Simon, Festy ; les enseignes de vaisseau Pradère, Duchateau, Gervais, de Rosière, de Lorme, du Laurent de Montbrun ; le sous-commissaire Marchal ; le médecin de 1re classe Bohan ; le médecin de 2e classe Pichon ; les aides-médecins Lamolle, Omnès ; l’aumônier Vathelet.
La Loire a reçu, à Brest et à Rochefort, 400 passagers environ et 300 condamnés.
… »
La frégate fait donc escale à Ténériffe (archipel des îles Canaries) le 12 octobre, et arrive à Nouméa le 20 janvier 1881.
Après un voyage houleux de 116 jours vers la Grande Terre du Pacifique, fers aux pieds, et un périple de 31.300 km (5.640 lieues marines), la Loire, avec à son bord, outre les hommes d’équipage, les 297 forçats de ce 44e convoi de transportés, et 400 passagers civils et militaires, soit environ 1150 personnes, mouille enfin dans la rade de Port-de-France [7].
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Au cours de cette longue traversée, la frégate subira des dégâts aux mâts suite à un gros temps, et une grave avarie de la chaudière distillatoire, mais il n’y aura aucun décès. [8]
Ouvrier de la transportation, comme on appelait les bagnards à l’époque, Claude BLANC et Auguste FORESTIER sont débarqués le 21 janvier 1881 au pénitencier de l’île Nou.
Ensuite, ce sera la longue descente aux enfers, ponctuée de brimades, de privations et autres avanies, peu dignes de l’humanité. Il s’agira de vivre son destin dans un monde cruel et brutal où la bonté, la sensibilité, la pitié n’ont plus leur place, où l’homme n’est plus qu’un numéro.
Tout au long de leur séjour sur le "Caillou", Claude BLANC et Auguste FORESTIER participeront très certainement probablement, comme la plupart des forçats, aux travaux de structuration de la colonie (construction des routes, voies de chemin de fer), aux travaux des champs (exploitation du café), au travail dans les mines de nickel…
En 1882, Claude BLANC dépose un recours en grâce. Sa demande fait l’objet d’un courrier du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, adressée au ministre de la Marine et des Colonies, pour s’enquérir « si la conduite de ce forçat et son assiduité au travail lui méritent une mesure d’indulgence ».
Un bordereau griffonné sur une page blanche mentionne une seule entorse au règlement : « Juillet 1881 – Retard de 10 minutes à la réunion des corvées » .
Cette mesure de faveur lui sera néanmoins refusée.
On sait que Claude BLANC a changé 3 fois de statut (puisqu’il a reçu 3 numéros de matricules différents). Le registre de matricule du bagne nous indique qu’il a fait l’objet d’une lettre du Gouverneur n° 173 en date du 29 janvier 1883, mais on n’en connaît pas l’objet.
Claude BLANC aura désormais une attitude irréprochable. Exempt de toute condamnation, il fait l’objet d’une première mutation le 15 mai 1885 sous le matricule N° 4821.
Cette date correspond en fait à son passage dans la 4e catégorie (1re section), c’est-à-dire à sa libération avec l’obligation de résidence dans la colonie pour une durée égale à sa condamnation. [9]
Le 22 février 1888, le Maire de Crevant adresse une lettre au directeur de l’Île Nou libellée en ces termes :
« Je suis chargé, par la famille BLANC, soldat transporté à la Nouvelle-Calédonie et libéré probablement depuis le 15 mai 1885, immatriculé sous le N° 12178, de le rechercher pour avoir son autorisation dans le partage des biens que possède cette famille. Je vous prierai donc, Monsieur le Directeur, de bien vouloir avoir l’obligeance de me renseigner sur ce qu’est devenu ce jeune homme, sa famille pouvant rien faire, ni entreprendre sans sa procuration.
Veuillez agréer Monsieur le Directeur, l’assurance de ma parfaite considération.
Le maire
Signé : Bonnefont »
En effet, sa mère Marie BLANC, veuve depuis 1880 [10], qui s’est retirée proximité de son autre fils, Jean CIBERT, décède le 8 mars 1885 à Limons (Puy-de-Dôme).
Une réponse est adressée au maire de Crevant-Laveine le 6 mars 1888 :
« Monsieur le Maire, vous vous êtes adressé au Département de la Marine et des Colonies à l’effet d’obtenir des renseignements sur le nommé BLANC (Claude) actuellement à la Nouvelle-Calédonie.
J’ai l’honneur de vous informer que ce condamné était présent dans la colonie à la date du 1er novembre 1887 et qu’il ne figurait pas dans les états des transportés traités dans les hôpitaux à la même époque : le nommé BLANC libéré de sa peine le 15 mai 1885 est astreint à résider en Nlle-Calédonie un temps égal à celui de la condamnation qu’il a purgée (5ans).
Recevez, M le Maire, l’assurance de ma considération.
Pour le Ministre de la Marine et des Colonies »
A priori, cette réponse ne parviendra pas à son destinataire ou s’avérera insuffisante, puisqu’en juin 1888, le maire de Saint-Denis-Combarnazat, village voisin où demeure l’une des héritiers BLANC, réitère la demande :
« Monsieur le Ministre,
Permettez que je vienne vous exposez que le nommé Claude BLANC a été condamné le 10 mai 1880 à cinq ans de travaux forcés pendant qu’il était en garnison à Perpignan et par conséquent envoyé à Nouméa.
Comme il est appelé à recueillir la succession de ses parents, je viens vous prier de vouloir bien me faire connaître s’il habite toujours la Nouvelle-Calédonie, vu que sa famille n’a plus de nouvelles de lui depuis trois ans et me faire donner l’adresse s’il y a lieu. Dans l’intérêt de sa famille, j’espère, Monsieur le Ministre, que vous voudrez bien faire donner suite à ma demande.
Recevez, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon plus profond respect.
Le maire
Signé : Gorce »
On ne saura rien de plus sur les conditions de son séjour sur l’île Nou, le dossier individuel qui le suivait dans le pénitencier n’ayant pu être récupéré par le service des Archives.
La Dépêche Coloniale Illustrée, dans son numéro du 15 décembre 1903 [11] décrit sommairement le fonctionnement de l’Administration Pénitentiaire Coloniale et permettra néanmoins au lecteur de se faire une petite idée des conditions de vie des forçats.
En fin de compte, ce sont cinq ans de travaux forcés qui se transforment en vingt ans d’exil et de souffrance au bout du monde, sans le moindre espoir de revenir...
Les faits commis pour un butin que l’on peut considérer comme dérisoire aujourd’hui (vol d’un litre d’eau-de-vie, du fromage, d’objets de mercerie tel que du fil , du coton, et d’une somme d’un franc et soixante-cinq centimes), méritaient-ils une condamnation aussi lourde et un destin aussi tragique ?
20 ans d’exil ! Et la mort à la clef...
En effet, j’ai eu la chance, par un pur hasard, de retrouver son acte de décès :
"Claude BLANC, domestique, célibataire, natif de Saint-Martin-le-Coq [sic] (Puy-de-Dôme), fils de BLANC Marie et de père inconnu, est décédé à l’âge de 45 ans, à l’Ile-Nou [12] le lundi 30 avril 1900 à six heures trente du matin, sur la déclaration de Jérôme Michel Modeste CHAMBON, âgé de 42 ans, et Jean Joseph Antoine PASCAL, âgé de 39 ans, tous les deux surveillants militaires."
A-t-il pu refaire sa vie sur ce petit bout de paradis situé à 17.000 km à vol d’oiseau de l’Auvergne ? Ou bien était-il toujours en état d’arrestation lors de son décès, même s’il y est décrit sous la profession de domestique (Les forçats étaient souvent affectés à des travaux au service des colons.) ? La profession des déclarants nous laisse plutôt supposer cette deuxième hypothèse.
Ensuite, a-t-il été victime d’un accident pour disparaître à un âge aussi prématuré, ou bien est-ce la maladie qui l’a terrassé ? Rappelons que le scorbut, la lèpre, la tuberculose, la dysenterie étaient alors monnaie courante et faisaient d’énormes ravages au sein du pénitencier. Autre hypothèse, la lame tranchante du bourreau aurait-elle pu aussi faire partie des causes possibles de cette disparition prématurée ?
Lire à ce sujet l’article : La Nouvelle Calédonie au temps du bagne.
Au delà des suppositions, on peut néanmoins constater que la vie n’a pas souri à cet oisillon égaré devenu un bon "caldoche", lequel a payé un prix fort le fait d’être "tombé du nid" un printemps de 1855. Terrible destin pour ce "Jean-Valjean" auvergnat pour qui un père a certainement beaucoup manqué et qui sans doute, au fond, n’était pas plus mauvais que les autres !
Enfin, pour terminer sur une note positive, rappelons que l’année 1880, date de sa déportation à l’Ile-Nou, est la dernière année qu’à passée Louise Michel à Nouméa où la célèbre "communarde" y était également exilée, mais elle depuis 1873 pour raison politique, et que sûrement leurs chemins se sont-ils croisés...
Pour conclure, si vous vous intéressez au sort des forçats de Nouvelle-Calédonie (les "Chapeaux de paille" comme on les surnommait) , je vous invite à découvrir le magnifique site de Jeff VERGNE et sa superbe collection de cartes postales anciennes : c’est ici
Un bel hommage rendu à ce drame qu’est l’histoire coloniale, et à toutes ses victimes !
Du bagne de Nouvelle Calédonie, il ne reste plus aujourd’hui que 40.000 noms oubliés, moins celui de Claude BLANC qui restera sans doute dans un coin de votre mémoire...