A la fin du 19e siècle, grâce au progrès de la mécanisation, le battage du blé au fléau est progressivement remplacé par le battage à la machine.
Dans le haut-beaujolais le paysan récolte du blé surtout pour sa consommation familiale. La terre n’est pas très fertile, le climat assez rude, les récoltes sont donc rarement abondantes.
Ce qu’on appelle en général le blé, se compose de plusieurs variétés :
- le seigle, très rustique est peu exigeant en fertilité du sol, résiste aux intempéries mais n’a pas une très bonne valeur boulangère.
- le froment, beaucoup plus exigeant pour le sol mais de bien meilleure qualité que le seigle, ne pousse pas très bien dans cette région, avec la maigre fumure et le travail de la terre de cette époque.
- le méteil, mélange de seigle et de froment semé et récolté ensemble, est le compromis de l’époque donnant une récolte plus abondante avec une qualité moyenne pour la fabrication du pain.
On cultive aussi d’autres céréales comme l’avoine, l’orge, pour la nourriture des animaux de la ferme.
Toutes ces céréales sont donc moissonnées de mi-juillet à début août par beau temps, puis « battues » quelques semaines plus tard, lorsque la récolte est sèche et que le grain a eu le temps de bien mûrir dans l’épi.
Les moissons se coupent à la faux et parfois déjà à la faucheuse tirée par des bœufs ou des chevaux, puis sont ramassées et liées en gerbes. Ces gerbes sont mises en tas appelés « mailles » ou meules, dans les champs en attendant les battages. Pendant les quelques jours précédents les battages, la récolte est rentrée dans la cour de la ferme sur l’emplacement où sera « calée » la batteuse. On y dresse de grandes mailles ou gerbiers.
Cet endroit n’est pas choisi au hasard :
- Il doit être suffisamment vaste et facile d’accès pour la batteuse. Le chemin ne doit pas être trop escarpé et permettre aux attelages de bœufs ou de chevaux d’amener le matériel.
- Il doit être plat et le plus horizontal possible. Pour bien fonctionner, la batteuse sera installée parfaitement de niveau.
Il faut un bon savoir-faire pour construire ces grandes « mailles » ou gerbiers, hauts comme une maison. Les gerbes y sont installées une à une en pente vers l’extérieur pour finir en forme de chapeau pointu. Les épis se trouvant à l’intérieur, sont abrités en cas de pluie, l’eau ruisselant seulement sur le pourtour. Pour parfaire l’imperméabilité, le gerbier est surmonté d’une cape conique en paille.
On prend beaucoup de précautions, il s’agit de la récolte de blé assurant le pain quotidien de toute la famille et le paysan lui a déjà consacré de nombreuses journées de labeur dans les champs.
- Les battages vers 1905 à la Chavanne, commune de Poule dans le Rhône
- Mon grand-père Jérémie, meunier, se trouve devant la batteuse à gauche du sac de grain. La machine est calée à coté de la maison Botton sur la route, ce qui évite de descendre le matériel dans la cour en contrebas. Deux gerbiers attendent d’être battus. C’est l’heure de la pause, le machiniste donne un coup de sifflet avant de ralentir la machine. On remarquera la tenue vestimentaire des hommes en plein mois d’août. La mode n’étant pas au bronzage, tout le monde se protège du soleil et aussi de la poussière, avec le chapeau de paille et la chemise à grandes manches.
Le jour des battages
C’est un jour important dans l’année du paysan. Ce jour-là on ne s’occupe de rien d’autre à la ferme.
Le matériel de battage
Il n’appartient pas au paysan. C’est un entrepreneur de battage qui possède et entretien le matériel et se déplace de ferme en ferme (sur la carte postale : entreprise Mercier). Il est payé à l’heure de battage par le cultivateur.
Un peu plus tard naîtront des coopératives de battage dans les communes.
La batteuse et la locomobile ou machine ne sont pas « automobiles », il est donc nécessaire de les tracter avec des bœufs ou des chevaux.
Il faut souvent atteler plusieurs paires de bœufs devant la batteuse et surtout devant la « loco », une machine à vapeur extrêmement lourde à traîner à travers les chemins pas très carrossables. Ce sont donc les paysans qui aident au charroi du matériel de ferme en ferme avec leurs attelages. Quelques décennies plus tard apparaîtront les tracteurs. Ils simplifieront beaucoup les transports du matériel et l’entraînement de la batteuse.
En arrivant à la ferme, généralement de bon matin, les machinistes s’affairent aux préparatifs. Il faut d’abord préparer et allumer la chaudière, caler la batteuse, ils alignent ensuite la « loco » et posent la courroie entre la chaudière et la batteuse.
Il faut bien deux heures pour tout installer.
Lorsqu’il s’agit de petits propriétaires, ce qui est le cas dans le haut-beaujolais, la batteuse s’installe dans le hameau chez l’un d’eux. Les autres cultivateurs voisins amènent leur récolte en dressant plusieurs gerbiers, de façon à ne pas déplacer la batteuse pour seulement quelques heures de travail.
Les hommes
Pour assurer la bonne marche du battage, une équipe d’environ quinze hommes est nécessaire :
- 2 machinistes ou entrepreneurs assurent le bon fonctionnement de la machine (chauffe, entretien, graissage, etc ...) et engrènent à tour de rôle la batteuse c’est à dire engagent régulièrement à la main, des poignées d’épis dans le batteur qui tourne à grande vitesse.
- 2 hommes sur le gerbier approvisionnent la machine en prenant les gerbes une à une avec une fourche pour les amener sur le plancher de la batteuse.
- 2 hommes sur la batteuse défont les gerbes en coupant le lien et préparent les poignées pour l’engreneur.
- 4 à 6 hommes à la paille, la lient et la rangent dans la grange, sur un paillis, dans la cour ou sur un char. Plus tard cet effectif sera réduit avec l’apparition de la botteleuse. Elle fabriquera automatiquement des bottes avec la paille sortant de la batteuse.
- 2 ou 3 hommes, les porteurs, s’occupent du grain. Ils portent les sacs au grenier sur leur dos en montant les escaliers dans la maison, et vident le grain à même le plancher en plusieurs tas suivant la variété. Pour occuper ce poste il faut être fort et avoir l’habitude de porter les sacs de 80 à 90 kg sur l’épaule.
- 1 ou 2 hommes à la balle ou « ballou » (pellicules enveloppant le grain dans l’épi, séparés du grain et rejetées par la batteuse, source principale de la poussière du battage). La balle est utilisée comme litière des animaux à l’écurie avec la paille.
Mis à part les machinistes tous les hommes sont les cultivateurs voisins venus aider. Ils iront tour à tour aider chacun d’entre eux dans leurs fermes (on se rend les journées de battage). Si la batteuse travaille une journée dans chaque ferme, chaque paysan fera donc environ quinze jours de battage.
Chaque homme ayant acquis une bonne adresse dans une tache au fil des années,occupera souvent le même poste de travail dans toutes les fermes, sauf le patron qui chez lui abandonne sa spécialité et n’a pas de poste fixe. Il remplace en cas de besoin, donne des ordres et veille à la bonne marche de tout l’ensemble.
La mise en route et l’arrêt de la batteuse sont annoncés par le coup de sifflet de la machine, de même que les pauses (quelques minutes toutes les heures), permettant de se désaltérer au passage de la boisson, en buvant tous dans le même verre, du vin plus ou moins coupé avec de l’eau.
Les hommes sont bien occupés, dans la chaleur du mois d’août, le bruit infernal de la machine, et surtout dans la poussière dégagée par la batteuse.
Tout le monde a beaucoup de peine mais est heureux dans sa tâche.
Les femmes
Il n’y a pas de femmes autour de la batteuse, sauf pour servir à boire à la pause, ce qui apporte la gaieté, favorise les plaisanteries et même parfois les mariages ! ... Les femmes sont surtout présentes à la cuisine ou elles préparent les repas pour toute cette équipe, car pour les battages on « met les petits plats dans les grands ». Il faut que rien ne manque ! . Et puis on veut montrer qu’on n’est pas pingre à tous les paysans voisins venus aider.
Le repas, surtout le soir, a tendance à se prolonger. On en profite pour se tenir au courant de toutes les nouvelles du pays, des prix des denrées, etc...Parfois on raconte des histoires, on chante...
Généralement les machinistes ne participent pas au repas en commun. Ils mangent rapidement à la cuisine afin de « décaler » la batteuse, et ne pas perdre de temps pour partir dans un autre hameau ou les paysans attendent leur tour. Il faut profiter du beau temps, car si l’orage survient on doit tout arrêter et attendre le soleil pour tout sécher, le grain ne supportant pas l’humidité pour sa conservation.
Le lendemain
Le paysan remet tout en ordre dans sa cour et puis il monte au grenier pour voir son grain. Il le prend à pleine main, le soupèse, le sent, le regarde afin de juger de sa qualité. D’un coup d’œil il jauge son tas de blé et sait si la récolte a été bonne et si elle est suffisante pour passer l’année.
Il montera pendant quelques temps tous les 2 ou 3 jours au grenier remuer le grain avec la pelle de façon à bien le faire sécher pour qu’il ne moisisse pas. Fin septembre, le grain étant bien sec, le paysan pourra remplir 2 ou 3 sacs, les charger dans le tombereau, aller au moulin, et rapporter de la farine pour faire son pain.
Sources :
Souvenirs et mémoire familiale.