Quelques mots sur l’histoire de Benoite Menu, telle que je l’avais présentée il y a un peu plus d’un an : l’histoire d’une femme de 30 ans qui s’évaporait dans la nature, laissant deux enfants naturels, l’un de 11 ans à Maubeuge, l’autre de 9 ans à Strasbourg, une fille, Marie, mon aïeule, laissée aux bons soins de la famille de son père. Je savais juste à ce moment là que Benoite avait pris un passeport à l’intérieur pour Le Havre, et qu’elle avait quitté Strasbourg le 2 janvier 1855. Puis, plus rien. Je supposais juste qu’elle était partie vers les États-Unis, mais je n’arrivais pas à la retrouver.
Grâce à votre aide m’est arrivé ce document qui a changé pas mal de choses. Voilà la capture d’écran de la fiche de débarquement de Benoite Menu à la Nouvelle-Orléans, le 24 février 1855. Elle est venue du Havre par le steamer Lexington.
En réalité, on trouve pour elle deux fiches de débarquement. Avec la même graphie, Benoit, sans le “e” final, elle est notée une fois comme homme, une fois comme femme. Je savais déjà que chercher le patronyme “Menu” sur internet est un travail de fourmi, à cause des homophonies, et en particulier les très exaspérants menus... des restaurants ! Mais je n’avais pas réalisé jusqu’alors que son prénom, Benoite, pouvait poser problème aux Américains, qui prononcent déjà le “t” de Benoit au masculin, et qui devaient donc écrire son prénom sans “e” et très certainement sans rien y comprendre...
On ne trouve dans la liste de passagers du Lexington aucun patronyme qui pourrait correspondre à celui d’un de ses voisins de Strasbourg. Pas non plus de patronymes du village de Surbourg (entre Haguenau et Wissembourg), dont était originaire le père probable de Marie, Antoine Grusenmeyer. Seul le patronyme de Frédéric Pfeiffer, que j’avais relevé à Strasbourg, figure juste avant elle sur la liste des passagers. Mais on peut le suivre facilement aux États-Unis, il fait souche, a une femme et des enfants, et rien ne permet de le rapporter à Benoite Menu dans son histoire américaine.
Une autre âme charitable m’a aidée en me fournissant les fichiers du recensement de la Nouvelle-Orléans en 1860. Vu la taille de la ville, il m’a fallu deux mois pour venir à bout des huit monstrueux fichiers aux transcriptions parfois approximatives. J’ai appris nombre de choses passionnantes sur la vie là bas, mais rien sur Benoite Menu.
Après quoi, suivant encore d’autres conseils avisés, je suis retournée l’été dernier aux archives de Strasbourg, chercher comment on pouvait, par les moyens plus ou moins détournés, retrouver des informations sur le séjour américain de Benoite. Mes recherches ont d’abord porté sur la recherche d’une tutelle familiale pour sa fille Marie, 9 ans en 1855. Une enfant mineure ne peut pas être laissée à une garde quelconque sans qu’un acte judiciaire ne le permette. Les archives de la justice sont fragmentaires. J’ai dépouillé avec parfois pas mal d’émotion des registres très abimés sur lesquels on voyait à l’occasion des traces de pneus... Je n’ai rien trouvé, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait rien eu.
Je suis alors passée aux archives notariées. Sur Strasbourg, seuls certains notaires ont fourni aux archives des actes accompagnés de répertoires, par dates, et parfois par noms. Parmi ceux là, j’ai eu la chance de retrouver le notaire de Laurent Bataille, chez qui la jeune Marie Menu avait été laissée. Je n’ai trouvé aucun acte concernant Marie, alors que j’ai, entre autre, retrouvé la donation au dernier vivant entre Laurent Bataille et sa femme, Anne Marie Grusenmeyer...
Je suis alors passée aux archives notariées de Soultz sous Forêt, pour rechercher un acte concernant Marie dans la famille Grusenmeyer de Surbourg. J’ai trouvé le notaire qui s’occupait des frères d’Antoine Grusenmeyer, Maître Nansé, ainsi qu’une quantité impressionante d’actes, dont un certain nombre concernaient une faillite Grusenmeyer retentissante en 1867, qui avait défrayé la chronique de l’arrondissement. Un travail très amusant, mais qui ne m’apportait rien sur Benoite.
Cette faillite a dirigé mon attention sur les Grusenmeyer, et sur le village de Surbourg, sur lequel je me suis mise à enquêter. J’ai donc découvert l’ampleur des migrations des villages alsaciens d’Outre-Forêt vers les États-Unis, depuis parfois le XVIIIe siècle. En recoupant un certain nombre d’informations de sources très variées, j’ai fait une liste des habitants de Surbourg de la génération de Benoite partis aux États-Unis, en me disant qu’elle était peut-être partie rejoindre quelqu’un qui était connu de sa belle-famille ?
Au détours de mes recherches aux archives, je m’étais aussi rendue compte que l’un des frères Grusenmeyer, un des deux qui avaient eu maille à partir avec la justice en 1867, était parti en catastrophe aux États-Unis. On retrouve dans les archives notariées conservées à Strasbourg une procuration qu’il a envoyée à sa femme en juillet 1867, qu’il a fait rédiger en anglais par le notaire public de la ville de Syracuse, État de New York, une petite ville située pas très loin des chutes du Niagara.
J’ai constaté que beaucoup des habitants de Surbourg avaient fait souche, ou au moins étaient passé par cette région des États-Unis située au nord de l’État de New York, entre Buffalo et Syracuse. Beaucoup y sont agriculteurs. Certains travaillent dans la métallurgie. Des Pfohl sont épiciers, et régulièrement condamnés pour coups et blessures. Leur fils disparait à cette même époque, il est recherché par la police après avoir braqué tous les commerçants d’une rue de leur ville (et il est mineur !). Bref, toute un pan de l’histoire quotidienne de ces alsaciens expatriés mais qui se serrent les coudes, se marient entre eux et s’accueillent les uns les autres m’a été dévoilé. J’y ai recherché Benoite Menu, principalement dans des recensements de population, en 1860, ou même par endroits 1865. Mais pas de Benoite Menu.
En revanche, d’autres Grusenmeyer me sont apparus. Certains s’installent en Ohio, à Hamilton County près de Cincinnati en particulier. Mais ils ne restent que quelques années, avant de rentrer en France. Il était impossible de dépouiller tous les fichiers d’Hamilton County, mais Benoite Menu ne figurait pas parmi les voisins des émigrés de Surbourg connus de moi entre 1860 et 1870.
À ce point de mes réflexions, je me demandais bien comment j’allais faire, quand, par hasard l’autre jour, je suis tombée, en parcourant le site My Heritage, sur le dépouillement de journaux de l’époque. J’ai donc, bien sûr, demandé Benoite Menu, et voici ce que j’ai obtenu :
- Traduction : “... à 10 dollars. Veste d’homme de 2 à 16 dollars. Pantalons de 1 à 4 dollars. Apporter le matériel et les tapis. S’adresser à ou envoyer une lettre par la poste à B. Menu, n° 282, 7e Avenue, entre 17e et 28e [rues]...” Source : www.my heritage.fr rechercher journaux.
“B. Menu”, ce n’est pas exactement Benoite Menu, mais enfin ça s’en rapproche quand même de façon encourageante, et l’orthographe du patronyme est exacte. Le travail de couture correspond exactement à son métier, elle a toujours été couturière. La modicité des sommes demandées correspond à un simple travail de couture, pas à un travail de tailleur. B. Menu devrait donc être une femme. Reste à la localiser. Quand on demande sur Google Maps le croisement 7e avenue, 27 et 28e rues, seule New York, dans les plus grandes villes américaines, donne un résultat : à Manhattan, dans l’actuel quartier de Chelsea, qui vient juste d’être bâti à l’époque, puisque la date est donnée, 1859. Un quartier qui est justement peuplé de pas mal de français (les Français représentant environ 1% de la population de New York, ce n’est pas vraiment une concentration, mais ce qui s’en rapproche le plus !).
Dans la foulée, j’ai recherché le recensement de 1860 à Chelsea, dans le Ward dans lequel elle habitait, puisque la petite annonce donne l’adresse précise. Je ne l’ai pas trouvée. Je n’ai trouvé aucun patronyme que je connaisse, en particulier personne de Surbourg.
Il ne me restait plus qu’à chercher dans les décès entre 1859 et juin 1860 (le recensement commence au 1er juin). Pas de Benoite Menu, ni de B. Menu comme dans la petite annonce. J’ai donc demandé Benoite M ! Et il m’est arrivé cette réponse :
Un simple “M”, une femme, morte le 3 août 1859, à Manhattan, dont personne ne semble rien savoir, même pas son prénom, et rien, absolument rien de son état civil. Le “M” doit très certainement sur l’acte de décès original être la première lettre d’un patronyme plus ou moins illisible, car aucun employé d’état-civil ne pourrait se contenter d’écrire une simple lettre. Les fichiers ne sont pas numérisés, quand on clique sur “afficher le document” on est poliment avisé du fait qu’aucun document en ligne n’est disponible (et c’est vrai pour tous les autres du même fichier).
Là encore, même si rien ne prouve qu’il puisse s’agir d’elle, il est plausible que ce puisse être elle, de retour à New York courant 1859, avant de reprendre le bateau pour la France, et retrouver Antoine Grusenmeyer qui était libérable de l’armée au premier janvier 1860. Le timing est bon.
Naturellement, on ne sait rien de l’endroit où elle aurait habité pendant les quatre années de 1855 à 1859. Il me paraît peu probable que ce soit New York, sinon pourquoi aurait-elle pris le bateau pour la Nouvelle-Orléans en 1855 ?
J’aimerais vos avis sur mon enquête. Qu’est-ce que j’aurais pu manquer comme piste de recherche ? Est-ce que vous pensez que le scénario selon lequel elle est revenue à New York courant 1859, et qu’elle y est morte pendant l’été, est réaliste ? Je suis impatiente de lire toutes vos remarques !