Contexte historique
Il nous faut maintenant expliquer le contexte historique de la présence, au bord de l’Aisne, de cette section de projecteurs.
Cette fois, nous en sommes sûrs : les Compagnies du Génie à Braine et Brenelle sont la 69/1, la 22/13, la 7/12 remplacée ensuite par la 4 / 15 T. Le Génie est aidé dans ses travaux par le 64e et le 111e Territorial.
Elles font partie de la 69e Division d’Infanterie. La 69e DI en 1914 est composée du 48e BCP, des 251e, 254e, 267e, 287e, 306e, 332e Régiments d’Infanterie.
Son artillerie divisionnaire est composée ainsi :
1er groupe : les 30e et 31e batteries du 46e Régiment d’Artillerie de Campagne (R.A.C) ; la 36e batterie du 44e RAC.
2e groupe : les 32e et 33e batteries du 46e RAC et la 31e du 29e RAC.
3e groupe : les 35e et 41e batteries du 28e RAC et la 37e du 50e RAC.
A partir du 12 octobre 1914, et jusqu’au 22 février 1916, cette Division occupe un secteur vers Condé-sur-Aisne et Moussy-sur-Aisne, en relève de l’armée britannique.
C’est auprès de ces batteries d’artillerie qu’arrive en juin 1915 « notre » section de projecteurs du Génie, projecteurs employés pour éclairer le champ de bataille lors des tirs de nuit et pour éclairer le ciel pour la défense contre-avions [1].
- souvenir de mon cantonnement 1er/ 6 /1915 22/ 2/1916
Les premières batailles du Chemin des Dames
La contre-offensive lancée sur la Marne à partir du 5 septembre 1914 permet aux troupes françaises et anglaises d’atteindre l’Aisne le 13 septembre entre Venizel et Berry-au-Bac.
Pendant que la cavalerie du général Conneau s’avance dans la plaine jusqu’à Sissonne entre les 1re et 2e armées allemandes, des unités du 18e Corps de la 5e armée française et des bataillons du 1er corps d’armée britannique prennent pied sur le plateau du Chemin des Dames.
Mais le 14 septembre voit l’arrêt de la progression franco-britannique. Côté allemand en effet, des troupes arrivées de Maubeuge (7e corps d’armée) et de Lorraine (15e corps) permettent de constituer une 7e armée qui s’intercale entre la 1re et la 2e armée.
Les Britanniques doivent creuser leurs premières tranchées le 14 septembre sur les pentes sud du Chemin des Dames, entre Vendresse et la sucrerie de Cerny.
Du 15 au 20 septembre, chacune des deux armées cherche à percer le front adverse entre Cerny et Craonne au prix de pertes importantes.
De nouvelles tentatives ont encore lieu du côté allemand du 26 au 29 septembre, puis côté français le 30 septembre et du 12 au 14 octobre, sans résultat décisif.
Dans la première quinzaine du mois d’octobre, les trois corps d’armée britanniques intercalés entre la 6e armée française à l’ouest et la 5e armée à l’est sont progressivement relevés par des troupes françaises.
JMO de la 31e batterie du 29e Régiment d’Artillerie de Campagne : « 12 octobre (1914) : matinée de repos. A 15 heures, départ. Etape sur Braine et Chassemy où la batterie arrive à 20 heures. Remplacement d’une batterie anglaise. Il faut attendre qu’elle ait quitté ses positions. Installation sur le plateau, en bordure de la « Rue d’en Haut » à 23 heures. 13 octobre : à 2 heures, la batterie est complétement installée. Les hommes cantonnés dans les carrières. Les avant trains et l’échelon sont cantonnés à Brenelle. Dans la journée, mise en position des pièces, pièce par pièce. La batterie reçoit la surveillance de la zone comprise entre la ferme de Folemprise et la Raperie de l’Ange Gardien. L’observatoire est près de la batterie sur une meule. L’absence de téléphone empêche de la porter plus en avant, ce qui nous donnerais de meilleures vues sur la vallée… » |
Le 29 octobre, les Allemands lancent une attaque en direction de Vailly-sur-Aisne qui leur permet en quelques jours d’occuper le bourg et de franchir l’Aisne mais ils ne peuvent dépasser le canal.
Du 6 au 13 novembre, une dernière tentative française de reprendre le plateau entre Ostel et Braye se heurte à une vive résistance allemande à La Cour-Soupir et à Chavonne.
A partir de la mi-novembre 1914, commence sur le Chemin des Dames une guerre de positions qui durera jusqu’au printemps 1917 [2].
L’affaire de Vailly (octobre 1914)
« Après divers mouvements stratégiques, le 287e RI s’était fixé le 14 octobre dans les tranchées du secteur Vailly-Maison-Grise et Chassemy, entre l’Aisne et la Vesle.
- Extraits du JMO du 287e RI
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- Extraits du JMO du 287e RI
Le 30 octobre, Vailly était l’objet d’une furieuse attaque allemande, en la présence olympienne du Kaiser. Le 5e bataillon du 287e fit face héroïquement et ne céda le terrain que pied à pied, écrasé par le nombre et perdant une grande partie de son effectif ; le reste fut fait prisonnier.
Les Allemands essayèrent de poursuivre leur avantage et de forcer le pont du canal. Ils s’y heurtèrent encore au 6e bataillon qui leur interdit le passage.
C’est dans ce secteur que le 287e mena dès lors la guerre de siège jusqu’au 20 février 1916, une guerre marquée de nombreux engagements, qui ne déplacèrent pas les lignes » [3].
- Vailly carte allemande d’octobre 1914
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Combats de Chavonne (novembre 1914)
A Chavonne, c’est le 208e RI qui est en défense : « Le 2 novembre 1914, l’ennemi attaque et bouscule les chasseurs du 48e BCP et les fantassins du 254e RI. Le 3e bataillon (du 208e RI) vient en soutien du 48e BCP tandis que le 2e soutient le 254e RI.
L’ennemi est stoppé, le 2e bataillon arrive à Saint-Mard et le 3e prend position à Pont Arcy. Plus tard, le 1er bataillon vient remplacer le 2e.
Le 5 novembre, l’ensemble du régiment rejoint Brenelle en vue d’une attaque de Soupir et d’approcher Saint Mard Le 6 novembre, le 3e bataillon aidé de Tirailleurs reprend le parc de Soupir et permet de libérer des blessés.
Le 7 novembre, le 2e bataillon se trouve en réserve à l’est de Saint Mard, les autres se trouvent au nord de Soupir. Le 8 novembre, le brouillard permet d’attaquer Chavonne mais ce brouillard disparaît et stoppe net les compagnies ! Cette attaque est reprise à minuit mais sans le résultat escompté.
Le 10 novembre, après une préparation d’artillerie, le 1er bataillon… aidé d’un bataillon du 43e, attaquent à l’est de Chavonne et passent l’Aisne.
Les mitrailleuses allemandes arrêtent cette attaque, il faut aller repasser l’Aisne. Vers 16h, le lieutenant-colonel Wiriot reçoit l’ordre de repli vers Brenelle, réalisé durant la nuit » [4].
JMO du 3e Groupe d’Artillerie de la 69e Division d’Infanterie [5] : « 15 octobre (1914) : Départ de Soucy à 1h. Arrivée à Brenelle vers 13 heures. La 35 / 28 à la nuit va occuper une position de Batterie anglaise, près de Presles et Boves. La 44 / 28 sur le plateau entre Brenelle et Chassemy. Les échelons et les avant trains restent à Brenelle. |
- Chavonne
- Chavonne et Soupir
Ces deux cartes sont extraites du JMO de la 138e Brigade d’Infanterie (Octobre 1914) [7].
Soupir (2 novembre 1914)
« Il s’agit de remplacer les Anglais dans leurs tranchées au nord de Soupir, à la lisière nord-ouest des bois de la Bovette. Le mouvement a lieu dans la nuit du 13 au 14 octobre…/…
Dans ce nouveau secteur, pendant dix-huit jours et dix-neuf nuits, le 48e bataillon (de Chasseurs à Pied) doit subir un feu progressif d’artillerie, préparatoire à une attaque de grande envergure.
Le 1er novembre, l’activité redouble dans les lignes ennemies, spécialement dans le bois de la Cartonnerie…Le lendemain, jour des Morts, à 6 heures du matin, les projectiles lourds s’abattent en grand nombre sur les positions françaises… Sous cette pluie de fer les tranchées et les boyaux s’effondrent.
Les réseaux de barbelés…sont réduits en miettes. De nombreux chasseurs sont ensevelis dans les abris, la plupart des fusils sont mis hors d’usage. A 9 heures les Allemands surgissent en masse du bois de la Cartonnerie.
Par deux fois la 8e compagnie et une partie de la 9e s’opposent à l’assaut. Décimés, privés de leurs officiers blessés, elles sont refoulées…Les deux autres compagnies du bataillon ont à s’opposer à deux fortes colonnes allemandes précédées de mitrailleuses. Sur ce terrain bouleversé…les chasseurs se défendent avec courage, mais péniblement.
La droite de notre ligne est bientôt cernée, et la gauche enveloppée…/… Tout cet héroïsme est impuissant à endiguer le flot allemand dont la masse, continuellement renouvelée, déborde fortement la droite de notre front…/… Il est 16 heures.
Une heure plus tard, l’ordre est donné de barrer la route de Bourg-et-Comin face à Soupir.
Vers 18 heures les restes du bataillon, suivant les instructions d’un commandant du 123e régiment d’infanterie, établissent une tête de pont au nord de Pont-Arcy.
Au cours de cette chaude journée, les mitrailleurs ont eu particulièrement à souffrir.
Encerclés dès le début… il ne restait qu’une chose à faire : essayer de se replier…/… Les Allemands débouchent entre la ferme de Matz et la corne est du bois de la Bovette.
A la nuit… Une quarantaine de chasseurs exténués, dont une dizaine de blessés, traverse l’Aisne sur un pont de péniches et se replie sous un feu violent d’artillerie, dans la direction de Courcelles… » [8].
Contre attaques sur Soupir et Chavonne ( début novembre)
A partir du 5 novembre, la 1er Division d’Infanterie est engagée dans les contre-attaques françaises, à la suite de l’action allemande sur Soupir : passage de l’Aisne [9].
Composition : 1er, 43e, 84e et 127e Régiments d’Infanterie.
Le 6 novembre, elle attaque et reprend Soupir. Du 7 au 14 novembre, elle combat vers Soupir et Chavonne. Puis, ces régiments occupent et organisent un secteur vers Chavonne et le canal de l’Oise à l’Aisne.
Début décembre 1914, la 1re DI est retirée du front et est au repos vers Rosnay.
A partir du 16 décembre, elle part pour la Champagne.
L’historique du 1er RI raconte les combats de Soupir [10]
« … Il s’agit d’arracher aux ennemis Soupir et les hauteurs avoisinantes qu’une offensive récente vient de leur livrer et d’où ils maîtrisent le passage de l’Aisne et de son canal latéral. Le 8e régiment d’infanterie a enlevé le village mais l’auréole de crêtes reste aux mains des allemands avec les fortes positions de la Cour Soupir et de Croix-sans-Tête qu’immunisent d’épais réseaux de fils de fer barbelé. Ce sont ces organisations redoutables que le 1er de Ligne reçoit mission d’entamer.
Alerté le 6 novembre, il franchit l’Aisne et son canal sur un pont de bateaux et des passerelles improvisées. Le lendemain il manoeuvre sous la mitraille pour prendre position de combat en liaison avec le 8e régiment d’infanterie et le 9e régiment de tirailleurs dans le ravin à la sortie nord de Soupir.
Le 1er bataillon soutient l’attaque. La compagnie Blanc, section par section, se glisse à l’est du village dans les rues désolées, se rabat vers le centre en longeant le mur du cimetière pour éviter le feu de l’ennemi et par un brusque mouvement de conversion à droite débouche dans le ravin.
Enlevée par son capitaine, elle s’élance avec impétuosité sur le glacis qui mène à la Cour Soupir. Mais les allemands concentrent leur tire sur ce point de passage obligé qu’est l’extrémité du mur du cimetière. Les cadavres s’accumulent en monceaux. Les survivants progressent quelques instants, puis valides ou blessés se collent sur le sol pour échapper au feu allemand. …/… Dans la partie ouest de Soupir, les 1er et 2e Compagnies déployent le même courage sans éprouver plus de succès.
Elles progressent rapidement à l’entrée du ravin ; mais là un feu nourri les accueille et ralentit leur avance. A 40 mètres de la tranchée allemande, la ligne d’attaque décimée vacille un instant et se terre sur le sol. A la tombée de la nuit, le bataillon se reforme à la limite nord du village et rejette une violente contre-attaque.
Les 8 et 9 novembre, cachées par un brouillard opaque, les différentes unités sont successivement retirées de la fournaise. La vie en secteur reprend avec ses paysages lugubres, ses monotones et humbles souffrances. Le 5 décembre, le régiment est relevé par le 254e. »
L’historique du 43e RI raconte, lui, les combats de Chavonne [11]
« …/… Le 30 (octobre 1914), alerte à 4h25 ! Une brigade ayant été obligée de céder du terrain entre Vailly et Chavonnes, le Régiment reçoit l’ordre de protéger son repli et d’empêcher toute poursuite de l’ennemi.
Par Braine et Brenelle, les 2e et 3e Bataillons atteignent, après avoir essuyé un très violent feu d’artillerie, les localités de Presles, de Boves et de Cys-la-Commune, où ils se retranchent fortement.
Les patrouilles lancées les jours suivants au-delà de l’Aisne signalent une faible occupation de Chavonnes ; l’attaque de ce village fut ordonnée le 6 (novembre), mais la position de cette localité, accrochée au versant qui domine la rive droite de l’Aisne, avantageait la défense.
Echelonnées le long de la pente, les habitations favorisent les défenseurs qui, des soupiraux des caves, battent les approches du village.
La 12e Compagnie qui attaque par le Sud est arrêtée avant d’atteindre les premières habitations ; la 11e, qui agit vers l’Est, ne peut passer.
D’autres tentatives auxquelles se mêlent tour à tour toutes les unités du 43e, se poursuivent presque chaque jour jusqu’au 13 novembre : elles demeurent vaines.
Le feu meurtrier de l’ennemi cause chaque fois des ravages profonds dans les vagues d’assaut. Devant cette résistance acharnée, le Commandement s’abstient de toute action nouvelle et donne l’ordre de mettre le terrain conquis en état de défense.
Après avoir occupé le secteur Soupir-Montsapin, le Régiment est relevé dans la nuit du 1er au 2 décembre… »
La guerre d’usure (décembre 1914 - février 1916)
« De la fin de 1914 au commencement de 1916, c’est pour le 254e R. I, comme pour la plupart des régiments d’infanterie, la guerre d’usure dans tout ce qu’elle a de plus ingrat, et l’on pourrait dire d’anémiant, autant en ce qui touche au moral qu’au physique des combattants.
Il faut un continuel appel à toutes les énergies pour maintenir constamment à l’état de tension voulu, chez nos hommes, les qualités du soldat et ses vertus guerrières.
Tenir un secteur pendant des mois et des mois, avec, pour tout horizon, ce qu’on voit par les créneaux étroits des tranchées de 1re ligne ; en y accomplissant ce travail de Pénélope qu’est l’entretien des organisations défensives sans cesse détruites par le feu et par le fer de l’ennemi, toujours rétablies aussitôt après le passage de l’ouragan, et cela sous la menace perpétuelle de la mort aveugle, qui exerce ses ravages à toute heure et sur tous les points du front, au hasard, massacrant ici quelques isolés au repos, pulvérisant ailleurs des unités entières sur leurs emplacements de combat ; réaliser, en somme, ce prodige infernal qui s’appelle « tenir » : telle a été l’oeuvre aussi héroïque qu’obscure du 254e R. I des derniers jours de 1914 aux premiers mois de 1916 » [12].
Les compagnies du Génie sont à pied d’oeuvre pour les travaux de fortifications dès octobre 1914 ; elles sont aidées par les soldats territoriaux. D’après le JMO du Génie de la 69e DI [13] : 12 octobre 1914 : relevage des Anglais par la 69e DI ; le 15 la Cie 22 / 13 installe son atelier à Braine ; le lendemain le Général Commandant la 69e DI visite les tranchées de 1re ligne. Le 18 octobre : le 111e Régiment Territorial est mis à la disposition de la Division. Le 20, arrivée de la 16 / 3 du Génie. Elle est remplacée dès le 23 par la 5 / 14. 31 octobre : " dans l’après midi, à 15 h 30, arrivée de la Cie 7 / 12 venant de Besançon pour être mis à la disposition de la 69e DI, elle est envoyée au cantonnement à Chassemy. Du 20 au 25 novembre : travaux dans le Bois de Chassemy. |
Les troupes se reconstituent grâce à de nombreux renforts. Elles cantonnent dans les villages autour de Braine. Elles occupent les tranchées, organisant solidement leurs positions.
Tous s’adonnent de leur mieux à cette tâche : il faut empêcher les Allemands de passer l’Aisne...
La lecture des Journaux de Marches et Opérations des régiments d’Infanterie, d’Artillerie, des Compagnies du Génie présents sur place est passionnante !
Dans nos prochaines présentations commentées des « photos du camarade Bonon », nous découvrirons quelques épisodes de ces mois au front au pied du Chemin des Dames.
Prochain article à paraître en mai : La creute de la ferme des Bovettes.