« tu connais Adrien FAURE ?
« Non jamais entendu parler, mais tu sais nos parents ne nous parlaient pas de la famille ! »
Pierre FAURE avait 6 ans quand son frère Adrien est venu au monde le 24 avril 1894 dans le petit village de Idaux-Mendy du canton de Mauléon-Licharre dans les Pyrénées.
Au même titre que son frère, il n’aura pour tout le restant de sa vie qu’une mère et pas de père , Madeleine FAURE élèvera ses trois enfants sans époux déclaré.
Tisserante puis sandalière, elle fabriquera des espadrilles, produits régionaux dont Mauléon Licharre en est la capitale.
Adrien a passé son enfance à Idaux-Mendy avec son frère et sa sœur, Marguerite née en 1904.
Il est de la classe 1914, il est temps de passer le conseil de révision. Inscrit sous le matricule 2245, ce cultivateur de 1 mètre 53 aux cheveux châtains aura une exemption définitive pour infantilisme.
Bien qu’ayant une exemption, mais en ce temps de conflit mondial, il est affecté, à 23 ans, au 7e Régiment d’infanterie colonial (R.I.C) de Bordeaux ou il y arrivera le 23 mai 1917. Il n’y restera que 7 mois et passera au 8e R.I.C en janvier 1918. Il terminera son temps sous les drapeaux au 1er R.I.C le 2 octobre 1919 et se retire à Idaux. Il sera resté tout le temps de la guerre en base arrière.
De 1920 a 1935, plus de nouvelles d’Adrien, il ne se marie pas. Vit-il durant cette période avec sa mère à Idaux ? On le retrouve à Mauléon-Licharre, ou il déclare vivre au 41 rue de Navarre depuis le 29 juillet 1935.
Plus étonnant, on le mentionne vivre au 7 rue Vouillé à Paris le 23 mars 1939 et puis il est rappelé à l’activité le 31 mai 1940 au dépôt d’artillerie 318. Il n’est pas démobilisé.
Puis plus rien, je ne retrouve plus de trace du tonton et, par hasard, je tape
Adrien FAURE sur un moteur de recherche. Je tombe sur le site (dossier-pedagogique.le64.fr/arkotheque) un procès verbal de la police judiciaire de Pau sur un attentat commis en gare de Mauléon-Licharre en 1943.
Je fais la retranscription complète de l’enquête menée par la police judiciaire de PAU.
« Pau le 3 mars 1943
Enquête concernant le sabotage de wagons allemands en gare de Mauleon
FAITS
Par ordre de service de répartition de la gare de PUYOO, 64 wagons allemands (tombereaux et plats-formes de 20 à 40 tonnes) ont été remisés en gare de MAULEON. Ce matériel est arrivé dans cette ville en quatre reprises différentes : 21 novembre 1942 : 13 wagons, 25 novembre : 15 wagons, 26 novembre : 19 wagons et 27 novembre 17 wagons.
61 de ces wagons étaient neufs. M de SAINT MARC, chef de gare de MAULEON les a fait placer sur les voies de garage 6 et 8.
ENQUÊTE
Il a été constaté sur les lieux que sur 128 demi-tuyaux d’accouplement pour freins, 81 ont été volontairement coupés à l’aide d’un couteau ou d’un tranchet.
Ces tuyaux (conduites d’air comprimé), d’un diamètre de 6cm sont constitués par un fil d’acier en spirale recouvert de caoutchouc et de toile. Ils sont tous à l’état de neuf, mais les coupures les ont rendu inutilisables.
De plus quatre des verrous retenant les montants des wagons plates-formes ont été ouverts, libérant les montants qui sont tombés par terre.
Interrogé M. SAINT MARC, né le 9 aout 1898 à SAINT JUSTIN (Landes) de feu Justin et de Marie Louise DUPOUY, marié, onze enfants, chef de gare à MAULEON a reconnu qu’au début de janvier 1943, le chef cantonnier CASENAVE Jean, l’a prévenu que quelques tuyaux d’accouplement étaient détériorés. Après contrôle, il a pu s’assurer que 7 à 8 demi-sections étaient soit coupées soit déchirées.
Pour éviter les ennuis d’une enquête administrative, M SAINT MARC n ’a pas signalé le fait à ses chefs.
Il espérait, en raison du petit nombre de tuyaux coupés, que le matériel quitterait MAULEON sans que les détériorations soient remarquées d’autant plus que ces freins étaient inutilisables, étant donné que leur écartement ne correspond pas aux voies ferrées françaises.
M SAINT MARC en congé du 12 au 23 janvier a été remplacé M LARTIGAU de la gare de PAU. Lorsqu’il a repris son service, il n’a pas contrôlé l’état des wagons placés sous sa garde et ce n’est que le 20 février dernier que, l’adjudant de gendarmerie de MAULEON l’ayant invité à effectuer un contrôle complet du matériel allemand, il a constaté l’importance des dégradations.
Les huit employés de la gare de MAULEON ont été longuement interrogés. Tous sont d’accord sur le fait que cette gare reste jour et nuit sans surveillance, que les enfants du quartier en ont fait un terrain de jeux et que tout le monde peut y circuler sans risqué de contrôle.
Dans les premiers jours de janvier, le chef cantonnier CASENAVE Jean, 38 ans, a remarqué que plusieurs tuyaux d’accouplement étaient coupés, il a immédiatement avisé le chef de gare M SAINT MARC.
MASFETY Bernard, 32 ans, facteur mixte, a appris chez son tailleur, qu’un sabotage avait été commis sur les wagons allemands et que la ville aurait une amende d’un million à payer. Il a immédiatement prévenu son chef de service M SAINT MARC.
CAZES Emile, 50 ans, brigadier à la SNCF n’a appris les faits que vers le 10 février, c’est-à-dire que quelques jours avant que les gendarmes ne commencent leur enquête. Il a rendu compte à M SAINT MARC.
Enfin, CELNAY Michel, 53 ans, homme d’équipe, a remarqué entre le 12 et le 16 janvier 1943, que 75 a 80 % des tuyaux étaient coupés. Il a immédiatement fait part de ces faits à M LARTIGAU, faisant fonction de chef de gare.
Mme SAINT MARC née BARBE Suzanne, 41 ans, épouse du chef de gare se souvient que dans les premiers jours de janvier, entre 11 et 15 heures, un individu dont elle donne un signalement assez complet a circulé environ pendant une demi heure entre les wagons allemands, paraissant s’intéresser plus particulièrement aux inscriptions et aux attelages. Elle ne l’a pas vu commettre les dégradations , mais pense que cet pourrait ne pas y être étranger.
Mme SAINT MARC s’étant souvenu qu’elle l’avait revu en compagnie d’ouvriers de la ville, il a pu être procédé à l’identification de l’intéressé grâce au témoignage de M ETCHEBARRE Jean pierre, 38 ans.
Il s’agit de FAURE ADRIEN, actuellement employé à la poudrerie de TOULOUSE.
En ce qui concerne les montants en fer détachés des wagons plates-formes et jetés dans la fosse à réparations, il a pu être établit qu’il ne s’agissait pas d’acte de malveillance, mais de jeux d’enfants.
Pour sa part, le jeune SARAILLET, 10 ans, reconnaît en avoir fait tomber deux.
DOUX Pierre, 11 ans a également avoué que par jeux, il a dévissé au moins un tuyau d’accouplement, mais il se défend de les avoir détériorés.
L’individu mis en cause a été retrouvé à TOULOUSE et interrogé : FAURE Adrien, né le 24 avril 1894 à IDAUX-MENDY (Basses Pyrénées), de père inconnu et de feu Madeleine FAURE, célibataire, manœuvre, domicilié 41 rue de Navarre à MAULEON, actuellement requis civil à la poudrerie de TOULOUSE, qui, dés le début de son audition a avoué être l’auteur des dégradations. Il a agi à deux reprises différentes et ne peut expliquer le mobile de son geste.
Cet ouvrier qui paraît simple d’esprit affirme qu’il a agi seul, sans conseil ni complice. Il a remis le couteau qui lui a servi à commettre son acte.
Averti, M le Juge d’instruction à PAU, a délivré contre FAURE Adrien, un mandat d’amener télégraphique.
Ce mandat a été notifié à FAURE, qui a été placé sous mandat de dépôt par M le procureur de la république de TOULOUSE en attendant son transfèrement à PAU.
EN RÉSUMÈ
L’enquête a abouti à la découverte de l’auteur des dégradations commises sur le matériel allemand en gare de MAULEON, le nommé FAURE Adrien. Toutefois, il est bon de noter que cet ouvrier, simple d’esprit, n’a certainement pas réalisé l’importance ni la gravité de ses actes.
Les investigations n’établissent pas qu’il est membre d’une organisation extrémiste ou qu’il ait agi par ordre. Nous nous trouvons certainement en présence de l’acte d’un isolé, peu intelligent qui n’est même pas capable d’expliquer les mobiles de son geste.
Signature Le commissaire de police judiciaire.
Jugé par la cour d’appel de PAU ( je suis toujours à la recherche du jugement ), il est condamné à 5 ans de réclusion pour atteinte à la sureté de l’état. Il est transféré à la prison de EYSSES à VILLENEUVE SUR LOT le 15 octobre 1943.
Sur la liste des prisonniers de EYSSES, il est indiqué « condamnation annulée par chambre de révision de PAU le 10 novembre 1943, mais la aussi je n’ai pas trouvé le document. Si la condamnation était annulée pourquoi n’est il pas libéré ? Pour les deux documents, il faudra un déplacement aux archives de PAU.
Quoiqu’il en soit, Adrien n’est pas libéré et demeure à la prison de EYSSES. Le centre de détention devient le lieu de rassemblement le plus important de prisonniers politiques condamnés par le régime de VICHY. En octobre 1943, il reçoit la majeure partie des détenus politiques venant de l’ensemble de 24 prisons en majorité de la zone sud.
Le 3 janvier 1944, 54 prisonniers parviennent à s’évader.
Le 19 février 1944, une bataille est déclenchée à l’occasion de la visite de l’inspecteur général des prisons : 1 200 rrésistants de 23 nationalités détenus dans ce site se rendent maîtres des lieux dans l’espoir de gagner les maquis du Lot-et-Garonne. Ils font prisonnier le directeur de la centrale, un dénommé Chivot, milicien, ainsi que 70 gardiens et membres du personnel. Dans sa première phase, l’opération est une réussite mais à 17 heures l’alerte est donnée par des prisonniers de droit commun. Les groupes mobiles de réserve (GMR) interviennent ainsi que l’artillerie allemande et après plus de treize heures de lutte, les prisonniers se rendent après avoir obtenu l’assurance du directeur de la centrale qu’il ne serait pas exercé de représailles. Darnand, le secrétaire général de la milice,se rend sur place et ordonne la tenue d’une cour martiale.
Le 23 février, à 6 heures, 12 « mutins » sont condamnés à mort et fusillés à 11 heures, par un peloton de gardes mobiles et de gendarmes.
Seule révolte armée en milieu carcéral au cours de l’occupation, le soulèvement collectif du 19 février 1944 a permis au bataillon FFI de se rendre maître de la prison. Le manque de soutien extérieur n’a pas permis la réussite de l’évasion.
Suite à cette rébellion, les prisonniers sont livrés le 30 mai 1944 par l’état français de VICHY à la division S.S Das Reich. Près de mille prisonniers sont chargés dans des camions à destination de la gare de penne d’Agenais. Mais une centaine doit effectuer le trajet à pied sous les hurlements et les coups des SS.
Transférés au camp de Compiègne, où ils arrivent le 2 juin, Adrien et ses camarades sont déportés à Dachau par le convoi du 18 juin 1944, le convoi i.229.
Après leur arrivée au camp de concentration de Dachau, Adrien est transféré dans un camp annexe : HERSBRUCK sous le matricule 73432 .
L’objectif de ce Kommando est d’installer une usine souterraine pour la fabrication de moteurs d’avion. Le travail des détenus consiste à déblayer les roches dynamitées, afin d’aménager les galeries. Pendant ses 11 mois d’existence, de mai 1944 à avril 1945, le camp compte 10 000 déportés dont plus de 4 000 y trouvent la mort.
Morts de faim, de soif, du travail forcé et gratuit pour la grande industrie allemande (en particulier BMW et SIEMENS), des coups, des tortures, des maladies, des expérimentations médicales, 400 des résistants d’Eysses y laissent leur vie. Adrien FAURE en fait partie, il sera déclaré décédé le 5 novembre 1944 à HERSBRUCK à l’age de 50 ans.
Il est déclaré » mort en déportation » par l’arrété du 17 octobre 1989. Son nom figure sur le monument aux morts de MAULEON, ainsi que sur le mémorial de la gare de Penne d’Agenais d’où il est parti pour DACHAU.
Voila qui a été ce tonton Adrien FAURE et dont personne parmi les enfants de Ginette FAURE ne connaissait l’existence.