- Adoptés par la Nation
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Une loi de solidarité nationale pour les enfants
Par la loi du 27 juillet 1917, « la France adopte les orphelins dont le père, la mère ou le soutien de famille a péri, au cours de la guerre de 1914, victime militaire ou civile de l’ennemi ». Plus de 980.000 orphelins sont concernés, pour lesquels la chambre des députés crée l’Office national des pupilles de la Nation qui est rattaché au ministère de l’Instruction publique.
Cette loi est généreuse. S’il y a cinq conditions pour y prétendre tous les cas sont prévus. L’enfant est un orphelin dont le père, la mère ou le soutien de famille sont morts à la suite de blessure ou de maladie contractée à la guerre. L’éducation et la subsistance de l’enfant est également prise en compte, y compris son invalidité personnelle ou celle d’un soutien qui s’occupe de lui.
La loi répond à une criante nécessité. La société française, encore basée sur le modèle patriarcal, voit ses forces vives se réduire comme peau de chagrin dans les combats tant en France qu’à l’étranger. Les morts et blessés concernent presque exclusivement les hommes et essentiellement les classes d’âges situées entre 19 et 40 ans, c’est-à-dire les classes les plus fécondes et correspondant aux effectifs les plus nombreux de la population active. En France, 20% des soldats âgés de 19 à 27 ans en 1914 ont été tués. Les soldats victimes de la Première Guerre mondiale laissent, selon les sources, entre 600.000 et 750.000 veuves françaises et un peu plus d’un million d’orphelins.
Le Président de la République, Mr Poincaré, s’écrie devant des orphelins de guerre « Pupille de la Nation c’est un titre, mes enfants, dont vous pouvez être fiers » Cette loi est généreuse mais des difficultés surgissent dans l’application des « Tutelles de la nation ». Pour certains enfants, il faudra attendre plusieurs années pour en bénéficier. Il existe des cas particuliers difficiles à traiter par les administrations.
Le cas d’Yvonne et d’André Préauchat.
Leur père, Victor Pierre Marie est né en 1876 à Eréac, en Côtes du Nord. La famille en est originaire depuis toujours. Il est le 2e d’une fratrie de sept dont six vivants. Il se marie avec Philomène Nogues en 1906. Leurs deux enfants naissent à Hédé, Yvonne en 1907 et André en 1911. Le couple s’installe ensuite à St Méen, rue de Merdrignac, pour y tenir un commerce-débit de boissons.
Victor est mobilisé avec ses quatre frères : François né en 1874, Henri né en 1880, Désiré né en 1882 et Eugène né en 1887.
La mort de la mère
La femme de Victor, Philomène, décède à St Méen le 16 juillet 1915.
La dernière lettre de Victor laisse penser que, s’il décède aussi, ses enfants seraient confiés au subrogé-tuteur, son frère aîné François qui est au front comme lui.
L’épouse de François, Léonie Nogues, est aussi la sœur de Philomène, mère des enfants. Elle n’a qu’un enfant et recueille probablement Yvonne et André. La présence d’un subrogé tuteur est obligatoire dans le cadre de la tutelle d’un mineur. Il est désigné par le conseil de famille parmi ses membres. Si le tuteur est choisi parmi la parenté paternelle, le subrogé tuteur est choisi, dans la mesure du possible, dans la parenté maternelle et réciproquement.
Dernière lettre de Victor [1] : Verdun, le 26 Juin 1916 Mon cher frère, Je t’écrit deux mots pour te dire que nous sommes arrivés en ville de Verdun d’hier. Tout le 10e Corps d’Armée y est. Nous sommes à de 5 km environ de la ligne de feu. C’est terrible, nous devons aller en première ligne ce soir. Mon cher François, tu sais je ne suis pas sûr de men tiré et si ji reste je te prierai de bien vouloir veiller sur mes chers petits enfants, surtout bien les faire instruire, ceci regarde en particulier le subrogé-tuteur. En fin si tu as le bonheur de t’en aller je compterai sur toi pour y faire ton possible afin qu’ils ne serai pas malheureux. J’écrit à Henri en même temps qu’à toi, à Eugène, à Mariange Nogues et à Léonie. Je te dirait que je suis en bonne santé et je (????) que tu sois de même ainsi que ta femme et ta petite fille. Je te dirait que nous navons pas dû passer loin de toi car nous avons passer tout près de Bar-le-Duc. J’ai demandé à savoir si ton secteur était dans ces parages mais je n’est obtenu aucun renseignement, nous étions tous en Camions Atos. Henri ne doit pas être loin de moi car des artilleurs mont dit que son régiment était à Verdun. en attendant le bonheur de te revoir et en espérant la protection du bon Dieu. Ton frère qui taime et qui tembrasse de tout son cœur ainsi, que tous les tiens. Victor Préauchat Caporal 247e R.Infanterie, 23e Cie Secteur 105. |
Les 3 frères de Victor, mentionnés dans la lettre, sont revenus de la guerre :
- François né le 11 septembre 1874 est décédé le 8 Mars 1949 à Lanrelas.
- Henri né le 18 janvier 1880, qui a été fait prisonnier, est décédé à Eréac le 7 février 1959. Son fils Francis, FFI en 1945, décède des suites de ses blessures à 20 ans.
- Eugène né le 1 octobre 1887 est décédé le 31 Janvier 1963 à Lanrelas. Il est titulaire de la médaille de guerre avec étoile de bronze.
- Désiré, né le 18 février 1882, mobilisé aussi, est blessé le 14 octobre 1914. Il est ensuite réformé et pensionné pour invalidité.
- Théophile né le 28 Décembre 1884 est exempté de service militaire en 1905 et réformé le 24 février 1915 pour invalidité de la jambe.
- Tourelle de Thiaumont
- C’est au pied de cette tourelle qu’est tombé le caporal Préauchat.
Elle est située à 200m environ de la nécropole de Douaumont.
La mort du Père : recherches et témoignages
Le Caporal Victor Préauchat disparaît le 29 juin 1916 à l’ouest du Fort de Thiaumont lors d’une offensive.Fin août 1917, le 247e Régiment d’Infanterie est dissous et la majorité de ses effectifs dirigée vers le 29e RI.
La procédure de recherche des disparus se met en place. En effet, dans chaque unité de l’armée, un officier est spécifiquement chargé des décès, et devient Officier d’État civil. Il a les mêmes prérogatives qu’un Maire ou un Adjoint habilité pour enquêter et enregistrer les décès.
Le 27 septembre 1917 l’officier en charge fait une demande de recherche de sépulture, afin de pouvoir statuer sur le décès de Victor Préauchat. Aucune sépulture n’est répertoriée. On ne sait pas s’il est mort ou prisonnier. On apprend que le secteur a été fouillé, des sépultures non identifiées recensées. Mais on ne trouve rien sur le caporal Préauchat.
- 27 septembre 1917
17 novembre 1917, nouvelle tentative de l’officier : la réponse rapporte l’avis de disparition dressé le 3 octobre 1916 et cite le témoignage du soldat Théophile Pointel, soldat de la même compagnie :
- 17 novembre 1917
- Témoignage du soldat Pointel
« Le soldat Pointel Théophile de la 23e Compagnie témoigne avoir vu le Caporal Préauchat pour la dernière fois le 29 juin 1916 vers 11 heures dans le trou d’obus où il était abrité en avant de l’ouvrage Z à l’ouest de l’ouvrage de Thiaumont en Bras (Meuse). Il lui a paru blessé, mais il ne peut donner aucune précision quant au genre de la blessure et à sa gravité. Ayant changé d’emplacement, le témoin a perdu Préauchat de vue et le Corps est toujours sans nouvelle de ce militaire. Rien ne permet de présumer la mort du disparu. Seule certitude, personne ne peut témoigner l’avoir vu mort. |
- 1er décembre 1917
1er décembre 1917, personne n’a retrouvé plus d’information. L’officier ne peut enregistrer le décès. Les recherches faites après la guerre pour retrouver et identifier son corps seront sans résultat.
Il faudra attendre le jugement du Tribunal de Montfort-sur-Meu de février 1921 pour que le Caporal Victor Préauchat soit officiellement déclaré décédé au combat. L’acte de décès sera alors transcrit sur le Registre des décès de Saint-Méen-le-Grand le 25 février 1921.
Le dénouement
Entre temps François Préauchat, démobilisé, a entrepris des démarches pour faire bénéficier son neveu et sa nièce de la loi. Le tribunal civil de Dinan les déclare « Adopté par la Nation » le 8 Janvier 1920. Les enfants ont respectivement 13 et 9 ans.
Conclusion
À partir de la fin de la guerre et à chaque conflit cette loi sur les Pupilles de guerre sera complétée. Quel que soit le théâtre des opérations les enfants en seront bénéficiaires, jusqu’à nos jours pour les victimes des attentats terroristes sur notre territoire ou lors des Opérations extérieures.
Le Président du Conseil Georges Clemenceau affirme à la tribune de l’Assemblée nationale que toutes les victimes « ont des droits sur nous ». Ce « droit à réparation » se concrétise par la loi du 31 mars 1919 qui est à la source de nombreux dispositifs d’action sociale : pensions, secours, emplois réservés, appareillage pour les mutilés…
La Grande Guerre, carnage effroyable, est à l’origine d’un vaste système de protection sociale qui sera complété à la Libération de 1944 [2]
Les trois documents sur les recherches du corps du Caporal Victor Préauchat, m’ont été confié par son petit fils Victor Préauchat, le fils d’André "adopté par la Nation". Mes remerciements à Mr Briand, historien local de St Méen, pour son aide. |