- Henry Wouilthryde Videau
Serge m’envoie un CD avec tous les documents recueillis, sa première synthèse et quelques recherches qu’il a pris le temps de faire.
Les « lettres et carnets » du soldat Videau sont effectivement dignes d’être publiés. Nous devrons, avec Serge, certainement encore fouiller dans la mémoire de son descendant et retrouver d’autres pistes.
Par exemple, ce prénom de Wouilthyde aurait été attribué à la naissance d’Henry Videau, né le 6 mai 1893 à Saint-Pierre d’Oléron, en souvenir de l’officier du père. Mais il n’en connaît pas l’histoire et la raison [2].
Deux, voire trois articles bien documentés sont d’ores et déjà possibles pour le Magazine Histoire-Généalogie.com
En lisant en détail les courriers envoyés à sa famille par le soldat Videau, je remarque un courrier du 24 décembre 1914 racontant un épisode de fraternisation dans les tranchées au soir de Noël. Le texte est sans ambiguïté.
Cette lettre inédite complète très bien mon article sur un autre cas de fraternisation de Noël, en forêt d’Argonne, raconté par le soldat Kléber Pouleau du 89e RI.
Le descendant de Wouilthryde Videau ayant été clair pour que les lettres soient diffusées, pour faire "CONNAITRE " comme il l’a dit à Serge Laethier, je crois donc nécessaire de publier sans attendre ce courrier révélateur.
Le JMO du 5e Cuirassiers signale seulement, à la date du 25 décembre 1914 : « dans chaque escadron, il a été organisé un arbre de Noël »
Ce simple bout de phrase laisse entendre que rien de particulier ne s’est passé ce soir là.
Pourtant, dans une lettre à ses parents du 24 décembre 1914, après avoir décrit « son paquet cadeau », Henry Wouilthryde Videau raconte bel et bien un épisode de fraternisation dont il est le témoin direct.
Voici la transcription intégrale de cette lettre, suivie de quelques notes historiques et d’un extrait du « Carnet de Guerre » tenu par Henry Videau :
« Le 24 décembre 1914
Chers Parents,
Nous sommes encore de retour des tranchées, nous allons faire réveillon au cantonnement, ce qui sera plus chouette.
Pour notre Noël, nous avons reçu chacun un paquet. Dans chaque paquet, il y avait une savonnette, une orange, du fil, éguille, une petite fiole de Cognac, 2 batons de chocolat, un petit peigne, une brosse à moustache où une glace ( et comme surprise des calepins, des couteaux, une pipe, etc.) et 10 cigarettes chacun.
C’était envoyé par les Ecoles de Tours, avec un petit mot dedans, de Joyeux Noël et Bonne Année, et quelques mots d’encouragement. C’était très bien et ça fait plaisir à tout le monde.
J’ai reçu aussi le petit paquet contenant cache-nez et chaussette, la lettre aussi me l’annonçant, et je m’empresse de vous répondre de suite.
Quand au briquet, c’est ça qui est utile. Peut être que mon oncle Ernest m’en enverra un.
J’ai reçu une lettre de lui qui m’annonce aussi qu’Angeline et Henry sont avec lui. Et que Florence a laissé son mari.
Pour le vin, l’on en touche tous les jours, de l’eau-de-vie, du chocolat, du fromage. Ce qui fait toujours défaut, c’est le tabac. Car pour se chauffer dans la tranchée l’on fume une cigarette, et les allumettes pas. Enfin, bref.
Hier, dans la tranchée, il s’est passé quelque chose qu’il faut vous dire.
En face de nous, à 30 mètres, il y avait des Bavarois, à notre gauche les Prussiens, et à droite les Saxons.
Les Bavarois sont très chics, car ils ont venu nous voir dans la tranchée ; ils nous ont dit : « Vous Françouss, tirez pas, nous non plus ».
Pendant 2 jours et 2 nuits, pas un coup de fusil.
Puis moi avec le Lieutenant, nous avons été chercher un journal Bavarois ; ils nous ont offert des cigares, des cigarettes ; le Lieutenant leur a donné un paquet de Maryland et moi 2 batons de chocolat que j’avais touché la veille ; il a fallu leur serrer la main à tout prix, puis on a retourné dans notre local.
Le lendemain matin, des fantassins des avant postes ont pris le café ensemble avec l’avant poste Boche. Et ils disaient : « Se méfier, Prussiens dans le bois à gauche, tiré dessus avec mitrailleuses » Je crois qu’ils vont faire réveillon ensemble.
Ca, j’en suis sûr, car je l’ai vu de mes propres yeux ; mais ça n’a pas été partout pareil et pas toujours.
Le paquet de flanelle et ceinture, je ne l’ai pas vu mais j’en ai touché d’autres et 10 francs avec. Mes souliers, je ne sais pas quand ils seront payés car l’on est éloigné du régiment et il faut que la liste parte au ministère et retourne ; ce n’est pas tout de suite.
Enfin voilà 2 mois que où nous sommes rendus que les Boches sont las.
Si vous m’envoyé de l’argent, envoyer moi des billets dans la lettre, c’est plus commode ; car pour toucher de l’argent c’est la scie.
Maintenant je remercie bien ma grande Cécile aimée du beau cache-nez qu’elle m’a fait, car je ne le crois encore pas que c’est elle, car c’est bien fait et épais et chaud.
Que je voudrais être auprès de vous et vous embrasser bien fort, vous serrez dans mes bras tous. J’espère que ça viendra bientôt, j’espère.
Embrassez bien Cécile, cette chère petite sœur, pour moi, ainsi que Raoul et toi Papa, et Maman, chers Parents aimés à qui je pense continuellement.
J’espère que ma lettre vous trouvera comme elle me quitte, en bonne santé et plein de courage et d’espoir en notre France bien aimée, notre chère Patrie.
Je vous souhaite à tous une bonne et heureuse année, avec l’espoir au cœur de nous revoir tous sain et sauf, dans les bras les uns des autres.
Bonne et heureuse année à tous !
Je me rappellerais de mon oncle Pierre, de Germain Papeau, Rousselot, etc ; et je me charge fort de les mettre à leur place.
Je m’arrête car je n’ai plus de place. Rappelle toi aussi Papa, que Maubeuge a été un second Metz. Le Général Persan, qui est parti au Brésil, s’est rendu sans se battre avec 48000 hommes français.
Je vous embrasse tous bien fort.
Videau Henry
Le 5e Cuirassier fait partie de la 9e Division de Cavalerie, avec le 8e Cuirassier et les 1er, 3e, 24e et 25e Dragons.
Du 31 octobre au 17 novembre 1914, il est engagé dans la Bataille d’Ypres aux combats de Voormezeele et de Saint-Eloi (1er – 3 novembre), de Pilkem, de Langemarck et de Boesinghe (6 – 14 novembre).
Le 17 novembre 1914, il est retiré du front, au repos au sud-ouest de Wormhout (Nord). A partir du 7 décembre, La 9e Division de Cavalerie arrive en Artois.
D’après le JMO du 5e Cuirassiers, le régiment part le 5 décembre de Rubrouck (Nord) à 7 heures 30 et par Saint Omer se porte 40 kilomètres plus au sud, à Esthrée Blanche, dans le Pas de Calais.
Le lendemain, 6 décembre, après 50 kilomètres de marche, il arrive au cantonnement à Conchy et Monchel sur Canche, dans le Pas de Calais, vers Frévent, à l’ouest d’Arras.
Le 14 décembre, le régiment part pour Camblain l’Abbé et cantonne à Aubigny.
Le 17, Henry Videau note dans son carnet de guerre que les Cuirassiers sont « dans les tranchées, à 50 mètres des Boches, à Carrancy. »
Les conditions de vie des Poilus et les combats sont atroces. Henry Videau raconte :
« Le 18 nous consolidons nos positions. A l’aube, nous apercevons les morts du combat du 7 et 8 septembre ; ils sont là depuis 2 mois et pas moyen de les enterrer ou d’aller chercher leurs plaques d’identité. Il y a des notres et des leurs.
Nous travaillons toute la journée à creuser dans le milieu d’une route pavée, dans la boue et la flotte jusqu’au genoux, et même en des endroits, il nous faut évacuer ; rapport que l’eau augmente toujours. Avec des seaux et boites, tout ce que l’on a sous la main, nous enlevons boue et eau, sous les balles et personne ne murmure [3].
Nous sommes affectés au 269e de ligne. Le 19, même travail et les balles et canonade semblent plus terribles.
On dirait qu’il y a quelque chose dans l’air. Nos officiers craignent une attaque des Boches. Rien de nouveau pour aujourd’hui.
Le 20 au matin, l’on reçoit l’ordre d’attaquer à 2 h de l’après midi, par un bataillon du 226e et un du 229e.
Nous, nous devons les protéger et surveiller la route par où les Boches doivent passer.
A midi 10, 2 coups de 75 donnent l’éveil. Pendant 2 h de temps, plus de 120 pièces de canons tirent sans interruption, plus de 20 000 obus sont tirés sur les tranchées boches et sur Carancy, tout est bouleversé.
On voit par les créneaux sauter des bras, des corps, des jambes en l’air, c’est affreux. _ Ils viennent tomber dans nos tranchées.
Puis, tout à coup, le canon fait silence, le clairon sonne la charge et nos fantassins d’un seul bond sont dans la 1re ligne boche.
Ils se battent à coup de baïonnette et de grenades, l’autre bataillon s’élancent sur la 2e ligne et arrivent même jusqu’au cimetière ; mais malheureusement le fil téléphonique qui servait de commandement à l’artillerie, et qui était installé dans notre première ligne, est coupé et notre 75 tire toujours mais trop court et tue de nos hommes.
Nous restons maîtres des 2 lignes de tranchées. Les Boches étant délogés veulent passer par le talus devant nous, mais nous veillons, et la mitrailleuse (Charlotte) les fauchent sans pardon.
Puis tout se retombent dans le silence, à part les cris des blessés et mourants qui sont toujours sur le terrain entre les 2 lignes. Nuit assez vive fusillade.
Le 21 échange sur le terrain de blessés. Journée tranquille. Nous mangeons quelques biscuits et singe [4], car pas de cuisine. Le 22, les Boches ne tirent plus que quelques coups de fusil. Le 23 journée qui ressemble à la précédente.
Le 24, l’on apprend que c’est des Bavarois qui sont devant nous, et que les Prussiens sont sur notre gauche. En face, les Chasseurs à pied, sur la cote 125, et qui nous prennent d’enfilade.
Le 25, Jour de Noël, les Boches et les notres vont boire le café ensemble, et vont dans les tranchées de chacun, sans armes, s’échangent des journeaux, des cigares, cigarettes.
Tout le monde fraternisent, et (ils) nous disent de se méfier des Prussiens sur notre gauche, et disent que s’ils se rendaient, que leurs camarades seraient fusillés.
La journée se passent sans incidents, sauf que chaque coté l’on a profité de cette accalmie pour fortifier le devant de nos tranchées par des fils de fer.
Le 26, les Prussiens sont devant nous. Les Bavarois nous ayant avertis, en ayant mis des guenilles blanches aux fils de fer devant les tranchées.
La fusillade recommance. 2 fantassins sont traversés par des balles à coté de moi ; je causais avec eux. Je les traîne jusque dans le fond de la tranchée.
Le 27, nous sommes relevés et retournons à Camblain l’Abbé passer la journée du 28. Repos. Le 29 nous retournons à Carancy pour soutenir une autre attaque faite par les Chasseurs alpins… »
Marcel Decobert est affecté au 269° RI, régiment composé des réservistes du 69° RI, qu’il rejoint sur le front en Artois le 8 novembre 1914 dans la région de Carency à une quinzaine de kilomètres d’Arras. Son régiment a attaqué le village de Carency le 18 décembre. A cette occasion, une compagnie du régiment y a été faite prisonnière comme il le raconte dans une lettre du dimanche 20 décembre. Il raconte ici son expérience de la « trêve de Noël » 1914 |