1570 : Les protestants de Montpellier pratiquent leur culte à Saint-Jean-de-Védas.
Le 14 août 1570, Charles IX signe l’édit de Saint-Germain-en-L’Haye par lequel les protestants recouvrent leurs biens et leurs charges, ainsi que le libre exercice de leur culte dans les faubourgs de certaines villes. L’édit stipule également qu’ils peuvent se réunir chez tous les seigneurs haut justiciers de haut haubert, c’est-à-dire lige [1] (Ch. d’Aigrefeuille, Histoire de la ville de Montpellier, Tome I, p. 472).
Montpellier n’étant pas l’une des deux villes du Languedoc dont les faubourgs sont ouverts au culte protestant, Jacques de Sarret, calviniste et seigneur haut justicier de Saint-Jean-de-Védas, décide d’accueillir les religionnaires sur son territoire. Son château leur étant ouvert, tous les religionnaires de la ville y allèrent entendre le prêche, où (comme disent nos mémoires) jeunes et vieux, hommes et femmes se rendaient aux jours ordonnés (ibidem, p. 473).
La politique royale à l’égard des protestants se durcit encore en 1571 : les ministres du culte se voient interdire de résider dans les villes où l’exercice de leur religion n’était pas permis, ce qui fut cause que les ministres Laplace, Meaupeau & Formy se retirèrent à Saint-Jean-de-Védas (ibid., p. 473) pour un temps, avant d’être autorisés à quitter leur « exil » védasien pour revenir à Montpellier.
La destruction des deux temples de Montpellier.
Les années précédant la Révocation de l’Édit de Nantes (1685) amenèrent des temps difficiles pour les Protestants de notre région, comme pour tous les Protestants du royaume. A Montpellier, on rasa successivement les deux temples dans lesquels se tenait le culte de la R.P.R. (Religion Prétendue Réformée) ; celui qui avait été bâti en 1602 sur l’emplacement de la Place Saint-Côme fut détruit en 1670 et le second temple, plus ancien que le précédent – il datait de 1589 - fut démoli en décembre 1682. À sa place, on créa la Place Chabanneau. Les Protestants ne disposant plus de lieu où se réunir dans la ville se retrouvaient dans les villages à l’écart de la ville : Lavérune, Pignan, Cournonterral et Cournonsec. Ils y célébraient leur culte dans le temple local – quand il y en avait un – ou chez le seigneur du lieu, s’il était calviniste.
1669 : Le château des Sarret toujours ouvert au culte protestant.
Saint-Jean-de-Védas, fief de seigneurs calvinistes, compte en 1669 quatre familles se réclamant de la Religion Prétendue Réformée sur soixante-quinze foyers (X. AZEMA, Dix Villages, dix visages, p. 92). Comme son ancêtre Jacques, Jean de Sarret dispose du droit de chapelle, le privilège de pratiquer un culte dans son château.
À défaut de temple à Montpellier, les religionnaires de cette ville se pressent toujours et depuis de nombreuses années aux prêches du dimanche dans le château védasien, au su de tous. Le pasteur qui officie à Saint-Jean, et dont Jean de Sarret assure la subsistance, célèbre de nombreux baptêmes, mariages et sépultures protestants dans notre village. On dénombre ainsi dans les documents conservés aux Archives Départementales de l’Hérault 43 sacrements protestants enregistrés dans la période de décembre 1682 à fin 1683, et 43 autres pour l’année 1684. L’un des mariages célébrés à Saint-Jean revêtit un éclat tout particulier.
24 avril 1683 : Henri Duquesne épouse Françoise Bosc.
Au mois d’avril 1683, le château de Saint-Jean-de-Védas est le théâtre d’un mariage de la haute société protestante française :
En ce début de 1683, Louis XIV ordonne à son Lieutenant Général de la Marine, Abraham Duquesne, d’armer la flotte de Toulon pour aller bombarder le port d’Alger, où se réfugient les pirates barbaresques qui menacent constamment le commerce maritime de la France en Méditerranée.
Cet ordre du Roi surprend Duquesne en pleins préparatifs du mariage de son fils aîné, Henri, avec Demoiselle Françoise Bosc, jeune fille de la noblesse protestante. Abraham Duquesne n’avait pas informé le souverain de ce mariage, prévu depuis quelque temps : « C’était un détail dont il ne fallait pas occuper Louis XIV, pour n’avoir pas l’air de solliciter un cadeau de noces. » (Augustin JAL, Abraham Du Quesne et la marine de son temps, Tome II, p. 438).
- Abraham Duquesne.
- Buste exposé au Musée de la Marine, Paris.
Le contrat de mariage est passé le 1er avril 1683, entre « M. Henri Du Quesne, qualifié : Marquis, comme son père, puis : baron de Valgrand, seigneur de Val-Petit, Montaubert et autres lieux, capitaine commandant un des vaisseaux de Sa Majesté, et damoiselle Françoise Bosc, fille de Messire Laurent Bosc, seigneur de Servies, conseiller du Roi en la Cour du Parlement de Toulouse, et secrétaire de sa maison et couronne de France en la chancellerie de Montpellier, et de défunte dame Françoise de Marc de la Camette de Saint-Clément. »
Henri promet « de prendre pour sa femme Mademoiselle Bosc, en face de l’église prétendue réformée dont ils font profession. » (ibidem, p. 440). Les parents d’Henri lui donnent 5 000 livres par an, la future épouse apporte une dot de 150 000 livres (ADH, 3 E 278 1).
En ce mois d’avril 1683, Henri et son père sont à Beaucaire, où ils doivent rencontrer la future épouse et son père. On avait prévu que la cérémonie religieuse ait lieu à Paris, mais le futur époux n’a pas le temps matériel de retourner dans la capitale : à Toulon l’attend le Laurier, le vaisseau qu’il doit commander dans l’escadre de son père.
Afin de demander à un ministre du culte la consécration religieuse dont a besoin l’hymen commencé par les conventions matrimoniales et hâter ce mariage, car Henri « ne veut point laisser fille et peut-être veuve, - car qui sait ce que la campagne réserve au capitaine ? – sa femme qui n’est encore que son accordée », Abraham Duquesne écrit à Colbert, le 5 avril : Je vous demande la grâce de bien vouloir faire expédier un ordre au premier ministre [du culte protestant] des environs de Montpellier de les marier aussitôt qu’il en sera requis… et ce, Monseigneur, pour ne pas perdre l’occasion de consommer ce mariage. »
Le 13 avril, Duquesne reçoit la réponse de M. de Seignelay, secrétaire du ministre : « Je vous envoie l’ordre du Roi au premier ministre de la R.P.R. que vous trouverez pour procéder au mariage de votre fils… et je puis vous assurer en cela qu’il n’y avait point d’exemple que Sa Majesté ait accordé une pareille grâce, et que ce n’est qu’à votre considération qu’elle a bien voulu passer par l’usage ordinaire. » (Archives de la Marine, Dépêches, 1683, folio 152).
Dans son ouvrage déjà cité, et auquel nous empruntons les citations ci-dessus, A. JAL commente : « En quel lieu M. Henri Du Quesne put-il profiter de la permission que le Roi accordait au général de son armée navale ? Nous n’avons pu l’apprendre. Ce fut probablement à Beaucaire que M. Henri attendit l’ordre de Sa Majesté, et que son mariage fut fait par un ministre de cette ville. » (Tome II, p. 443). Nous ne lui tiendrons pas rigueur de cette erreur de lieu, mais c’est bien dans les registres de Saint-Jean que l’on retrouve la trace de ce mariage.
Le samedi 24 avril 1683, les deux familles se présentent au château de Jean de Sarret pour y recevoir la bénédiction nuptiale. Elles ont pu entrer dans le village par l’un des deux itinéraires possibles alors : soit la Voie Domitienne (encore très empruntée au XVIIe Siècle), et en remontant l’actuelle rue Clemenceau ; soit par le Chemin des Pèlerins de Saint-Jacques (actuelle R.N. 113), en passant par notre rue Fon de l’Hospital, principale voie d’accès au village en ce temps-là. Les carrosses de la future épouse et de la Marquise du Quesne, les cavaliers et leur monture traversent à grand fracas le petit village habituellement si tranquille. Sur le bord du chemin, les vignerons au milieu de leurs souches, les bergers surveillant leurs moutons voient se déplacer un nuage de poussière, et admirent les panaches des mousquetaires, les uniformes rutilants des officiers de marine qui accompagnent le Lieutenant-Général et sa famille.
Au bout de la rue de l’Église, Jean de Sarret et ses proches accueillent leurs hôtes de marque, qui pénètrent dans la cour du château par la porte monumentale que l’on voit encore dans le domaine du Claud. La haute société protestante de Montpellier est là, pour une cérémonie qui ne pouvait se dérouler dans cette ville. Henry, âgé de vingt-sept ou environ, va épouser Françoise, âgée de seize ans ou environ. Le mariage a été bény ce jourd’huy dans le château du seigneur de Saint-Jean-de-Védas par Mons r Galafres, ministre dudit seigneur assistans Messire Laurans Bosc, père de ladite épouse, Isaac Duquesne, frère dudit époux, noble Anthoine de Thomas, seigneur de
Lavérune, cy-devant Conseiller du Roy en la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier (…), M. Jaques Sartre, ministre [de la R.P.R.] cousin de ladite épouse.
Après le départ de cette illustre société, le silence du printemps retombe sur notre village, et les védasiens d’alors n’ont pas dû se priver de commenter l’événement aussi remarquable qu’inhabituel dont le village venait d’être le théâtre.
À l’issue de la campagne d’Alger, le Roi charge le Lieutenant Général commandant son armée navale dans les mers du Levant (Abraham Duquesne), d’aller bombarder Gênes, un port dans lequel les ennemis de la France se fournissent en navires et en munitions ; Henri Duquesne fait probablement partie de l’épopée. Henri et son épouse, les deux mariés védasiens, s’installent en 1685 en Suisse, dans le canton de Vaud. Le Lieutenant-Général mourra en 1688 à l’âge de 77 ans, sans avoir abjuré le protestantisme – ce qui lui interdira d’être élevé à la dignité de Maréchal de France.
- La statue d’Abraham Duquesne, Place Nationale à Dieppe, sa ville natale.
- En arrière-plan, l’église Saint-Jacques. Photo Bertrand Legros, Dieppe.
Patrick MARTINEZ est l’auteur de trois ouvrages sur l’histoire de sa commune, SAINT-JEAN-DE-VEDAS (Hérault).
Les deux premiers, Saint-Jean-de-Védas - Images et Histoires (avril 2000), Saint-Jean-de-Védas Aux Jours d’Hier (paru en décembre 2004, d’où est tirée l’anecdote du mariage d’Henry Duquesne) présentent une foule de documents qui retracent la vie quotidienne et l’histoire, grande et petite, de la commune.
Dans son troisième livre, 31 noms en lettres d’or - Histoire des soldats de Saint-Jean-de-Védas Morts pour la France (mai 2011) l’auteur restitue le parcours militaire et les derniers combats des Védasiens Morts pour la France (14-18, 39-45 et Algérie).
Ces ouvrages sont disponibles chez l’auteur - qui est toujours à l’affût de récits, informations, photos, etc. à publier sur son village.
Contact : pat-martinez chez wanadoo.fr