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1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville

Le mercredi 16 février 2011, par Alain Denizet

Quels évènements pouvaient rompre, voire bouleverser le quotidien de nos ancêtres ? Mariages, baptêmes, assemblées villageoises, assassinat, incendie ou encore histoire de mœurs… Mais c’est une autre affaire qui met le petit village de Guillonville et le canton d’Orgères-en Beauce [1] en émoi les deux premiers mois de l’année 1849. D’étranges phénomènes attirent les savants, les prêtres, les journalistes, jettent le trouble dans la population et alimentent la controverse : Adolphine Benoît, jeune domestique des meuniers Dolléans, a la faculté d’attirer et de repousser les objets. L’intérêt est d’autant plus grand que trois ans plus tôt, une jeune fille de l’Orne, Angélique Cottin, avait manifesté les mêmes dérangements [2].

Voici la description du docteur Larcher de Sancheville qui a examiné la jeune Adolphine Benoît [3]. « Cette jeune fille électrique, âgée de quatorze ans, domestique de ferme, d’une intelligence bornée, serait douée d’une force d’attraction très extraordinaire, à l’endroit des meubles ou autres objets qui l’entourent. La première fois qu’on reconnut les effets de cette singulière faculté, la petite paysanne était en train de bercer un des deux enfants de ses maîtres ; tout à coup les deux portes d’une armoire fermée à clé s’ouvrent toutes seules, et le linge qu’elle contenait est jeté à travers la chambre, comme lancé par une main invisible. Au même instant une pelisse qu’on avait posée sur le lit voisin, enveloppe le berceau et se fixe sur elle assez fortement pour qu’on ait de la peine à l’enlever. »

Les manifestations extraordinaires ne cessent plus et se multiplient même « au grand dommage de l’électrique servante ; tantôt en effet, c’est un collier de cheval qui vient se placer sur ses épaules, tantôt des corbeilles de pain qui lui tombent sur la tête ; tantôt encore un sac vide qui la coiffe et la recouvre en entier et se colle à son corps sans qu’on puisse lui arracher. Est-elle dans une chambre, les meubles de danser et de changer de place. D’autre fois, un peloton de fil va se loger dans son dos, et toutes sortes d’objets, bouts de chandelle, morceaux de viande et (ceci devient plus grave) boucles d’oreille de sa maîtresse, se retrouvent dans ses poches et toujours à ce qu’on raconte par la seule influence de son pouvoir d’attraction et par la vertu de l’électro-magnétisme ».

Un témoin du village rapporte sa version des faits dans le journal local, l’Abeille, d’après des « témoins oculaires et dignes de foi ». Tout commence, selon lui, la suite de vol de foin en décembre 1848 chez le meunier Dolléans où la jeune fille est employée. La justice procède à des perquisitions chez un domestique soupçonné. Sans résultat. Deux jours plus tard, un incendie criminel, heureusement maîtrisé, est imputé au même domestique sous la foi du témoignage de notre jeune domestique. Deux jours après l’arrestation et la condamnation du jeune homme pour un mois de prison, commence une série de faits surnaturels : les cadenas mis aux portes disparaissent en une nuit comme par enchantement. Ne sachant plus à quel saint se vouer, la femme Dolléans demande à sa servante de « réciter à genoux les sept psaumes de la pénitence, espérant trouver dans la prière un secours contre sa peur. A peine la jeune fille s’est-elle agenouillée, qu’elle s’écrie : qui donc me tire par ma robe ? Et le cadenas disparu apparait pendu dans son dos. Grand émoi et nouvelle épouvante dans la maison. » La jeune servante est ensuite sujette aux manifestations dépeintes par le docteur Larcher citées plus haut.

Que faire ? Envoyer « la jeune fille électrique » au repos à l’hospice de Patay pendant cinq jours. Elle y retrouve une vie normale et réglée. Mais dés son retour chez ses maîtres, les prodiges reprennent et redoublent de mystère : les lois de l’apesanteur sont même défiées puisque des planches appuyées sur une seule de leur extrémité se tiennent en équilibre.

Les sceptiques qui subodorent une supercherie demandent une surveillance de tous les instants. Il leur faut voir de près. La mission est confiée à la sœur de la maîtresse Dolléans, « femme plein de sagacité et de bon sens ». Durant 15 jours, elle exerce une surveillance de jour comme de nuit. « Hé bien ! Il a été impossible de découvrir à mademoiselle Dolléans la moindre tromperie dans cette jeune fille. Les faits se reproduisaient chaque jour avec une intensité croissante. »

Lassés, les maîtres renvoient la jeune fille chez ses parents à Péronville et cette « pauvre enfant recouvra aussitôt la tranquillité ». Tout rentra alors dans l’ordre jusqu’au mercredi des Cendres où la petite fille des maîtres âgée de deux mois est à son tour l’objet de faits surnaturels : son bonnet s’envole subitement de sa tête, des ustensiles de cuisine se précipitent sur elle, les médailles et même le crucifix attachés à son cou disparaissent par magie. Notre témoin conclut : « tout le monde crie au maléfice, au sortilège ». Les journalistes de l’Abeille se rendent sur place et les témoignages recueillis « d’hommes sages, témoins oculaires, des prêtres, des médecins » corroborent celui de leur correspondant. Si chacun s’accorde – avec quelques variantes - sur ces manifestations étranges, les désaccords sont grands quant à leur origine. Comment expliquer ces faits ?

Pour le l’Abeille et le clergé, la jeune fille est possédée par le Malin. Il faut donc exorciser. Le curé de Cormainville raconte : « voici ce que j’ai fait : sans soupçonner ni attaquer personne, après m’être bien assuré par moi-même que les faits étaient réels, j’ai conduit des témoins en nombre suffisant et très dignes de foi à nos supérieurs ecclésiastiques de Chartres qui bien convaincus de la vérité des faits et sans en être nullement étonnés m’ont excité à faire les exorcismes et c’est ce que j’ai fait suivant en tout point ce qui est dans le rituel et le jour même l’obsession a disparu entièrement à la grande joie des pauvres fermiers qui desséchaient de chagrin et de peine. Tout ce qu’il y avait dans le journal l’Abeille était vrai et mille autres faits de ce genre ». L’abbé Lecanu, docteur en théologie du clergé de Paris, en fit une preuve de l’action diabolique dans son ouvrage « l’histoire de Satan », publié en 1861.

Que disent les scientifiques ? A propos du cas similaire de la petite Angélique Cottin en 1846, Louis Figuier estimait qu’elle était prise d’un « état électrique qui existe naturellement chez certains poissons et qui peut se montrer passagèrement chez l’homme à l’état pathologique [4] ». Les émanations électriques qui se déploient à partir du corps sont alors une théorie en vogue. Figuier relate donc le cas d’Adolphine Benoit sans remettre en cause ses états convulsifs et ses conséquences. Quant au docteur Henri Roger, agrégé de la faculté de médecine de Paris, il reprend les informations du docteur de Sancheville dans le journal Le Constitutionnel et à l’instar de la commission médicale qui avait observé Angélique Cottin, se montre circonspect sur la réalité des faits.

Troisième explication : la supercherie, de vrais tours de magie… La commission Arago qui examina la fille Cottin avait conclu que les mouvements brusques des objets s’expliquaient par « des manœuvres habiles et cachées des pieds et de mains ». C’est aussi la thèse du chartrain Morin, un temps sous-préfet de Nogent le Rotrou et bon connaisseur des superstitions populaires. Après enquête, il jugea que la domestique aidée d’un complice avait dupé un entourage bien crédule [5] dont l’esprit était formaté pour accepter l’idée de manifestations démoniaques. C’est que le Malin était réputé pouvoir s’incarner dans des jeunes filles en proie aux troubles de la puberté, mais aussi dans les feux-follets (ou flambarts) ou encore dans les loups-garous, croyances encore bien vivantes en ce milieu du XIXe siècle.

Et qui, le temps de cette affaire dans ce petit village, se conjuguent – ou s’affrontent, c’est selon – avec les progrès de la science et la foi catholique.


[1Sud de l’Eure et Loir.

[2Les journaux, les sommités médicales et scientifiques s’étaient emparé du cas.Une commission, présidée par le savant Arago, l’avait examinée à Paris. Angélique n’avait pas alors reproduit ses états « électriques » et son cas avait été classé sans suite.

[3Journal l’Abeille, 14 mars 1849.

[4Louis Figuier, Histoire du merveilleux dans les temps modernes, tome 4, Paris, Hachette, 1860 pp. 199-200. Les poissons en question sont le silure, la raie, le gymnote et la torpille.

[5Cité par Sevrin, croyances populaires et médecine supranaturelle en Eure etLoir au XIXe siècle. RHEF, année 1948, volume 32, n° 121 p. 296.

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15 Messages

  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 16 février 2011 12:50, par André Vessot

    Merci Alain pour ce texte qui décrit les phénomènes qui bouleversèrent ce petit village de Guillonville. Il n’est certes pas aisé d’y voir clair entre les croyances religieuses, les superstitions, supercheries et autres ...
    D’ailleurs peut-on tout expliquer scientifiquement ?
    La réalité est parfois bien déconcertante.
    En tout cas je trouve très intéressant que vous nous ayez rapporté ces faits, que l’on pourrait probablement trouver dans de nombreux villages de nos campagnes.

    Bien cordialement.

    André VESSOT

    Répondre à ce message

  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 18 février 2011 18:37, par Hélène Leboeuf

    Bonjour.

    J’ai adoré votre texte.

    Pourquoi la jeune paysanne, et ensuite le bébé de la maison, n’auraient-elles pas pu subir une "agression" de la part d’une pauvre âme en peine qui aurait erré dans la maison, sans pour autant qu’elles soient "possédées" du "démon" ?

    Je ne crois pas à "une possession par un démon" mais à une "pauvre âme en peine" qui serait "enfermée" dans un endroit sans que personne s’en soit rendu compte qu’au moment où cette pauvre âme en peine se manifeste "sévèrement" en persécutant une personne, en l’occurence la jeune paysanne et plus tard, le bébé de la maison.

    J’espère lire ENCORE d’aussi beaux textes.

    Hélène Leboeuf
    Trois-Rivières, Québec

    Répondre à ce message

  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 19 février 2011 07:50, par Gérard Petit

    Et si quelques phénomènes électriques étaient dus au lieu et non à la personne ? Dans un moulin, il peut y avoir certains frottements susceptibles de produire de l’électricité statique....

    Répondre à ce message

  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 19 février 2011 23:05, par Michèle

    On pourrait aussi penser à un phébomène de télékinésie , phénomène touchant particulièrement des adolescents perturbés.Mais le fait que le bébé soit touché aussi infirme cette hypothèse...

    Michèle

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  • Bonjour à toutes et à tous.

    Merci pour cette intéressante contribution. Je crois me souvenir qu’il existe peut-être une autre explication à ces phénomènes paraît-il assez courants en campagne.

    Ils seraient connus sous le nom de "petite hantise", et figureraient dans maint rapport de gendarmerie (j’emploie le conditionnel, car je n’ai jamais vérifié la chose).

    Pluies de pierres sur les toits, objets "animés",... seraient alors en général liés à la présence dans le voisinage d’un(e) adolescent(e) en puberté.

    Robert

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  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 25 avril 2011 18:04, par Anne-Marie GILBERT-TEMPLIER

    Merci Alain, j’ai aimé cette histoire, et pourquoi cette petite Adolphine âgée seulement de 14 ans avait simplement trouvé le moyen de retourner chez ses parents. La vie n’était pas tendre avec ces enfants.
    Cordialement
    Anne-Marie GILBERT-TEMPLIER

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    • En 1849 il n’est pas certain que les parents d’Adolphine aient apprécié son "retour au foyer" ! L’époque voulait que les jeunes gagnent rapidement "leur croute", et Adolphine n’était pas pour rien "placée" chez des particuliers un peu plus fortunés que ses parents !
      N’oublions pas que des gamins de 10 ans à peine, trimaient dans les mines ! A 14 ans, Adolphine était "presque favorisée" de travailler dans une famille de fermiers !

      Répondre à ce message

  • Qu’est-ce qui est le plus surprenant :

    • Que de tels phénomènes aient été observés à l’époque ?
    • Que de tels phénomènes ne sont plus observés aujourd’hui ?

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  • De troublants phénomènes se sont également produits au Moulin de Perbet, en Haute-Loire...

    Répondre à ce message

  • Il s’agit d’un site près de Laussonne (43) où se sont déroulés de nombreux faits paranormaux, pendant des années et sur plusieurs personnes. De nombreux sites internet en font état.Cordialement.

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  • 1849 : La « jeune fille électrique » de Guillonville 10 mai 2014 23:20, par Michelle Schott

    Bonjour Alain
    Malheureusement j’ai passé par le même ( enfin presque ) problème et c’était horriblement stressant pour moi, mais les raisons étaient completement differentes car à l’époque de votre réçi, le plastique n’existait pas.
    J’avais 21 et j’habitais à New York, et tout ce que je touchais, je recevais une décharge électrique.
    Je ne sais pas pourquoi ( et seulement l’hiver) j’étais chargée d’électricité statique.
    Je donnais la main à quelqu’un et recevais un choc. D’un chien aussi,de la poignée de la voiture. Quand je mettais les cléfs dans la serrure pour ouvrir la porte. À chaque fois on entendait le bruit de la décharge et si il faisait nuit on voyait une étincelle. C’etait très traumatisant. Mais j’étais la seule quand je touchait quelqu’un provoquand une décharge à sentir le choc. L’autre personne, non !Les chiens non plus.
    Je n’ai aucunne idée pourquoi j’étais si chargée d’électricité statique, qui n’avait rien de surnaturel.
    En revenant au Brésil j’ai mis un certain tant à avoir le courage d’ouvrir une poignée de voiture moi même, malgrés qu’au Brésil cela n’est jamais arrivé.
    À New York, quand je passais près de sacs en plastique, ils se collaient à moi. J’était obligée de faire un grand cercle autour de ma tête pour me coiffer car mes cheveux suivaient la brosse et réstaient droit sur ma tête !!!
    Par contre aujourd’hui j’ai vu souvent sur la TV5 des magiciens qui font apparaitre et disparaitre des trucs sans que l’on ne perçoive rien. C’était peut être le cas à l’époque ?
    Votre histoire m’a amusée mais m’a rappellée de mauvais souvenirs.
    Michelle

    Répondre à ce message

    • Il m’est arrivé très récemment de petits faits troublants et inexpliqués. Le premier : buvant mon thé, je pose ma petite cueiller, retournée, à côté de ma tasse. J’y découvre 3 poinçons de tailles et formes différentes que je n’avais jamais observés. Je me précipite pour chercher une loupe. Je reviens près de ma tasse et ô, surprise, les poinçons ont disparu !
      2e fait : je fais des recherches dans un registre paroissial des baptêmes de Matzenheim, Bas-Rhin, période 1727 à 1773. Je trouve ce que je cherche et édite l’acte de baptême de mon ancêtre né en 1736. Je poursuis mes recherches, toujours dans le même registre et, au bout de 5-10 minutes, n’ayant trouvé aucun autre ancêtre me concernant, je vais à mon imprimante et me saisis du document édité. Surprise ! Il y a un autre document édité : l’acte de naissance de mon arrière-arrière grand’mère, née 124 ans après (en 1862), dans une commune différente (Rothau, Bas-Rhin). De plus, cet acte de naissance est édité en 2 exemplaires, mal centré, la marge de gauche pratiquement inexistante et il manque également les premières lignes de l’acte. Ce document, je n’avais aucune raison de le chercher et de l’éditer puisque je le possédais déjà depuis plusieurs années. Pour cette même raison, il n’a pas pu rester dans la mémoire de mon imprimante que je ne possède que depuis 5 mois. Si quelqu’un a une explication à me donner ...

      Répondre à ce message

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