Les voyages forment la jeunesse
Pour prendre le bon air, on m’expédiait chez ma grand-tante Marie, à Lézinnes dans le sud de l’Yonne. C’était toute une expédition, on prenait le bus, le 129, un vieux bus à plate-forme, avec le receveur (à l’époque, on savait recevoir) bardé avec sa machine à oblitérer les tiquets, sur le ventre. En outre il revenait à chaque arrêt, sur la plate-forme tirer le cordon de la sonnette pour prévenir le chauffeur que tout était en ordre.
Donc départ de La Boissière, quartier de Montreuil, débarquement à la mairie de Montreuil pour prendre le métro. Arrivé sur le quai, il y avait un autre receveur muni d’une pince à faire des trous dans nos tickets, « J’suis le poinçonneur de Montreuil’ » Ensuite, fallait changer à Nation, arpenter les longs couloirs couverts de carreaux de faïence blancs, avec cannes à pèche et bagages pour attraper la ligne Vincennes-Neuilly pour descendre à Gare de Lyon.
La gare de Lyon c’était notre Roissy en ces temps. Le train était déjà en gare, fallait arriver de bonne heure pour se trouver une bonne place, c’était encore des wagons en bois avec une porte par compartiment, on s’installait sur les banquettes faites de lattes en bois, après avoir monté les bagages dans les filets. La locomotive à vapeur attelée, c’était le départ, le train était omnibus jusqu’à Dijon, il s’arrêtait à toutes les gares, fallait bien compter 6 heures pour faire les 200 kms. À Laroche-Migennes on changeait de loco, le chef de gare en grand apparat, drapeau rouge sous le bras, tonitruait "Laroche-Migennes, Laroche-Migennes, 15 minutes d’arrêt" .
- Au premier plan l’auteur et Annick. derrière de gauche à droite, la mère d’Annick, ma mère avec ma sœur Michèle dans ses bras et la tante Marie
Enfin arrivé à Lézinnes, il y avait toujours un comité d’accueil composé d’une trentaine de personnes armées de carrioles à bras pour les bagages, la gare étant un peu excentrée, pour accueillir les Parisiens, des "congés-payés" venus passer leurs trois semaines au bon air.
Une anecdote en passant, mon grand-père l’Alfred, était marchand de couleur à La Boissière il ne fermait jamais sa boutique en août, c’était la période où il vendait le plus, peintures et papiers peints, aux "congés-payés" qui profitaient des vacances pour rafraîchir leurs habitations.
En septembre, il prenait quelques jours de congés, pour aller taquiner le gardon à Lézinnes chez sa sœur. Il avait, auparavant, acheté une tête de mouton pour faire les asticots nécessaires à ses forfaits, en ces temps reculés, cela n’existait pas en boîte.
Donc il transportait sa tête de mouton bien faisandée dans le compartiment unique. Ingénieux, il l’installait dans le filet d’en face de sa place, parce que, je ne vous dis pas l’odeur et les asticots qui s’échappaient du colis et dégringolaient sur la tête des passagers du dessous.
La tante Marie louait une petite maison sans confort, (il y avait la cabane au fond du jardin) avec des granges et une grande cour, à la sortie du village, près de la rivière, l’Armançon bordée de grands peupliers où les corbeaux croassaient dès le matin.
Mon amie d’enfance, Annick, une petite gonne de mon âge, dont les parents tenaient un bouchon dans le vieux Lyon, venaient passer ses vacances chez la tante Marie. On allait aussi à la pêche, au grand désespoir du grand-père qui passait plus de temps à démêler nos lignes qu’à se consacrer à son loisir favori.
L’Armançon était une belle rivière qui ne connaissait pas encore les nitrates et les pesticides, il y avait encore des joncs, dans les rapides, qui faisaient le bonheur des gitans rempailleurs de chaises, et des nénuphars dans les calmes. Une multitude de poissons l’habitaient, vairons, goujons, gardons, vandoises, barbeaux et quelques truites farios sauvages.
On allait pêcher à l’abattoir, les deux bouchers du village avaient encore le droit d’abattre, il y avait une rigole qui emmenait le sang des bêtes tuées dans la rivière, les poissons affluaient, et quand nous arrivions à escher nos hameçons avec du sang caillé, on faisait un malheur d’ablettes et de barbeaux. On ramenait notre pêche, filoche pendante, pour que tout le monde la voie, à la tante Marie, qui était chargée de les vider, écailler et frire pour améliorer l’ordinaire.
Le soir venu, on allait à la ferme des Larbouillat, avec notre pot en aluminium, chercher le lait, tout chaud, sorti manuellement du pis des vaches. La tante Marie faisait son fromage, elle était équipée en fraisure et faisselle et nous concoctait des chaources délicieux et des fromages blancs.
Chaque semaine, il n’y avait pas d’éboueur, on mettait les déchets de la semaine, tous ceux qu’on n’avait pas pu brûler, dans la brouette en bois, que l’on allait vider à deux kms à la décharge. Chaque mercredi, à la salle paroissiale, il y avait cinéma ambulant (genre Paradisio) cela permettait de flirter un peu, dans la pénombre, sur le banc, avec les copines.
Le dimanche on allait à la messe, ma tante étant très pieuse, c’était obligatoire, cela donnait l’occasion de lorgner sur les filles des hobereaux du château qui avaient leurs places réservées aux premiers rangs, avec même leurs noms gravés sur des plaques en laiton, bien astiquées. C’était la séparation des sexes, les hommes à gauche, les filles à droite.
Mais on était heureux, c’était les vacances.