- Carte de Poulo-Condore du XIXe siècle
Bulletin des Amis du Vieux Hué,
N°2, avril-juin 1925, planche IX.
Au début du XVIIIe siècle, les Anglais prirent pied à Poulo-Condore car en 1702, ils furent obligés de quitter l’établissement qu’ils avaient fondé à Chousan en Chine. Ils installèrent dans l’archipel de Poulo-Condore une factorerie et un poste militaire. Ils y restèrent peu de temps car la garnison anglaise fut massacrée le 3 mars 1705 par les soldats indigènes [1].
Une vingtaine d’années plus tard, en 1721, la Compagnie des Indes française prescrivait à son ordonnateur à l’île de France le commis Renault de faire voile pour Poulo-Condore afin d’en évaluer la capacité à y établir un établissement. La frégate Danaé de la Compagnie des Indes partit de Lorient le 7 mars 1721. C’était un navire de 550 tonneaux armés de 32 canons [2]. Il appartenait à la Compagnie des Indes et son capitaine était le chevalier Joseph Chauchard de la Vicomté. Son équipage était composé de 135 hommes (une désertion et un homme resté à terre au départ).
Un missionnaire de la Compagnie de Jésus, le père Jacques, embarqué à bord de la Danaé relate cette occupation anglaise et son séjour dans l’archipel pendant neuf mois du 8 septembre 1721 au 1er juin 1722. C’est ainsi qu’il écrit dans une lettre adressée de Canton le 1er novembre 1722 à l’abbé Raphaelis : « L’île de Poulo-Condore est soumise au roi du Cambodge. Les Anglais l’avaient achetée dans le siècle précédent et avaient bâti un fort à la tête du village ; mais, comme ils étaient en petit nombre et obligés à se servir de soldats malais, ils furent tous égorgés, il y a environ 20 ans, et leur fort fut démoli : on en voit encore aujourd’hui les ruines. Depuis ce temps l’île est rentrée sous la domination des Cambodgiens. »
Il précise dans cette même lettre que « son voyage de France en Chine a duré près de seize mois et que la fameuse île d’Orléans [3] ou Poulo-Condore a été la cause de ce long retardement. Je partis du Port-Louis le 7 mars de l’année 1721, sur une frégate de la Compagnie des Indes nommée La Danaé, commandée par M. le Chevalier de la Vicomté. Nous avions sur notre bord une compagnie de soldats, que l’on devait débarquer à l’île d’Orléans, pour la joindre à une autre, qui y avait été transportée l’année précédente. Nous avions aussi deux ingénieurs du Roi, l’un desquels avait le titre de commandant de l’île. » [4].
A son retour en juillet 1723, le commis Renault rédigea un mémoire qu’il adressa à ses chefs pour donner son avis sur l’implantation de la Compagnie des Indes dans l’archipel de Poulo-Condore. Il donna un avis très pessimiste qui poussait peu à s’installer dans cet archipel. Il s’exprime en ces termes :
« Poulo-Condore, ou Ile de Condor, que les gens du pays appellent Conon est la capitale et la seule (île de l’archipel) qui soit habitée […] Il est peu d’endroits qui soient si affreux et si stériles. Les bords des îles et des îlots sont partout escarpés et impraticables […]
Nous avons semé et planté des graines de France par plusieurs reprises pendant les deux saisons que nous nous sommes trouvés ici, mais rien n’est levé […] Il n’y a point de source dans cette île. […]
La construction d’un fort dans cette île demanderait de grandes dépenses et souffrirait de grandes difficultés […] Il est aisé de voir qu’il est fort difficile aux Européens de s’établir et de se fortifier solidement ici. Il faudrait beaucoup de temps, d’argent et de monde, et non pas une poignée d’hommes faibles et de rebut et propres à rien. Il faut nécessairement faire venir d’ailleurs les provisions nécessaires et qu’elles soient bien assurées. Et-cela est très difficile et dangereux dans l’exécution, tant du côté des vaisseaux malais qui rôdent dans ces mers communément, des moussons qui durent six mois, d’une guerre qui peut survenir, de la défiance qui pourraient avoir des rois des pays voisins, avec lesquels il faudrait faire un traité, que de mille autres inconvénients dont les gens de mer et de commerce sont assez instruits. D’ailleurs, s’établir ici sans savoir comment subsister, c’est vouloir vivre sans manger. »
Et sa conclusion est sans équivoque : il conseille un abandon de l’île. Il écrit : « Voilà une description exacte et sincère de l’île Condore, ou île d’Orléans qui nous paraît être une île à abandonner plutôt qu’à occuper. […] » [5]
A la suite de ce mémoire, de la mésaventure de la Galatée sur la côte de Champa et de l’implantation d’un comptoir en 1723 à Canton par la Compagnie, il n’y eut aucun projet d’installation de la Compagnie des Indes en Cochinchine et à Poulo-Condore. Il fallut attendre beaucoup plus tard (1743) pour que la Cochinchine attire de nouveau l’attention de Friell, le neveu du Dupleix.
L’équipage de la Danée nous est connu par les rôles d’équipage détenus au Service historique de la Défense à Lorient. Nous avons retranscrit dans le fichier EXCEL ci-joint ceux du désarmement dont les originaux sont conservés sous la cote 2 P 20-V.9 et consultables sur microfilm. Seul l’équipage est noté, il n’est pas inscrit la liste des soldats et passagers. Dans ces rôles d’équipage, nous relevons uniquement sept décès pour la campagne. Mais dans son courrier daté du 1er novembre 1722, le père Jacques indiquent qu’avant d’arriver à l’île Bourbon, les hommes à bord de la Danaé sont malades et que déjà ils ont jeté dix sept hommes à la mer et donc probablement un grand nombre de soldats [6].