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Une jeune fille morte retirée du Rhône

Accident, suicide, ou crime ?

Le jeudi 1er novembre 2007, par Michel Guironnet

« Je me rappelle une jeune femme qui avait une tête fine, longue et pâle.

Elle attendit longtemps...
Quand je partis, elle attendait encore. Ce n’était pas son mari, car, sur la petite malle qu’elle avait à ses pieds, il y avait écrit : « Mademoiselle ».

Je la rencontrai quelques jours plus tard devant la Poste ; les fleurs de son chapeau étaient fanées, sa robe de mérinos noir avait des reflets roux, ses gants étaient blanchis au bout des doigts.

Elle demandait s’il n’était pas venu de lettre à telle adresse : Poste restante.

" Je vous ai dit que non.
- Il n’y a plus de courrier aujourd’hui ?
- Non. "

Elle salua, quoiqu’on fût grossier, poussa un soupir et s’éloigna pour aller s’asseoir sur un banc du Fer-à-Cheval, où elle resta jusqu’à ce que des officiers qui passaient l’obligèrent, par leurs regard et leurs sourires, à se lever et à partir.

Quelques jours après, on dit chez nous qu’il y avait sur le bord de l’eau le cadavre d’une femme qui s’était noyée. J’allai voir. Je reconnus la jeune fille à la tête pâle... »

Jules Vallès, L’enfant (1878)

« Le premier septembre mil huit cent soixante treize, neuf heures du matin, nous Jean Louis Théodore Deshayes, maire de la ville de Condrieu, officier de l’Etat civil... avons transcrit ci-après au présent registre l’extrait à nous transmis par Mr le Juge de Paix du canton de Condrieu ainsi qu’il suit :

« D’un procès verbal dressé le vingt neuf août mil huit cent soixante treize, Jean H... ? Juge de Paix du canton de Condrieu, il résulte qu’il a été le même jour, à sept heures du matin, retiré du Rhône à Condrieu, au lieu dit du Four à Chaux, le cadavre d’une jeune fille dont le signalement suit.

JPEG - 14.7 kio
vue du port de Condrieu XIXe siècle

Paraissant être âgée de vingt à vingt deux ans, visage rond, nez petit, bouche petite, menton court, yeux roux, front rond, cheveux châtains ; ensemble de la figure annonçant de l’embonpoint, l’oreille gauche portant une boucle d’oreille en or garnie au milieu de quatre pierres bleues dites dormeuses à médaillon rond.

Taille un mètre cinquante six centimètres, le corps a une déviation de la colonne vertébrale avec concavité à droite, et forte saillie de l’omoplate de ce côté.
Cette déviation était dissimulée par un bourrelet en coton appliqué sur l’omoplate gauche.

Devant avoir séjourné dans l’eau de six à huit jours.
Vêtue d’une robe alpaga noir avec pèlerine de même étoffe festonnée, fermant avec des boutons en bois recouverts de fil noir ; et un camée en cuivre formé de trois plaques rondes émaillées ayant chacune un verre rouge taillé au milieu, une perle dorée entre chaque plaque et une semblable pendante de chaque côté de la plaque inférieure ;

Ceinture élastique avec fermoir acier garni au milieu de deux boutons de nacre, chemisette fond blanc avec filet noir formant une croix de Malte, caracco ? à baleine crochetant devant avec mécanique en fer, levé derrière ; deux jupons en coton blanc dont l’un est marqué avec ces initiales JB, pantalon en coton blanc, chemise en toile marquée EB ; bas en coton blancs jarretière élastique à raies rouges et bleues, bottines claquées à patin et à caoutchouc.

Cette constatation faite, nous avons reçu du Docteur Charrier le serment voulu, et l’avons invité à procéder, en notre présence, à l’examen minutieux du cadavre pour reconnaître à quelle cause doit être attribuée la mort de cette fille.

Le présent extrait délivré à Monsieur le Maire de Condrieu par le Greffier soussigné signé Ch. Cloppet.

Et devant nous, Maire prénommé, se sont présentés M M Antoine Gelin, âgé de cinquante six ans, garde champêtre ; et Paul Grégoire Charrin, âgé de vingt trois ans, clerc de notaire ; tous deux domiciliés à Condrieu ; lesquels ont déclaré que le vingt neuf août dernier, à sept heures du matin, a été trouvé sur la berge du Rhône, lieu du Four à Chaux, commune de Condrieu, le cadavre de l’inconnue dont la description est indiquée à l’extrait du procès verbal ci-dessus transcrit.

La mort étant certaine, nous avons, au vœu de la loi, dressé le présent acte de décès et l’avons lu aux déclarants qui l’ont signé avec nous ».

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14 Messages

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 12 novembre 2007 10:41, par njgcl

    Jules Vallès parle d’une tête fine et longue
    La description de la jeune noyée dit "visage rond"
    N’est-ce pas incompatible ?

    Répondre à ce message

    • Bonjour,

      Ce n’est qu’un "rapprochement littéraire" comme je l’ai déjà expliqué en réponse à un des premiers messages !

      Il ne faut donc pas chercher de liens entre Jules Vallès et Condrieu !

      Cordialement. Michel Guironnet

      Répondre à ce message

      • Une jeune fille morte retirée du Rhône 14 novembre 2007 18:45, par derouard

        La noyade est bien sûr sur les rives d’un cours d’eau la première cause de mort accidentelle. Il faut noter que dans tous les cas (du moins ceux, très nombreux, que j’ai observés, sur la Seine en aval de Rouen)les cadavres de noyés étaient pris en charge par la paroisse puis commune puis enterrés dans le cimtière. Un livre sur la noyade est paru cette année, je ne sais s’il faut le citer et citer l’auteur du chapitre (je lui ai envoyé un e-mail par son éditeur mais il ne m’a pas répondu) mais c’est bien à tort qu’il affirme que les cadavres des noyés étaient abandonnés sur la grève.
        jean pierre derouard

        Répondre à ce message

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 5 novembre 2007 19:43, par fredo1

    bonsoir
    nous lisons qu elle demandait si il y avait du courrier a une poste restante mais il ne fallait pas donner son nom ? la reponse peut se trouver la
    fredo1

    Répondre à ce message

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 3 novembre 2007 19:56, par Franravel

    S’agit-il d’une déception sentimentale ayant poussé cette jeune fille à la dernière extrémité en mettant fin à ses jours ?

    Jules Vallès décrit une personne pâle, donc pas en très bonne santé dont la cause peut être les tourments et les angoisses que l’on éprouve quand on est dévoré par le feu de l’amour destiné à celui qui ne répond pas.

    D’ailleurs, elle attend une lettre qui doit lui être remise en poste restante et non chez elle, comme-ci cette relation sentimentale devait rester cachée .

    S’agit-il autrement d’une relation sentimentale non admise ou interdite par sa famille, pour des raisons d’usages, qui aurait réussi à éconduire et décourager l’amant , le poussant par la même occasion à chercher ailleurs ?

    Répondre à ce message

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 3 novembre 2007 17:27, par Eric DYVORNE

    à priori ma remarque n’a pas grand lien avec l’histoire de cette jeune fille retrouvée noyée dans le Rhône, à l’exception d’un détail : cette jeune fille avait les yeux roux... J’ai constaté pour la première fois que cette couleur était appliquée à décrire des yeux, sur la fiche signalétique du livret militaire de mon grand père maternel, lors du conseil de révision de 1909. Depuis cette couleur a disparu pour décrire un oeil. Comment se présentait un oeil roux ? tendait-il vers le jaune ? le mordoré ? le noisette ? ou bien avait-on alors une notion différente du roux, qui désormais s’applique exclusivement à la chevelure ?

    Répondre à ce message

    • Une jeune fille morte retirée du Rhône 3 novembre 2007 19:55, par ORVATUS SENEX

      Mon père avait de tels yeux. Sur son livret militaire, il est même noté : yeux fauves.Ils se décoloraient sous le coup d’émotions.
      Je n’étais pas un gamin plus dissipé que d’autres, mais enfin, lorsque j’avais fait quelque sottise, je n’aimais pas beaucoup qu’il me regarde avec ses yeux-là.
      J’ai entendu ma mère s’écrier - lors d’"explications" familiales : "Et puis tu ne me fais pas peur avec tes yeux jaunes !".ce qui n’était pas vrai, mais elle se serai fait hâcher plutôt que de l’avouer.
      En fait, c’était un papa (et un mari très gentil) qui ne s’est mis en colère que deux fois d’une façon conséquente...Mais je ne suis pas resté là pour voir la suite. Une heure après, la tempète était passée : il avait retrouvé son regard habituel. .

      Répondre à ce message

    • Bonsoir,

      Je ne sais que vous répondre ! J’ai noté comme vous ces couleurs pour les yeux un peu anachroniques aujourd’hui : des yeux châtains, et même des châtains clairs...

      Le vocabulaire évolue. Voyez peut être dans les éditions du Grand Larousse fin XIXe ou début XXe siècle.

      Michel Guironnet

      Répondre à ce message

  • bonjour

    Dans les registres de Condrieu, chaque année apparaissent de nombreux noyés.

    Très peu sont identifiés et très peu sont de Condrieu même à part quelques enfants.

    L’explication qui me vient est que la courbe du fleuve à cet endroit favorise l’échouage des cadavres venus de l’amont.

    Cette particularité devait être connue dans la région et par Jules Vallès aussi.

    Répondre à ce message

    • Bonsoir,

      Je ne crois pas que Jules Vallès parle du Rhône.

      Mais votre remarque est tout à fait exacte. Certains cadavres sont identifiés par la suite par leurs proches grâce à une véritable "enquête"

      Lorsqu’il est avéré que cet inconnu retiré du Rhône est bien celui qui a disparu quelques jours ou quelques semaines auparavant, un nouvel acte est transcrit dans les registres et explique en détail les démarches faites par la famille.

      En effet, outre le côté affectif, la reconnaissance du décès ouvre les droits à pension, à succession...Sinon le disparu n’est pas officiellement mort !

      Cordialement.

      Michel Guironnet

      Répondre à ce message

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 3 novembre 2007 12:40, par Klod 5

    Savez-vous s’il y a eu une enquête de police ? As-t’on identifiée la malheureuse ?
    Si je ne m’abuse, Condrieu fait partie de l’Isère (à cette époque était-ce le cas ?), il me serait possible d’aller chercher aux archives départementales, si je savais où chercher ?

    Voir en ligne : http://gw.geneanet.org/index.php3?b...

    Répondre à ce message

    • Bonsoir,

      Condrieu est et a toujours été dans le Rhône.

      Au sujet d’une enquête, autant chercher "une aiguille dans une botte de foin" !

      La description physique de la noyée est extraite d’un PV de Gendarmerie. C’est elle qui lance une enquête. Parfois, elle aboutit. Des parents s’inquiétant de la disparition de l’un des leurs recherchent dans les communes en bordure du Rhône si les noyés retirés du fleuve ne seraient pas cette personne.

      Alors, il y a identification...Si personne ne se préoccupe de ce pauvre cadavre, il rejoint pour l’éternité la longue liste des "noyés inconnus"

      Voir mes autres réponses pour compléter.

      Cordialement.

      Michel Guironnet

      Répondre à ce message

  • Une jeune fille morte retirée du Rhône 2 novembre 2007 20:32, par Finnegan

    Bonjour,

    Faites-vous un lien entre le texte de Vallès et la jeune fille de Condrieu ? S’agit-il d’un simple rapprochement "littéraire" ? Ou bien avez-vous des informations permettant d’établir que c’est bien de cette malheureuse jeune femme que parle l’auteur de "L’enfant" ?

    Répondre à ce message

    • Bonsoir,

      Effectivement, ce n’est qu’un "rapprochement littéraire" : en relisant Jules Vallès, cette évocation d’une jeune fille à la robe de mérinos noir retirée morte de l’eau m’a fait penser à cette autre jeune femme à la robe d’alpaga noir retirée du Rhône...

      Mais si le livre de Jules Vallès est daté de 1878, il évoque son enfance à Saint Etienne.Né en 1832, il n’a sans doute pas connu ce fait divers de 1873 à Condrieu.Il avait alors plus quarante ans et rien dans sa biographie ne permet de penser qu’il soit à Condrieu à cette date !

      Cordialement.

      Michel Guironnet

      Répondre à ce message

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