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CI-GIT
Louise Suzanne GODARD
Femme DEVAILLY
décédée le 25 février 1857
dans sa 46e année
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Elle emporte dans la tombe
les regrets de ses amis
et de son infortuné mari
dont elle fit hélas trop peu de temps
l’ornement et le bonheur.
Sa bonté, sa douceur,
sa tendresse et ses vertus
causent tout mon désespoir.
Repose doucement ô ma bien-aimée
dors sous cette pierre en attendant
qu’au signal donné par l’Eternel
tu téveilles
pour être un ange dans le ciel
comme tu l’étais sur la terre.
JE T’ATTENDS Ô MON CHERI
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CI-GIT
Cyr Louis DEVAILLY
décédé
le 5 mars 1896 dans sa 89e année
A dame Louise Suzanne GODARD
Son épouse
Je répondrai à ton appel
Ô ma bien-aimée et les méchants
qui nous ont si longtemps
et si injustement décriés et persécutés
trouveront le complément
de leur punition
dans la justice divine.
De même que sur la terre
nous nous vengions des ingrats
et des pervers en leur faisant du bien
de même alors nous prierons pour eux.
C’est une vengeance digne de nous
ADIEU MA CHERIE
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Étonnante par sa longueur, l’épitaphe de Louise Suzanne reste malgré tout classique : Cyr Louis y vante les qualités de son épouse décédée et exprime son désespoir de l’avoir perdue, avec quelques maladresses de style, bien compréhensibles de la part d’un homme éprouvé et sans doute peu habitué aux écrits littéraires.
Gravée sur la stèle 39 ans plus tard, l’épitaphe de Cyr Louis semble malgré tout avoir été prévue – en partie – dès le décès de sa femme.
Quel contraste entre ces 2 épitaphes pourtant rédigées par la même personne !
L’une parle d’amis, de douceur, de tendresse et d’ange. L’autre parle de méchants, de pervers, d’ingrats, de persécution et de vengeance ; des mots que l’on ne s’attend pas à trouver sur une tombe, et sous lesquels pointent l’amertume et la rancune.
Cyr Louis prétend s’être vengé des méchants en leur faisant du bien et en priant pour eux, mais on sent qu’il ne leur a pas pardonné. Il espère d’ailleurs que « la justice divine » leur infligera « un complément de punition » (ce qui laisse supposer que ces méchants ont déjà été punis sur terre…)
► Qui sont les 2 personnes qui reposent sous ces pierres ?
Louise Suzanne GODARD :
Elle est née le 17 novembre 1810 à Châtillon/Loire.
Son père, Etienne GODARD, propriétaire, s’est marié tardivement pour un premier mariage : il avait en effet 49 ans quand il a épousé le 23 janvier 1810, Anne Suzanne BINET, 33 ans, également propriétaire.
Le mariage sera de courte durée puisque Anne Suzanne décèdera fin 1815 laissant 2 enfants : Louise Suzanne qui a alors 5 ans et un petit frère qui décèdera 6 mois plus tard.
Etienne GODARD ne se remariera pas et élèvera seul sa fille unique dans la grosse ferme dont il est propriétaire.
Lorsqu’il décède le 1er mai 1832, sa fille Louise Suzanne est dans sa 22e année. Elle est l’unique héritière des biens de ses parents et elle se retrouve seule pour gérer le domaine.
Il est temps pour elle de se marier. Ce sera chose faite 4 mois et demi plus tard.
Cyr Louis DEVAILLY :
Louise Suzanne, toute nouvelle propriétaire, épousera donc Cyr Louis DEVAILLY à Châtillon/Loire le 12 septembre 1832.
Cyr Louis est né à Henrichemont (18) le 7 août 1807. C’est le 2e enfant d’une fratrie de 3. Ses parents quitteront Henrichemont pour s’installer ensuite à Beaulieu/Loire (45) où ils sont propriétaires.
Au moment de son mariage, Cyr Louis était clerc de notaire mais il abandonnera bien vite son travail pour devenir à son tour propriétaire.
Le couple n’aura pas d’enfants. Quand Louise Suzanne décèdera, après 25 ans de mariage, Cyr Louis choisira de la faire inhumer sur sa propriété, sans doute pour la garder près de lui, mais peut-être aussi pour protéger sa tombe des « méchants » et des « pervers ».
Il sera son seul héritier et deviendra ainsi propriétaire des biens que sa femme possédait à Châtillon et dans les communes voisines de Cernoy et Saint-Firmin. Il ne se remariera pas et s’éteindra 39 ans plus tard, dans sa ferme, à près de 90 ans.
La curieuse épitaphe de Cyr Louis soulève bien des questions :
► Qui peuvent bien être ces gens qui ont persécuté cette famille ? Et pourquoi ?
Ne sachant trop où chercher pour trouver des réponses, j’en ai donc été réduite à émettre des hypothèses :
• Des envieux en voulaient-ils à Cyr Louis, simple clerc de notaire, d’avoir épousé un beau parti et d’être ainsi devenu un riche propriétaire sans se donner trop de mal ?
• Des membres de la famille GODARD (très nombreux à Chatillon à cette époque) auraient-ils été frustrés de voir qu’en l’absence d’enfants, cet important patrimoine allait « sortir » de la famille ?
• Ou bien la religion pourrait-elle être la cause de leurs tourments ?
Louise Suzanne était peut-être protestante. Je n’ai trouvé aucun document qui le prouve, mais ses grands-parents – aussi bien paternels que maternels – l’étaient incontestablement (donc ses parents aussi, vraisemblablement).
Quant à Cyr Louis, tout prouve que sa famille était catholique. D’ailleurs ses grands-pères maternel et paternel étaient titulaires de charges auxquelles seuls des catholiques pouvaient prétendre au XVIIIe siècle : l’un était notaire, contrôleur des actes, et l’autre était conseiller du roi, officier de la gabelle (grenetier au grenier à sel d’Henrichemont).
Les mariages « mixtes » entre protestants et catholiques étaient-ils mal vus à cette époque (milieu du XIXe siècle) ?
► Quelles persécutions ont-ils subies ?
Deux faits divers relatés dans le Journal du Loiret apportent peut-être un début de réponse à cette dernière question.
Journal du Loiret du 29 juin 1850 : incendie à la ferme :
S’il évoque, à la fin de son article, le tonnerre qui aurait fait brûler 6 maisons, la veille, près de Cosne (à environ 30 km), le journaliste ne mentionne pas l’orage comme cause possible de l’incendie de la ferme de Cyr Louis et Louise Suzanne : « Le feu avait pris on ne sait comment… »
► Pourrait-il s’agir d’un incendie criminel ?
Dans un long article très détaillé, le Journal du Loiret du 6 avril 1876 fait le récit d’une audience qui s’est déroulée au tribunal d’Orléans. Un jeune garçon de ferme de 13 ans était jugé pour avoir volé de l’argent à son maitre Cyr Louis Devailly.
Encouragé par ses parents, il lui avait dérobé en plusieurs fois, plus de 17 000 francs « en argent, or et billets », avec la complicité d’un charretier de 19 ans qui avait repéré les endroits où leur maître cachait son argent et ses clés.
17 000 F, c’est une belle somme si l’on compare avec le prix des maisons à cette époque : sur le même journal, à la rubrique des ventes immobilières, j’ai repéré une « Jolie maison de campagne dans le Val » à vendre pour 15 000 F.
Heureusement, Cyr Louis a pu récupérer près de 12 000 F retrouvés dans diverses cachettes !
Voilà où m’ont menée ces 2 épitaphes (un grand merci à Jean qui m’a transmis la photo de ces stèles).
Peut-être les lecteurs de La Gazette auront-ils d’autres explications ou des pistes de recherches à me suggérer ?
Merci à tous pour votre aide...