- « Brain sur Allonnes, le 19 avril 1916
Mon cher fils,
J’ai reçu ta carte ainsi que ta photographie tu es très bien. Tu me dis que dis que vous êtes en train de voyager et qu’il fait chaud. Chez nous il fait beau temps aussi si cela continue cela sera encore bientôt trop sec ça surtout dans « les bas » ce sera bientôt comme un carreau. Enfin qu’est-ce que tu veux il faut bien prendre le temps comme il vient comme autre chose que l’on ne peut empêcher. Il y a aussi cette pauvre Maria Milsonneau qui a aussi perdu son pauvre homme et pour le fils Dégobert lui on en est pas si sûr. Tout cela est bien triste. Enfin mon cher fils je suis en bonne santé et désir de tout mon cœur que cela soit de même pour toi. Le petite Louise t’a envoyé une carte pour te remercier. Cela n’est point si mal pour le peu de temps qu’elle va à l’école. Si son pauvre père était seulement là pour voir cela pauvre ami qu’il serait content et moi aussi j’aurai le cœur plus gai que je ne l’ai. Enfin mon cher fils je termine en t’embrassant de tout mon cœur et pourvu que tu me reviennes.
Ta mère veuve Louise Boureau. »
L’histoire, l’intrigue, la genèse
C’est d’abord la signature, "veuve Louise Boureau", qui a attiré mon attention puisqu’il s’agit du nom de jeune fille de ma mère, qui est originaire de Brain-sur-Allonnes [1]
La deuxième chose qui m’a interpellé, c’est la date : "19 avril 1916", qui se situe en pleine première guerre mondiale alors qu’une grande partie du monde est plongée dans un chaos total. Mais c’est surtout l’émotion qu’elle dégage qui m’a donné l’envie d’en savoir plus.
L’enquête
Il y a plusieurs éléments importants qui permettent de mener une enquête.
Une veuve nommée Louise BOUREAU, plongée dans un chagrin probablement dû à la disparition d’un proche, écrit à son fils qui pourrait avoir été mobilisé. Elle parle de plusieurs personnes : Maria MILSONNEAU, le fils DEGOBERT et une petite fille prénommée Louise, qui semble avoir un lien de parenté avec elle. Tout cela se déroule dans une ambiance de désolation au printemps 1916.
A l’aide des archives numérisées du 49 et des sites de généalogie, je pars à sa recherche !
Je trouve une Louise BOUREAU née à Brain-sur-Allonnes le 15 novembre 1856 [2]. Elle s’est mariée le 3 novembre 1875 avec François BOUREAU, né le 20 janvier 1850. Ils habitent à Brain-sur-Allonnes, lieu-dit "La Chaussée" [3].
Si c’est bien cette Louise BOUREAU qui a écrit et signé la carte postale, il faut qu’elle ait eu au moins un fils en âge d’être mobilisé et que celui-ci ait eu une fille s’appelant Louise, en âge d’être scolarisée.
L’état civil numérisé, ainsi que les archives de la mairie, nous permettent d’identifier les enfants de Louise et François BOUREAU :
- Louise BOUREAU née le 29 janvier 1877, décédée le 29 janvier 1880 le jour de ses trois ans.
- François BOUREAU né le 27 novembre 1880, marié le 23 janvier 1907 avec Marie-Louise DELARUE.
- Louis BOUREAU né le 5 mai 1882, marié le 14 octobre 1907 avec Louise DENIEAU.
A ce moment de l’enquête, les dates correspondent parfaitement.
Louise BOUREAU a donc eu deux fils. Elle a près de soixante ans. Les deux sont en âge d’avoir été mobilisés, de s’être mariés et d’avoir eu des enfants.
Et si l’un d’entre eux était mort au début de cette guerre ?
Un petit détour par le monument aux morts de Brain-sur-Allonnes donne une première indication : il y a un Louis BOUREAU « mort pour la France ». Pour qu’il soit le fils de François et de Louise BOUREAU, il faut donc qu’il soit né le 5 mai 1882 et mort pour la France avant 19 avril 1916.
Le site "Mémoire des Hommes" est formel : Louis BOUREAU né le 5 mai 1882 à Brain-sur-Allonnes, matricule 580, est mort « Tué à l’ennemi » à Ecurie (62) le 5 novembre 1914. Son décès a été officialisé le 4 juin 1915 à Brain-sur-Allonnes.
Sa fiche militaire nous résume toute sa carrière militaire tout en précisant qu’il est bien le fils de François et Louise BOUREAU mariés en 1875 et demeurant à Brain-sur-Allonnes [4].
Et pour son frère François BOUREAU, qu’en est-il ? On apprend, grâce aux archives d’Indre-et-Loire, qu’il a été mobilisé en août 1914 et qu’il porte le matricule militaire 1589. Il sera démobilisé en février 1919 [5]. Plus chanceux que son frère, il vivra jusqu’en 1977. Il aura deux fils et sa descendance continue.
L’énigme de la carte postale est en passe d’être résolue.
On sait à ce moment-là que Louise BOUREAU est veuve. Son mari François BOUREAU est décédé le 26 août 1906, comme il est stipulé sur les registres de l’état civil. Elle a eu deux fils. L’un d’eux, Louis, est « mort pour la France » en novembre 1914. C’est la cause principale de son chagrin.
Son premier fils, François, est celui à qui elle écrit. Il est le seul enfant qui lui reste. Son mari et deux de ses trois enfants sont déjà partis. L’enfant dont elle parle, Louise, est à l’école primaire depuis peu de temps. Pour que l’énigme soit totalement résolue, il faut que son fils Louis BOUREAU ait eu, entre 1907 et 1914, une fille se prénommant Louise.
Eurêka !
Les archives de Brain-sur-Allonnes nous donnent la réponse :
Voilà la petite Louise, dont parle sa grand-mère lorsqu’elle envoie la carte postale à son fils aîné.
Elle est née le 16 décembre 1909 à Brain-sur-Allonnes. Elle est la fille de Louis BOUREAU et de Louise DENIEAU. Elle se mariera en 1928 et décèdera en 1935.
Les autres personnages
Le "fils Degobert" est probablement Octave DECOBERT ; Louise BOUREAU a probablement fait une faute d’orthographe à son nom, sachant qu’il s’agit d’une variante du nom. Lui aussi figure sur le monument aux morts. Il est mort à Vaux le 8 mars 1916 à l’âge de 21 ans.
Au moment où elle écrit sa carte il n’est pas encore officiellement mort.
Quant à Maria MILSONNEAU qui a elle aussi "perdu son homme" , j’ai trouvé un début de piste mais je n’ai pas encore percé son secret...