J’ai croisé Claudine Favrichon à l’hôpital de Grandris, son nom trône en tête de la liste des bienfaiteurs de l’hôpital avec la date 1872. Claudine Favrichon est presque une légende dans le village de Grandris, c’est une enfant du pays qui a eu une vie originale et comme j’aime les belles histoires, j’ai essayé d’en savoir un peu plus…
Grandris est un village qui surplombe la vallée de l’Azergues à 4 km de Lamure sur Azergues et 28 km de Villefranche sur Saône. En 1894, dans son ouvrage Géographie du département du Rhône, F.A. Varnet instituteur décrit Grandris comme un village de 2 030 habitants dont les activités principales sont le vin, les céréales et le bois pour l’agriculture et la fabrique de tissus et soieries, de corsets et de broderie pour l’industrie. Il y a 2 foires par an, le 6 juin et le 7 décembre, et un marché le jeudi.
Claudine Favrichon est née à Grandris au lieu dit Gondras le 24 septembre 1812. Fille de Jean Marie Favrichon et Françoise Farge, elle est la troisième d’une fratrie de 6 enfants. Sur les actes de naissance des enfants, son père est déclaré propriétaire. Le 18 décembre 1818, Claudine a 6 ans, son père, Jean Marie Favrichon décède à l’âge de 52 ans. J’imagine que ce décès a fait suite à une maladie ou une blessure car quelques jours avant son décès, le 3 décembre 1818, Jean Marie Favrichon a épousé Françoise Farge, sa compagne et mère de ses enfants. Le couple vivait en union libre, Jean Marie devait avoir à cœur de régulariser la situation pour ses enfants et sa future veuve.
Au décès du père, la famille est composée de Claudine, de ses deux frères âgés de 9 ans et 3 ans, sa grande sœur de 8 ans et deux enfants du premier mariage de son père.
La légende raconte que Claudine est partie travailler à Lyon comme domestique dans une famille bourgeoise. J’ai essayé de trouver une trace de son séjour aux archives de la Ville, dans les archives des bureaux de placement ou du contrôle des ouvriers, sans succès, ce type d’archives n’existe pas pour les années 1820 ! Quant au premier recensement de la ville de Lyon, il date de 1836, Claudine Favrichon avait 24 ans, je ne suis pas sûre qu’elle était encore à Lyon à cette date. La légende prétend que la famille qui l’employait a été séduite par sa belle voix, qu’elle lui a permis de prendre des cours de chant et ainsi de devenir cantatrice.
Je l’ai retrouvé à Rio de Janeiro au Brésil où elle arrive en 1852. Son nom apparaît dans un essai de Charles Expilly publié en 1863. La description de sa prestation n’est pas très flatteuse « une pauvre chanteuse de romances nommée mademoiselle Favrichon » mais c’est à prendre avec précaution car l’auteur se présente comme celui qui va apporter le bon goût culturel français aux brésiliens et il n’est pas tendre avec ses compatriotes !
Plus sûrement, sa carrière n’a pas due être mémorable car c’est la seule information que j’ai trouvée sur elle.
Par contre, elle a trouvé l’amour au Brésil, elle y a épousé Manuel Olegario Abranches.
Jusqu’en 1868, aucune trace d’elle à Grandris, elle devait vivre au Brésil, peut-être a-t-elle eu des enfants avec son mari malgré ses quarante ans… je n’ai pas poursuivi mes recherches sur cette période et dans ce pays.
En 1868, elle est encore au Brésil, le couple habite au n°10 de la rue d’Alfandega à St Sebastian de Rio de Janeiro, capitale de l’Empire du Brésil. Ils achètent le 2 décembre 1868 une maison à Grandris pour un montant de 9 000 francs. L’acte a été rédigé par Me Granger, notaire à Lamure sur Azergues, le représentant du couple Abranches chez le notaire est M. Claude Clavelloux, prêtre curé de Grandris. En annexe de l’acte de vente, il y a une procuration en portugais rédigée le 1er avril 1868 par un notaire de Rio et sa traduction en français datée du 6 avril de la même année, faite par Charles Jean Runhardt, traducteur et interprète commercial à Rio.
Dans son testament olographe rédigé le 26 août 1872, Claudine Favrichon lègue à la commune de Grandris la maison achetée par le couple en 1868 qu’elle destine à la fondation d’un hôpital.
C’est seulement en 1879, par un décret du 6 août du ministre de l’intérieur pour le président de la république, que la commune de Grandris est autorisé à accepter le leg de Claudine Abranches née Favrichon. Le décret parle des consentements de ses héritiers naturels, son mari et peut-être ses enfants, faits les 1 et 21 septembre 1877 et 19 octobre 1877. Le 31 août 1878, la maison est estimée à 7000 francs.
Toujours par testament et validé par le même décret du 6 août 1879, elle lègue aussi 1 000 francs à la commune de Grandris pour achever les travaux de l’école du hameau de Gondras, 5 000 francs à la Congrégation des Sœurs de l’Adoration Perpétuelle du Sacré Cœur de Jésus basée à Lyon et dont un établissement de quelques sœurs existait à Grandris et 2 000 francs à la fabrique de Grandris répartis pour moitié à la célébration de 100 messes et pour moitié à distribuer aux pauvres de la paroisse. Les 100 messes coutant moins que 1 000 francs, le reste de l’argent a été employé aux travaux de réfection de l’église avec accord du Ministre de l’Intérieur et des Cultes.
Le leg de Claudine Favrichon est un élément fondateur de la création de l’hôpital de Grandris. C’est dans sa maison qu’ont été installés les premiers 6 lits de l’hôpital-hospice, autorisés par décret du Président Jules Grévy en 1882. Ces 6 lits sont passés à 10 en 1887, puis à 60 en 1973 et aujourd’hui l’établissement compte 160 lits depuis le regroupement avec la maison de retraite de Letra et l’ouverture d’un bâtiment neuf en 2013. Depuis 1882, l’hôpital a bien sûr quitté les murs de la maison léguée par Claudine Favrichon mais c’est une autre histoire...
Il me restait à trouver la date et le lieu de décès de Claudine Favrichon et la belle histoire serait terminée. Mais aucune trace de son décès à Grandris, ni dans les alentours, aucune Claudine Favrichon ou Abranches dans les recensements… j’étais bloquée.
Finalement, un peu dépitée, je suis allée faire un tour au cimetière du village… où elle est enterrée avec sa maman.
Sur sa tombe est notée : « A la mémoire de ma très regrettée épouse Claudine Abranches née Favrichon au hameau de Gondras le 24/09/1812 décédée à Paris le 1/04/1877 à l’âge de 64 ans et 6 mois et 17 jours. Elle repose à côté de sa bonne mère, désir accompli par son époux, le même tombeau les réunit. »
Son mari n’est pas enterré avec elle. Je n’ai pas trouvé son décès à Paris, peut-être est-il reparti au Brésil…
A son retour en France, le couple Abranches vivait à Grandris dans leur maison et à Paris 12 rue Blanche, où Claudine est décédée en 1877. Le bâtiment de l’époque a été remplacé par un grand immeuble des années 1910/1920. Si ses fenêtres donnaient côté rue, elle avait une vue directe sur l’Église de la Trinité.
Claudine FAVRICHON a finalement passé très peu de temps de sa vie à Grandris, mais elle n’a oublié ni son village, ni sa famille et elle repose, comme elle le souhaitait, avec sa chère maman dans le cimetière du village qui domine la vallée de l’Azergue.
Source :
- Site de la BNF, gallica.fr
- Archives départementales du Rhône
- Archives privées de l’hôpital de Grandris Letra.