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Un voyage à Paris en 1855

Le jeudi 1er novembre 2007, par Jean del Pozo

En 1855, un jeune normand de 16 ans quitte Le havre pour se rendre à l’Exposition universelle de Paris. Voici le récit enthousiaste de son voyage et de son expérience parisienne.

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La première page du cahier
Collection particulière Jean del Pozo.

Permets moi en cet heureux jour, mon cher père, de te dédier ces quelques lignes, impressions de mon voyage à Paris et à l’Exposition Universelle, comme un témoignage du respect et de la reconnaissance de Ton fils tout dévoué Ed. Moignard [1].

Havre le 29 Octobre 1855

La campagne qui aboutit à Paris est riante et présente l’image de l’abondance et de la fécondité. La voie ferrée côtoie la Seine dont les eaux vivifiantes fertilisent les champs et les prairies d’alentour.

Mais bientôt les sommets de nombreux monuments, attirent l’attention du voyageur et lui annoncent le voisinage de la capitale du beau pays de France. Enfin le train s’arrête nous sommes arrivés à Paris. Un de mes souhaits les plus ardents est donc réalisé ! J’y suis enfin dans cette grande cité et je vais voir si les brillantes peintures que je m’en suis souvent faites approchent de la réalité. Je jugerai cette patrie des Molière des Voltaire des Rousseau des Boileau, cette ville où débutèrent la plupart de nos grands hommes ! Immense cité où le génie en silence enfante des chefs-d’œuvre, où le poète ignoré travaille sans témoins à gagner l’immortalité.

Déjà le bruit des voitures, l’animation des rues me confirment les rapports que font journellement les voyageurs sur l’aspect remuant de la capitale. Mais c’est sur les Boulevards qu’il faut juger du mouvement extraordinaire de la population parisienne. C’est aussi sur les Boulevards que se poste l’observateur pour saisir les types les plus divers, faire les remarques les plus variées. Ici le dandy bien parfumé, ganté, coiffé à la dernière mode coudoie l’artisan, sans prétentions, se rendant au travail, tandis que la grande dame dont toute la journée a été consacré à sa toilette, passe hautaine et fière devant la modeste ménagère courant au logis préparer le maigre repas de sa nombreuse famille. Paris est la ville des contrastes par excellence et pour le philosophe il y a beaucoup à observer, beaucoup à méditer.

Sur les Boulevards s’élève la Madeleine, monument qui par son architecture rappelle les antiques temples de la Grèce. C’est le moment du Sacrifice entrons. Mais que de richesses entassées, que de luxe et de profusion ! que de magnificence et que d’éclat frappent nos yeux. Est-ce bien là le temple du Dieu pauvre qui naquit dans la crèche de Bethléem ? Ces offrandes sont-elles destinées à celui qui disait : Bienheureux sont les nécessiteux !

Mais le siècle pense ainsi. C’est pour honorer le Seigneur dit-on, il n’est rien de trop beau pour lui. Erreur ! Faites fondre ces vases d’or et d’argent, distribuez les aux indigents ! et les remerciements de ceux que vous aurez secourus seront infiniment plus agréables à Dieu que ce luxe insolent qui témoigne plutôt de notre vanité que de notre piété. Adorez Dieu comme il convient à un Dieu grand et bon pour lequel l’or et l’argent et les offrandes ne sont rien auprès de la joie de ses enfants.

Mais suivons cette foule qui se dirige avec empressement vers le Palais de l’Industrie. C’est une pensée bien noble et bien féconde que celle d’une exposition universelle, c’est un grand pas dans la voie du progrès. Ce temple ouvert aux industriels et aux fabricants vient d’ajouter une grande cause d’émulation parmi le monde des travailleurs. Désormais les inventeurs pourront produire leurs œuvres, elles seront jugées comme elles le méritent et le génie ne sera plus assujetti pour briller aux faveurs et aux protections. Il était donné à notre siècle de réaliser cette grande idée et plus tard les générations futures le rappelleront avec orgueil.

L’entrée du palais est magnifique ; au milieu de la nef où l’on arrive tout d’abord se trouve une fontaine qui répand la fraîcheur. Auprès sont exposées les verreries de Baccarat, admirables ouvrages ! Là où l’œil trompé croit apercevoir des vases en porcelaine, il n’y a que du cristal. J’ai surtout remarqué un lion à la crinière épaisse et soyeuse luttant avec un serpent, eh bien ! ce groupe était entièrement en verre. Quelle patience ! quel génie ! pour exécuter ainsi de pareils travaux. A quel degré l’art ne parvient-il donc pas !

Près de là se trouve la magnifique vitrine des orfèvres et bijoutiers français. Comme ces petits objets en or ou en argent sont parfaits. Que ces vases émaillés de pierres précieuses ont une coupe gracieuse et ces groupes ne révèlent-ils pas l’habileté du ciseleur et la poésie de son imagination. Il me semble revoir ces délicieuses productions sorties de Benevenuto Cellini.

Les objets d’art en bronze méritent une mention particulière. Ici se révèle la grande supériorité de la France. Comme ce groupe, Le génie appelant les nations civilisées à l’exposition, est bien exécuté et ce Dompteur de Chevaux et cet Africain. Que d’expression dans toutes ces poses, que d’art et que de patiences ! Mais une foule d’autres objets réclament notre attention.

Que le dessin de cet autel est original et là bas comme c’est joli cette exposition de vases de Bohème si mignons et si attrayants. Mais à l’Exposition on n’a pas le temps de s’émerveiller. Dans ce palais féerique chaque pas vous révèle un chef d’œuvre.

Deux phares aux dispositions savamment combinées se font remarquer. Ils doivent protéger le marin contre les dangers d’une mer orageuse ou d’une nuit obscure.

Comme cette chaire en bois est bien sculptée, comme les proportions y sont bien gardées.

Auprès se trouve une immense glace exposée par le département de la Meurthe mais quelque belle qu’elle soit elle est éclipsée par celle de Saint Gobain. Que d’argent et que de travail représentent ces admirables morceaux de l’industrie humaine.

De magnifiques fusils sont disposés en trophée, armes orientales et européennes, carabines fusils et tout l’attirail de la guerre est exposé.

Mais pénétrons dans l’Exposition des produits anglais. Ici nous admirons les cheminées modèles et surtout les aciers si artistement travaillés. L’Angleterre a élevé un magnifique trophée où figurent les principaux éléments de sa puissance maritime, des câbles des cordages des ancres des modèles de navire et de phares etc.

En sortant du transept on remarque des orgues dont les sons harmonieux tour à tour graves et entraînants vous pénètrent. Ecouter l’organiste, ne dirait-on pas d’un chœur d’anges proclamant les merveilles de Dieu.

Mais poursuivons notre route, nous arriverons dans la salle où sont exposées les toiles des Gobelins et les Diamants de la Couronne. C’est encore ici qu’on remarque la supériorité de la France dans ces magnifiques toiles durent éternellement et qui seules résistent aux outrages du temps. Et ces diamants, cette épée, cette couronne, cette rivière, merveilles autour desquelles se presse une foule avide de les contempler et cependant ce diamant qui ne brille que mêlé aux ornements des grands de la terre est composé exactement comme le charbon cet humble combustible si universellement répandu qui pétille dans l’âtre du pauvre, comme dans les cheminées surchargées des riches.

Un grand escalier nous conduit de là aux galeries supérieures. Là de nouveaux sujets d’étonnement nous attendent, là sont exposés les produits les plus divers ceux de l’Inde, de la Californie. Ainsi ce magnifique salon indien nous révèle les mœurs sybarites des habitants des bords du Gange et nous donne une idée des richesses de ce beau pays.

Et ces dentelles, ces robes, ces broderies qui font les délices de toutes les dames qui parcourent cet immense palais. Quelles mains de fées ont su les façonner et les travailler ?

Plus loin est l’exposition des soieries et devant nos yeux sont étalés les magnifiques produits des manufactures de Lyon. Le Boudoir de l’Impératrice se trouve dans cette galerie. Une foule empressée stationne toujours devant ce délicieux appartement mais aucun pied profane ne doit en troubler la solitude.

Que citerai-je encore les pianos, les meubles, l’ébénisterie y ont de dignes représentants. Un piano à queue d’Erard y figure. Il est destiné à l’armée d’Orient, c’est un présent digne de la maison qui le fait.

Dans l’exposition d’ébénisterie c’est avec plaisir que j’ai remarqué que l’on tachait toujours d’unir l’utile à l’agréable.

Ainsi il y a des lits pour des malades qui ne nécessitent aucun dérangement de la part du patient pour être refaits. J’ai vu des Comptoirs et des Bureaux dont la distribution ingénieuse met à profit tous les coins et offre par cela même les conditions les plus avantageuses.

Il est temps que nous disions un mot de la Galerie Annexe la plus intéressante dans le point de vue de l’industrie. Pour y arriver on passe à travers les produits de l’Algérie et j’ai pu me convaincre par moi même des ressources qu’offre ce fertile pays. A côté sont ceux de la Martinique et de la Guadeloupe et des Guyanes. Le plan en relief des mines d’Anzin s’y trouve aussi et cela m’a donné une idée de la vie misérable des malheureux que l’on emploie à ces rudes et dangereux travaux. Tout y est fidèlement retracé, les galeries souterraines, les diverses fissures et la sortie des mines.

Enfin nous arrivons dans la Galerie des machines. Au milieu de tous ces puissants appareils en mouvement l’homme sent son cœur se gonfler d’un noble orgueil. En présence de ces terribles moteurs, de ces rapides locomotives, de ces ingénieux métiers on ne peut que s’émerveiller et mesurer avec admiration la grandeur des obstacles vaincus. Vouloir citer les nombreuses mécaniques qui ont attiré mon attention serait superflu, je me bornerai donc à rappeler celles qui m’ont le plus frappé.

D’abord ce sont les locomotives exposées par la Prusse et l’Angleterre puissantes machines douées d’une force extraordinaire.

Un appareil fort ingénieux fonctionne auprès, c’est pour couper le bois. On place sous la machine une longue et large bûche de bois et devant vos yeux elle est coupée en feuilles aussi minces que celles d’un livre.

Une petite mécanique plus humble sert à coudre, à raccommoder. En quelques minutes on obtient un pantalon et ces curieux petits appareils fonctionnent toujours dans un grand magasin sur le Boulevard.

Une presse fort ingénieuse est aussi exposée. On étend sur un cylindre tournant sur lui même une feuille de papier fort ingénieuse est aussi exposée. On étend sur un cylindre tournant sur lui même une feuille de papier blanc qui a un moment donné se rejoint avec une planche chargée de caractères, elle s’imprime aussitôt et quand le cylindre remonte l’on saisit la feuille ainsi obtenue en une minute à peine.

Auprès est une sorte de clavier, les touches représentent des caractères d’imprimerie, l’ouvrier n’a qu’à frapper une de ces touches pour obtenir la lettre qu’il veut, au lieu d’être obligé d’aller chercher chaque caractère dans sa case particulière, ce qui donne une grande économie de temps et dans le siècle où nous vivons c’est un avantage précieux.

Des peigneuses, des machines à couper le fer, les pierres ont aussi bien occupé mon attention ainsi que la fabrication des châles dits de l’Inde.

Mais il serait trop long d’énumérer ces différentes mécaniques et leurs avantages, qu’il me suffise donc de dire que la galerie annexe est sous bien des rapports une des subdivisions les plus attrayantes du palais de l’Industrie.

Près de là sont exposés des instruments d’agriculture, exhibition non moins intéressante que les autres et qui a nos yeux doit augmenter de mérite en songeant aux rudes travaux des campagnes qui par cela même seront adoucis et rendront la production plus facile et plus prompte.

Il y a aussi une galerie où sont renfermés différents modèles de voiture de cour, cabriolets, berlines, tilburys, cabs, wagons, tous y ont leurs représentants. J’ai surtout remarqué un wagon suisse de 1re classe où l’on peut circuler et où l’on peut jouir de toutes les commodités d’un appartement.

Le bien être des ouvriers n’a pas été oublié dans cette grande Exposition et une maison modèle construite suivant les plans d’un industriel éclairé offre aux travailleurs intelligents et économes de nombreuses garanties de bien être et leur facilite les moyens de mettre en réserve une partie de leurs salaires.

Ici je terminerai cette courte revue des objets qui m’ont le plus frappé à l’Exposition. Sans ce petit recueil est bien incomplet mais tel qu’il est il suffit pour confirmer tout ce que l’on rapporte de merveilleux sur ce palais féerique.

De l’Exposition de l’industrie à celle des Beaux Arts il n’y a qu’un pas.

L’idée d’une Exposition des Beaux Arts appartient à la France et elle peut à juste titre s’en glorifier, presque toutes les nations ont répondu à l’appel qui leur a été fait. On peut citer la France d’abord, puis l’Angleterre, l’Allemagne et la Belgique qui y sont dignement représentés.

Parmi les principaux tableaux voici quelques uns des plus remarquables. C’est d’abord la prise de la Smalah , dans le salon d’Horace Vernet. Que de vérité dans les groupes divers ! Voyez ici cette mère foulée avec son enfant aux pieds d’une troupe de taureaux débandés, avec quelle terreur et quelle force elle cherche à préserver son fils et au 1er plan comme ce juif fuyant une bourse à la main est bien caractérisée. A gauche c’est la cavalerie française poursuivant l’ennemi et sur le dernier plan se dessinent les figures des généraux vainqueurs dans cette mémorable journée. Un si beau fait d’armes ne devait être reproduit que par un Horace Vernet.

Le Camp, du même auteur est aussi très frappant par l’exactitude des personnages. Ici est le Général Bugeaud recevant un message d’Abdelkader. Derrière ce rocher avec quelle habileté sont représentés ces soldats soignant leur camarade blessé. Au loin on aperçoit les tranchées d’où partent des tourbillons de fumée prouvant que les braves qui les occupent ne sont pas inactifs.

La Mort de César tableau de Mr Court est très caractérisé. Il exprime bien la confusion qui marqua la mort du dictateur, l’indignation est sur toutes les faces et la figure de ce conjuré situé au 1er plan exprime bien déjà le remords.

Auprès est André Chénier au Temple. Un geôlier à mine repoussante et féroce, aux pieds duquel se traînent en vain des femmes éplorées, malheureuses, victimes de ???, fait l’appel des condamnés, la porte entrouverte laisse apercevoir la fatale charrette. Mais au milieu de cette consternation générale, de ces sanglots, de ces adieux éternels, quand le père défaillant donne sa dernière bénédiction à sa fille chérie qui va mourir, quand la sœur se sépare de son frère pour toujours et que l’époux malheureux s’arrache des bras de celle qui fit si longtemps son bonheur, un seul homme semble indifférent. Assis un livre à la main, il rêve ! Sans doute il songe à des parents qu’il ne reverra plus, à ses joyeux amis, une douce et fraîche image se glisse peut-être parmi ces souvenirs ! Peut être il se rappelle avec amertume les joies de son enfance si prématurément moissonnée ! Non ! Cet homme est André Chénier et André Chénier composant. Le poète est là et non l’homme. Il s’est en quelque sorte déjà dégagé de son enveloppe terrestre, et son esprit erre dans les régions éthérées de la poésie. Son œil brille, son teint est animé, une pensée sublime vient de traverser son esprit, et cette pensée il la léguera à l’immortalité dans le langage des dieux !

La situation est saisissante et le peintre en a habilement tiré parti. La Retraite de Moscou, terrible épisode de cette funeste campagne de Russie qui enleva tant d’enfants à la France. L’artiste y représente une portion de l’armée avançant au milieu des neiges. Ce sont des officiers, des soldats parmi lesquels on distingue Napoléon un fusil à la main.

En face est un tableau représentant le Retour des glorieux vétérans de la Campagne de Russie. Avec quel enthousiasme sont accueillis ces valeureux combattants de la Grande armée ! Ici une mère retrouve son fils, une sœur son frère. Mais combien d’autres cherchent inutilement !

La Mort de la Vierge est un tableau où respirent l’innocence et la candeur. La Vierge est couchée sur son lit de mort, ses yeux sont clos, mais sa figure rayonne, et sur ses lèvres à demi fermées erre un sourire angélique précurseur des joies infinies que lui valurent ses grandes vertus.

La Mort de Guillaume le Conquérant est une belle toile. Le peintre représente le moment où le corps de Guillaume entouré des sommités de l’Eglise va être descendu dans le caveau qui l’attend, quand arrive le possesseur du champ qui y met opposition. Grand exemple des vanités humaines. Le fameux conquérant maître de la Normandie et de l’Angleterre trouve à peine un coin de terre pour dernière demeure.

Un tableau allégorique placé auprès attire l’attention. Le sujet est L’ingratitude des peuples envers les grands hommes. Au milieu de la toile est Jésus-Christ ce grand et immortel martyr des Juifs. A ses côtés sont : Socrate, Archimède, César, Galilée, Jeanne d’Arc ???? toute cette glorieuse pléiade d’hommes illustres qui payèrent de leur vie leur savoir ou leurs vertus. A leurs pieds aux 2 côtés du tableau sont deux groupes représentant le peuple avec ces inscriptions : ignorance, misère, brutalité, hypocrisie. J’avouerai que si le sujet est juste sur certains points, sous certains autres il ne l’est pas. Ainsi les épithètes que l’on donne au peuple pourraient peut être convenir dans un temps de barbarie ou de superstition, mais maintenant c’est chez le peuple que les grands hommes trouvent les juges les plus éclairés comme pour justifier ce vieil adage voce populo voce Dei.

Les Remords de Charles IX. Tableau fortement caractérisé dont l’exécution révèle beaucoup de talent et d’inspiration. En face du fils de Marie de Médicis se dressent les victimes de la St Barthélemy : Coligny dont il ensanglanta les cheveux blancs, les ministres protestants et près d’eux une femme éplorée montrant d’un regard terrible le corps de son mari. En vain le malheureux roi se traîne à terre pour échapper à ces apparitions terribles, elles le poursuivent. Dans les fêtes, dans les réunions, dans le silence de ses appartements privés, ces sanglantes images se représentent.

Dans les galeries supérieures se trouvent les miniatures, les croquis, les plans, les dessins d’architecture ?? qui présentent des beautés réelles quand tout est détaillé avec soin.

L’exposition de sculpture ne remplit pas tout ce que l’on pouvait attendre de l’émulation des statuaires étrangers. Il s’y trouve il est vrai de très beaux morceaux mais ce n’est pas général.

Là finit l’Exposition des Beaux Arts qui est appelée à jeter un grand jour sur la valeur des tableaux et des peintres de tant de nations différentes et la décision du jury chargé de les examiner saura rendre justice à tous en proclamant les œuvres qui lui auront paru le plus supérieures.

Après l’Exposition le Louvre est ce qu’il y a de plus remarquable à Paris. Comme monument historique il se distingue comme ayant été la résidence de presque tous nos souverains ; une de ses fenêtres a gardé une funeste célébrité, c’est celle par laquelle Charles IX tira sur son peuple fuyant devant les assassins de la St Barthélemy.

Comme musée le Louvre est une des plus riches collections de l’Europe. Dans ses magnifiques galeries sont amoncelées les œuvres des grands maîtres. Il suffit pour cela de citer le Salon Carré cette réunion de chefs-d’œuvre, où l’on remarque entre tous un tableau de Murillo l’Assomption de la Vierge. Quelle délicatesse dans cette toile ; comme le visage de la Mère de Dieu respire la douceur et l’innocence. C’est admirable et digne d’un grand peintre comme Murillo.

En face se trouve les Noces de Cana par Paolo Véronèse. Quelle animation dans les personnages ! Oh ! c’est bien là l’aspect vivant d’une noce, c’est le moment du festin et celui aussi du miracle. Jésus-Christ qui commence ainsi à se révéler est assis au milieu de ses disciples ; la figure grave et douce est bien celle qui convient au Seigneur, cet homme qui, dit le rapport du gouverneur de la ?????? « ne riait jamais ».

On pénètre ensuite dans une galerie richement ornée avec les immortelles toiles des anciens maîtres.

On retrouve ici le sombre et énergique Salvator Rosa dans cet Orage et dans cette Mêlée dont les caractères sont d’une effrayante vérité, les peintures gracieuses du Primaticcio, vous distraient des tristes pensées éveillées par les toiles de Salvator.

La galerie des peintres modernes n’est pas moins intéressante. Parmi les tableaux les plus remarquables j’ai distingué.

La Malédiction paternelle de Breuze. L’expression des personnages, la contenance de chacun, répondent bien au sujet. Dans un second tableau le fils maudit déguenillé, le front sillonné de rides profondes, vient s’agenouiller devant le lit de son père mourant pour y implorer son pardon. La matière était riche pour un tel artiste et il s’est montré à la hauteur de la tâche.

L’enlèvement des Sabines par David est une belle toile. Les Sabines et les Romains s’avancent les uns contre les autres prêts à lancer le javelot meurtrier quand soudain des femmes éplorées se jettent entre les deux armées, montrant aux uns leurs enfants, rappelant aux autres leurs liens de naissance. La situation est admirablement rendue.

Le Déluge. Ce tableau est frappant et glace d’horreur. Avec quelle terreur ces êtres infortunés fuient sur le sommet le plus élevé des rochers, mais l’eau monte toujours, toujours et ils vont être submergés !

Le Naufrage de la Méduse est aussi un tableau très saisissant. Avec quelle expression sont représentés ces malheureux qui sur un frêle radeau disputent leur vie aux vagues. Mais bientôt leurs forces s’épuisent, l’Espérance ne les soutient plus et ils commencent à envisager leur situation sans toute son horreur quand une voile paraît à l’horizon !

Boissy d’Anglas. Magnifique sujet admirablement bien traité par l’artiste. Le peuple furieux, le peuple de ??, entoure la tribune demandant à grands cris le rétablissement du règne de la Terreur, et pour intimider Boissy d’Anglas on présente devant lui la tête inanimée de son collègue Féraud. A cette vue Boissy se lève salue cette tête sanglante et se rassied. En vain la populace le menace, l’insulte il reste ferme et triomphe.

Caïn et Abel est une petite toile qui ne manque pas de valeur. Après avoir assassiné son frère Caïn s’enfuit et cherche l’obscurité pour se voiler à tous les yeux mais un ange vengeur le poursuit partout une torche à la main.

Mais vouloir citer toutes les excellentes toiles du Louvre nécessiterait un volume et la curiosité au lieu d’être satisfaite n’en est que plus excitée, aussi dans ce cas la meilleure chose est-elle de se rendre compte par ses propres impressions.

D’autres musées que celui de peinture existent au Louvre. Ce sont :

1° Le musée d’antiquités qui présente des choses très curieuses. Ainsi j’y ai remarqué, le livre d’Heures de Louis-le Gros le puissant et indigne empereur d’Occident. La chaise du roi Dagobert qui comme la traditionnelle culotte de ce fameux monarque, n’a pas de fond.

2° Le musée napoléonien renfermant une foule d’objets qui appartinrent à ce grand conquérant, ainsi c’est son lit de Campagne, son secrétaire, ses manteaux de cour. Dans la même salle se trouve le berceau du petit roi de Rome, l’infortuné duc de Reichsdatd.

3° Le musée maritime où se trouvent toutes les formes de navires et les plans en relief des principales villes fortes de France.

Ce fut au Louvre que le roi Charles IX arrêta définitivement l’heure de la St Barthélemy.

Ecoutons le duc d’Anjou peindre lui même l’anxiété de ces criminels pendant cette funeste soirée : « Le roi, la reine ma mère et moi allâmes au portail du Louvre joignant le jeu de Paume en une chambre qui regarde sur la place de la Basse-Cour pour voir commencer l’exécution. Un coup de pistolet se fit entendre, ne saurais dire en quel endroit ni si il offensa quelqu’un, bien sais je que le son nous blessa tous trois si avant dans l’esprit qu’il offensa nos sens et notre jugement épris de terreur et d’appréhension des grands crimes qui s’allaient commettre ! »

Le Louvre ne vit plus depuis de pareilles scènes, mais son enceinte se remplit souvent de joyeux seigneurs se rendant aux fêtes dont il fut plus d’une fois le principal théâtre.

Pour résumer ces diverses remarques qu’il me suffise de dire que le Louvre est à Paris ce que Paris lui même est à la France, c’est à dire le monument le plus précieux et le plus remarquable de la grande cité.

Outre le Louvre, la capitale peut encore citer avec orgueil.

Le Palais Royal, monument maintenant envahi par les joailliers et les bijoutiers dont c’est le quartier principal. C’est encore une promenade favorite et le soir surtout la place présente un aspect très animé. Des milliers d’enfants viennent y prendre leurs joyeux ébats sans crainte des voitures. Un jet d’eau placé au milieu y répand pendant les étouffantes soirées d’été une fraîcheur bienfaisante. Ce palais fondé par Richelieu portait d’abord les noms de Palais Cardinal. Il ne prit celui de Palais Royal que quand le grand ministre en eût fait présent au roi. C’est dans la cour du Palais Royal que le peuple ameuté s’amassait en foule pour entendre les fougueuses allocutions de Camille Desmoulins.

Le Panthéon était d’abord destiné au culte catholique, mais pendant la révolution il fut consacré aux illustrations françaises. Sur le fronton on écrivit « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ».

Les caveaux reçurent les cendres de Voltaire, de Mirabeau. Cependant après la découverte de l’armoire de fer, les restes de ce dernier furent jetés au vent par le peuple indigné. Marat subit le même sort après avoir souillé quelque temps de sa présence immonde cette enceinte du génie. Son corps fut jeté dans un égout.

Les Invalides. Monument destiné à recevoir les glorieux vétérans de nos armées, les champions de nos armées et certes on est heureux de voir ces pauvres invalides, entourés des soins et du bien être que leur valurent leur bravoure et leurs exploits.

Notre Dame est encore un de ces antiques monuments qui nous rappellent l’architecture des anciens temps. L’intérieur de la Cathédrale est sévère et presque délabré mais mon imagination peupla cette enceinte de hauts et nobles seigneurs, de belles dames, de bons et vaillants chevaliers au cœur franc et loyal, grands pourchasseurs d’aventures Il me semblait entendre ces voûtes trembler sous les acclamations du peuple saluant le roi au je croyais entendre les chants de victoire en l’honneur des Condé, des Turenne, des Luxembourg, des Napoléon. Grands et nobles souvenirs qui rappellent la plupart des hauts faits qui placent la France au premier rang des nations.

Maintenant parlerai-je encore de cette fameuse rue de Rivoli qui longe les Tuileries, de cette magnifique place de la Concorde qui n’a peut-être pas son égale en Europe des champs Elysées du Bois de Boulogne ce rendez vous de la société élégante de Paris ! Aurai je besoin de citer le Palais du Luxembourg, le Jardin des Plantes et sa curieuse collection, les Tuileries, pour proclamer que Paris est la première capitale de l’Europe.

J’en appelle à ces milliers de visiteurs que chaque jour la vapeur apporte de tous les coins du monde, et pour terminer je résumerai ma pensée par cette comparaison célèbre.

La France est un anneau dont Paris est le diamant.

Fin de la 1re partie [2]


[1Edouard, fils de Narcisse et de Delphine Seigneure, est né en 1839 à Fécamp. Il a donc 16 ans lorsqu’il rédige ce document... Il deviendra, comme son, père Epicier à Graville. Il est décédé célibataire en 1891, à l’âge de 52 ans.

[2Ce mot de la fin sous-entend que l’auteur souhaitait donner une suite à son récit. Si elle a existé, ce qui est probable, elle est aujourd’hui perdue !

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11 Messages

  • Un voyage à Paris en 1855 22 juin 2009 16:59, par moignard jean marc

    Bonjour,

    Je m’appelle Jean-Marc MOIGNARD et j’habitait encore récemment au Havre. Je suis de votre famille car ma femme a eu accès à votre arbre (del pozo) ce qui m’a permis de remonter jusqu’à vous. Je suis de la branche de Léon Moignard. Pourriez vous me permettre d’accéder à votre site généalogique afin que je puisse compléter mes informations. Merci d’avance
    Mon email : cmoignard chez hotmail.com
    Tél. : 05.53.79.61.86 (lot et garonne - Aiguillon 47190 depuis juillet 2007)
    PS : je peux également vous transmettre mes propres informations si vous le souhaitez.
    Cordialement
    Jean-Marc MOIGNARD

    Répondre à ce message

  • Un voyage à Paris en 1855 17 novembre 2007 10:35

    Je mets de coté les corrections signalées que je mettrai à jour dès que possible. J’ai ajouté sur le lien picasa d’hier un petit texte de mon arrière grand-mère qui complétent les exemples d’écriture de nos anciens. Si Edouard avait 15 ans MMarie en a 13

    Répondre à ce message

  • Un voyage à Paris en 1855 17 novembre 2007 10:12

    Quelle émotion ! Quelle richesse de langage ! La photo balbutiait et avant elle les textes offraient des images et de la couleur. Je ne peux qu’avec tristesse constater que notre langue (Notre belle langue de France ) aurait dit l’auteur de cette "Lettre à son père" s’appauvrit dans sa structure, dans son vocabulaire dans sa grammaire (science des ânes) disent certains enseignants. Jusqu’où peut elle s’appauvrir ? Le langage est la base de la tradition écrite. En l’absence de tradition écrite reste la tradition orale. Quelle tradition allons nous laisser à la postérité si ni l’écrit, ni l’oral ne sont là pour assurer cette passerelle entre les générations et les siècles ? Merci à toi Jeune Normand du milieu du 19e siècle pour nous avoir rappelé la beauté des mots et merci à celui ou celle qui t’a ainsi ressuscité
    Jean-Louis.

    Répondre à ce message

  • Un voyage à Paris en 1855 16 novembre 2007 18:02

    Ayant cru comprendre qu’il y avait un doute pour certains sur l’authenticité de ce document, j’ai rendu public les photos de l’original avec quelques éléments complémentaires.
    http://picasaweb.google.fr/Jeandelpozo/Moignard.
    Jean del POZO

    Répondre à ce message

    • Un voyage à Paris en 1855 16 novembre 2007 19:30, par Finnegan

      Merci d’avoir publié les photos de l’original. Un bien beau document, vraiment.

      En outre, cela m’a permis de déchiffrer les quelques mots qui manquent dans votre transcription, et que vous avez remplacés par des ???

      Dans le paragraphe "Un tableau allégorique placé auprès attire l’attention." lire, après "Jeanne d’Arc" : etc, etc...

      Même chose, deux paragraphes plus loin : ’les dessins d’architecture", etc...

      Dans le paragraphe "En face se trouve les Noces de Cana", lire "Le gouverneur de la Judée" (ce qui est assez logique...)

      Enfin, dans le paragraphe "Boissy d’Anglas", lire "le peuple de 93".

      Merci encore de faire partager ce texte passionnant aux internautes,

      Cordialement,

      Finnegan

      Répondre à ce message

  • Un voyage à Paris en 1855 16 novembre 2007 14:38, par Jean del POZO

    Je suis heureux que ce petit texte trouvé dans des vieux documents conservés par mes grands-parents vous ait séduit autant qu’à moi.Par contre l’auteur ne pourra malheureusement pas vous répondre mais vous pouvez toujours lui rendre une petite visite au cimetière Sainte Marie au Havre !!
    Vous trouverez peut-être quelques autres détails sur mon site http://perso.orange.fr/jean.delpozo/

    Répondre à ce message

  • Une petite merveille 16 novembre 2007 13:14, par Finnegan

    Voilà un texte stupéfiant !

    La qualité du récit, le style, font presque douter que l’auteur en soit un jeune homme de 16 ans, qui deviendra épicier ! Pardonnez-moi cette question, dictée par l’étonnement plus que par l’incrédulité : êtes-vous sûr de son authenticité ? Quelle forme a-t-il ? Est-ce une (longue) lettre ? Un cahier ? L’orthographe (absolument impeccable) est-elle bien celle du texte d’origine, ou bien l’avez-vous "retouchée" ?

    Je pense que sa valeur de témoignage mériterait, au-delà de ses qualités d’écriture, que ce texte soit mieux connu. C’est, à mon sens, un document de tout premier intérêt. Avez-vous envisagé une publication ?

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    • Une petite merveille 16 novembre 2007 13:31, par Thierry Sabot

      Bonjour,

      En attendant la réponse de l’auteur de l’article, Jean del Pozo, j’ajoute une photo de la première page du cahier d’Edouard Moignard.

      Cordialement,

      TS

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  • Un voyage à Paris en 1855 16 novembre 2007 10:18, par Sophie BOUDAREL

    Quel récit intéressant ! Surtout quand on sait qu’il a été écrit par un adolescent de 16 ans. Il fait une description de Paris et de l’exposition tel un ethnologue racontant sa découverte d’une tribu.
    En savez-vous plus sur le parcours de ce jeune homme ? Une telle plume, un tel attachement aux beaux-arts auraient pu le destiner à une carrière journalistique.

    Merci pour ce récit.

    Sophie BOUDAREL

    Voir en ligne : http://www.lagazettedesancetres.com

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