Le meneur recrute des nourrices, leur confie des enfants et prend une commission sur les pensions. Combien d’enfants sont arrivés à Equéheries, je ne le sais pas, combien ont survécu, très peu, et ce que l’on découvre sur les registres paroissiaux est effroyable.
Vers 1766, le meneur est François de Marly, qui habite à Leschelle village voisin d’Hesquéheries. Dans sa maison, 67 enfants trouvés sont morts de 1764 à 1774.
« Le 24 d’avril mil sept cent cinquante deux est décédé un enfant chez Joseph Bombart des enfants trouvés de la maison de Paris. Son corps a été inhumé par moi vicaire d’Esquéhéries dans le cimetière de cette paroisse le même jour au dit an. »
Le nom de l’enfant n’est ici même pas cité. Le terme « enfant trouvé de la maison de Paris » est si fréquent qu’ aujourd’hui, pour l’écrire, on utiliserait un raccourci clavier.
11 enfants trouvés meurent à Esquéheries en 1752-1753 dont 6 chez le seul Joseph Bombart.
Joseph Bombart est manouvrier, il a 46 ans en 1753 et a épousé en secondes noces Marie Jeanne Megret, qui a le même âge, le 7 janvier 1734 à Esquéhéries.
Le couple perd cette même année 1753 une fille, Marguerite, qui décède le 24 juin à l’âge de 22 ans. Il leur reste 6 enfants vivants âgés de 10 à 19 ans.
Pour faire bouillir la marmite, ils prennent, comme plusieurs familles d’Esquéhéries, des enfants en nourrice.
Le meneur est-il bien plus intéressé par sa commission que par la capacité à allaiter d’une femme de 46 ans qui n’a pas eu d’enfant depuis un temps certain ? C’est en tout cas sur le premier versement de la pension que sa commission est la plus importante (4 Livres sur 5). Ce qui semble certain, c’est que Marie Jeanne Megret n’a jamais accompagné le meneur à Paris et qu’aucun chirurgien, accompagné d’une sœur, n’a du pouvoir vérifier sa qualité de nourrice.
Au XIXe siècle, les meneurs et meneuses donneront lieu à de nombreuses plaintes : choix de mauvaises nourrices, détournement de pensions ou de vêtements etc.
En 1754 sur 28 décès d’enfants (moins de 6 ans) enregistrés sur la commune, 14 sont des enfants trouvés soit 50%. Bizarrement, on n’en trouve que deux chez les Bombart.
Le meneur va à Paris et distribue les enfants tous les 15 jours, les Bombart les prennent par deux, voire trois.
En 1755, 34 enfants sont décédés, dont 21 enfants trouvés (environ 62%), dont 10 chez chez le seul Joseph Bombart, presque 30% du total et 50% des enfants trouvés.
10 enfants morts en une année dans la même maison, quel métier !
Marie Jeanne Megret « la nourrice » a 49 ans lors de cette hécatombe.
Les Bombart continueront à prendre des enfants en nourrice en 1756, ce qui fera deux morts de plus, puis arrêteront.
L’âge des enfants n’est pratiquement jamais indiqué sur les actes de cette période, on en trouve cependant un qui indique 11 jours. On le verra en 1780, ils ont entre 8 jours et 3 semaines.
En 1756 sont décédés 20 enfants dont 14 enfants trouvés soit 70%.
En 1757 s’amorce une nette baisse de décès d’enfants trouvés : 4 en 1757, 3 en 1758, et 3 en 1759 puis 4 en 1760.
Les affaires reprennent en 1761 avec 8 enfants trouvés sur 22 enfants décédés. Soit presque un tiers.
Sur ces 8 enfants 6 décèdent dans une même famille, celle de Nicolas Brunois :
- 28 avril 1761 Louis Dupuis chez Marie Sarpillon femme de Nicolas Brunois.
- 25 mai 1761 Marguerite Lamarre chez Nicolas Brunois.
- 29 juillet 1761 Marie Marguerite Bonnet chez Louis Brunois.
- 12 septembre 1761 Jean Thiery chez Nicolas Brunois.
- 23 septembre 1761 Louis Jean Padelinette chez Marie Rousse femme de François Tronquet.
- 28 septembre 1761 Catherine Françoise Cabaret chez Marie Sarpillon (X Nicolas Brunois).
- 14 octobre 1761 Claude François Chevasseur chez Marie Rousse femme de François Tronquet.
- 20 octobre 1761 Jean Benoist Bouche Marie Sarpillon femme de Nicolas Brunois.
1762 est une année très calme avec un seul décès et 1763 une année sans.
1764, 2 décès chez Nicolas Brunois.
Après l’accalmie des années 1762 à 1764, ça recommence :
- 09 mars 1765 Henriette Françoise Giron chez Rémy Leblan.
- 20 mars 1765 Joseph Lignau chez Louis Brunois.
- 08 avril 1765 François Tasot chez Louis Gourdin.
- 30 avril 1765 Bernard Houdier chez Jean Coze.
- 21 mai 1765 Jean Baptiste Laurent chez ?.
- 13 juin 1765 Pierre Charpentier chez Pierre Picard.
- 25 juin 1765 Catherine Dubois chez Denis Denis.
Denis Denis a perdu l’un de ses propres enfants le 4 avril à l’âge de 3 mois. - 17 août 1765 Antoine théodore chez Denis Denis.
- 25 septembre 1765 Marie Joseph Periot chez Marie Brunois veuve d’ Estienne Cliche.
1765. Sur 16 enfants décédés, 9 sont des enfants trouvés ; plus de 56%.
- 07 mars 1766 Anne Morin chez Jean Coze.
Jean Coze perd deux des ses propres enfants le 18 mars (2ans) et le 23 mars (8 mois). - 12 mai 1766 Etienne Nicolas Dupressoir chez Louis Brunois.
- 25 octobre 1766 Jean Marie Aulard chez Jean Dehorne.
- 19 février 1767 Anne Lapleigne chez Pierre Poret.
- 21 février 1767 Barbe Bertaut chez Pierre Poret.
- 05 mars 1767 Louis Estouve(?) chez Pierre Poret.
- 21 octobre 1767 Jacques Louis Auguste Boucher chez Jean Dehorne.
- 12 décembre 1767 Marie Louise Vezard chez Pierre Poret.
- 19 décembre 1767 Marie Anne Cheverde chez Louis Brunois.
Pierre Poret chez qui meurent 5 enfants trouvés en 1767 est valet de charrue. Sa femme, Anne Chevallier n’est sans doute pas en état de nourrir les enfants qui lui ont été confiés. Elle accouche le 28 décembre d’un garçon qui meurt lui aussi le premier janvier 1768.
Les années passent, le meneur de Leschelle continue inlassablement son trafic.
Marie Josèphe Prevot ne semble pas mariée. Elle est dite fille majeure, fileuse de sa profession. Elle est cependant nourrice. Arnoult Chefdotel, le témoin sur l’acte ci-dessus, est le sonneur de l’église et le fossoyeur de la paroisse.
- 05 mai 1780 Louise Audroux, 8 jours, chez Marie Joseph Prévost.
- 17 mai 1780 Geneviève Martiale Bouvier, n°2070, 3 semaines, chez Marie Joseph Prévost.
- 07 juin 1780 Nicolas Auboin,12 jours, n° 2532, chez Marie Joseph Prévost.
- 20 août 1780 Marie Geneviève Benoist, n° 3503, 15 jours, chez Marie Joseph Prévost.
- 23 août 1780 Mathurin Marchand, 18 jours, n° en blanc, chez Marie Joseph Prévost.
- 13 septembre 1780 Jean Laurent, 7 jours, n° 96 (?), chez Marie Joseph Prévost.
- 09 décembre 1780 Célestine Joseph chez Anne Chevalier, 9 mois (Célestine Joseph, n’est pas une enfant trouvée, mais elle a été confiée à Anne Chevalier par le meneur de Leschelle. C’est l’enfant illégitime d’une bourgeoise de Longueville diocèse de Cambrai.).
Sur 21 enfants décédés en 1780, à Esquéheries, 7 sont des enfants en nourrice.
A Leschelle, la même année, 22 enfants trouvés, soit 78,5 % des enfants décédés.
Ces enfants, lorsqu’ils survivaient, étaient rendus à l’hôpital des enfants trouvés quand ils étaient sevrés 3 à 5 ans selon les époques. On avait alors droit à une nouvelle hécatombe.
Pour finir sur une note moins sombre, certains parents nourriciers s’attachaient à l’enfant qui leur était confié. C’est le cas de Jean Dehorne, couvreur en paille, cité ci-dessus et de sa femme Marie Anne Rouillard qui se sont attachés à l’un de ces enfants. Ils ont sans doute du faire des pieds et des mains pour le garder et ont sans doute eu bien de la peine lorsque celui-ci est mort à l’âge de 22 ans.
Sources : Registres paroissiaux d’ Esquéheries (02) et de Leschelle (02).
Gallica : Un Chapître de l’histoire des enfants trouvés : La maison de couche à Paris par Léon Lallemand.