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Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel

Le jeudi 26 mai 2016, par Serge Bouvart

« Jeannot s’en va en guerre, mironton, mironton, mirontaine... »
C’est peut-être ce que chante joyeusement, en béarnais, Jean Castera, de Salies de Béarn, en ce début 1829, sur l’air de Malbrough.

Ce tout jeune engagé de 19 ans est effectivement joyeux. Il vient de se marier et part, le cœur léger, pour six ans de service militaire. Quand il reviendra, en bonne santé espère-t-il, il sera jeune encore, et, si Dieu le veut bien, sa femme sera morte. Devenu relativement riche, il fera alors un beau parti.

Jean vit à Salies de Béarn (64) où il est né en 1809 et s’il a tant d’espérance, c’est que, comme lui, de nombreux jeunes gens de Salies ont depuis des décennies suivi le même chemin et ont suivi ce plan simple mais efficace :

  • 1) se marier avec une vieille femme,
  • 2) partir pour l’armée,
  • 3) encaisser le pactole,
  • 4) se remarier.

Suivant ce plan, Jean sait qu’il ne doit normalement pas revoir sa « Dulcinée ». Il s’agit d’un mariage arrangé, d’un mariage scandaleux diront les mauvaises langues du pays, Jean, 19 ans, a épousé en effet le 26 novembre 1828 à Bergouey (village voisin de Salies), Jeanne Larroder, née en 1746 et donc âgée de 82 ans.

Le temps passe...

Que chante Jean en 1834 à son retour du service militaire, on ne le dit pas, mais ce qui est certain c’est qu’il déchante rapidement. Jeanne Larroder a maintenant 88 ans et est toujours bien vivante. Mince alors ! Lui qui pensait enfin pouvoir s’établir avec une jeune fille de son âge.

La mariée pourtant n’est pas exigeante, elle habite toujours Bergouey alors que son mari, qui ne l’est que sur le papier, vit à Salies.

Jean devra attendre encore 4 ans avant que son épouse, Jeanne, daigne enfin s’éteindre à l’âge de 92 ans, le 20 mai 1838. Ouf !

Un Jean Lanceshmere 21 ans, laboureur, épouse, en 1829, Marie Muiras 80 ans. Pas de chance non-plus, Marie Muiras ne meurt qu’en 1837.

La plupart de ces mariés « scandaleux » sont pourtant plus chanceux ; ainsi Jacques Pouyés, 19 ans, qui épouse Marie Vitau, 86 ans, le 14 février 1827 à Oraas. La mariée coopère si bien au plan établi qu’elle meurt 3 mois plus tard le 05 mai 1827.

Une autre mariée, Anne Bares, 90 ans, coopère, elle aussi, et laisse pour veuf Pierre
Capdevielle, 21 ans, après seulement 2 mois de mariage.

D’autres, comme Jeanne Duisedy, 80 ans en 1819, décèdent gentiment en respectant à la ligne le contrat. Jeanne meurt le 20 août 1823 laissant ainsi la place libre à une jeunette pour son mari, Pierre Lassere, qui aura 25 ans et un grand sourire à son retour.

Les mariages de ce type sont relativement nombreux tout autour de Salies de Béarn.

La cause unique en est « l’or blanc » de Salies : le sel.

Depuis des temps anciens, une source d’eau salée fait la fortune du village. Cette eau est 7 fois plus salée que l’eau de mer (300g/L). Il est plus rentable de fabriquer du sel que d’être laboureur (on se moque d’ailleurs des laboureurs à Salies).

La ville de Salies de Béarn fut ceinte de murailles et il fut décidé que seuls les habitants intra-muros (les part-prenants) pourraient sous certaines conditions puiser l’eau de la source.

Le premier règlement régissant cette source date de 1587 et les part-prenants bénéficient toujours d’un droit de nos jours.

Pour la petite histoire, lorsqu’à la suite de fortes pluies, l’eau douce envahissait la source d’eau salée, les Salisiens avaient un truc infaillible. Ils y jetaient des œufs. Les œufs sont plus lourds que l’eau douce mais flottent sur l’eau très salée de la source. Il suffisait donc d’enlever l’eau douce jusqu’au niveau des œufs pour pouvoir enfin puiser la saumure si convoitée.

Le sel de Salies n’était pas sous l’ancien régime soumis à la gabelle et pouvait être vendu le long des Pyrénées. Louis XIV avait bien songé à s’accaparer la source. Il y eut plusieurs procès. Il voulut ensuite faire soumettre le sel à cette fameuse gabelle mais dut y renoncer suite à plusieurs révoltes dont celle de la ville de Bayonne.

Les fils de part-prenants n’avaient leur « compte d’eau salée » que s’ils étaient mariés et habitaient Salies. L’obligation de résider à Salis était caduque pendant qu’ils faisaient un service militaire, le droit de sauce (autorisation de puiser) leur était compté pendant leur absence. Ils avaient donc un double intérêt à se marier et partir pour l’armée. Ils revenaient avec la valeur de 6 ou 7 ans de compte selon l’époque, une petite fortune pour ces gens modestes.

Sont-elles contentes, ces veuves de 60 à 95 ans qui se retrouvent quelquefois avec plusieurs soupirants de 16 à 21 ans ? Elles savent évidemment que ce n’est pas pour leurs beaux yeux qu’elles sont ainsi courtisées. Que gagnaient-elles à accepter un tel mariage ? Une somme rondelette évidemment.

En tout cas, l’affaire semble si rentable, selon S.Trébucq, que des veuves se retrouvent sans le savoir mariées 2 ou 3 fois à des jeunes hommes. Des vieilles filles sont mariées après leur décès.

La mariée est même, paraît-il, quelquefois simplement purement imaginaire. Il fallait bien entendu, pour ces magouilles, graisser la patte à un élu ou un secrétaire de mairie (ce qui serait bien sûr impensable de nos jours...).

Le prix du sel qui avait atteint des sommets à la révolution, s’effondrera vers 1840.
Ce genre de mariage n’aura plus dès lors que peu d’intérêt.

Sources :

  • Salies de Béarn et ses environs à travers les âges, par S. Trébucq (Gallica).
  • Dictons et proverbes du Béarn, paroemiologie comparée, par V. Lespy (Gallica).
  • Audijos : la gabelle en Gascogne (Gallica).
  • Les relevés gratuits de l’association Chanégroupe, avec un grand merci...
    AD 64

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13 Messages

  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 20 juin 2016 18:47, par pierre fauquet

    Ces mœurs salisiennes des siècles passés sont bien connues et jean Labarthe dans son livre de 1956 avait déjà mentionné la fréquence de ces mariages arrangés pour percevoir les revenus de l’exploitation de la source salée dit"compte de sauce" mais derrière ces mariages il y avait aussi des préoccupations de transmission du patrimoine de l’époux le plus vieux

    Répondre à ce message

  • Bonjour,
    Je connaissais certaines de ces histoires parues dans la revue des Amis du vieux Salies.toujours plein d’anecdotes.
    J’ai épousé un Salisien mais le mien vit toujours... il n’était pas riche...(lol)
    Mais cela fait toujours rire.

    Répondre à ce message

  • Bonjour

    Merci à serge BOUVART pour cet article documenté car ma famille est originaire de SALIES et nous en avions entendu parlé mais très discrètement..
    Je voulais rajouter le mariage de David BEIGBEDER CALAY, 36ans qui se marie en 2°noce en 1845 avec BIHERE Marguerite 71 ans.
    Concernant les mariages à SALIES, mais hors de la raison du sel, j’ai trouvé drole le mariage en 1846 de VIERGE Marie 66 ans avec DARRIGRAND Jean pierre 68 ans
    Bien cordialement

    François Larrat

    Répondre à ce message

  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 8 juin 2016 09:17, par marylene alusse

    j’ai moi aussi un "ancien" de ces années-là marié à 19 ans à quelqu’une de 80 ans !!! mais ce n’était pas là-bas mais en maine-et-loire........j’y ai jeté un oeil plusieurs fois sur cet acte ; n’y croyant pas au départ et pensant à une erreur de transcription....

    Répondre à ce message

  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 29 mai 2016 19:37, par Alain Fournier

    Des cas similaires chez les Amérindiens Caribes de Guyana [Amérique du Sud],
    Lorsqu’avec une équipe de Guyanais en 1974-75, nous faisions des recherches ethnographiques sur la rive gauche de la Mazaruni, près de Bartica. Nous avons rencontré plusieurs foyers Caribes ou l’épouse était souvent plus âgée que son époux, entre 17 ans et 47 ans, Le mari travaillait pour son épouse dans le jardinet a manioc et autres petites plantations, chassant une ou deux fois par semaine et péchant presque tous les jours avec des lignes ou des pièges. L’épouse s’occupe du foyer, du potager et des poules, et si a le temps relevant les lignes. Lorsqu’elle mourra, si son époux ne l’a pas quitté, il se mariera avec une très jeune épouse de 15/16 ans et devenue veuve, elle aura comme
    compagnon de hamac un jeune homme ardent et plein de gratitudes. Les relations adultérines sont fréquentes et peuvent entrainer quelques coups et blessures. Les enfants semblent hériter des outils, semences et animaux domestiques. Ces arrangements matrimoniaux semblent être une réussite selon les dires des intéressés et n’empêchent nullement d’avoir des relations épisodiques avec une personne se son âge.
    Donc un(e) adolescent/te pauvre peut trouver refuge et sécurité avec un(e) personne le double ou triple en âge en travaillant pour elle ou lui et en partageant la couche commune.

    Répondre à ce message

  • Bonjour,
    J’ai beaucoup apprécié votre récit. Ayant visité très récemment les salines de Salies de Béarn, je n’ai pas eu vent de ces mariages arrangés. Dommage car cela aurait bien pigmenté la visite qui me fut déjà très agréable.

    Continuez à nous faire vibrer par vos récits fort passionnants !!

    Cordialement.

    Dominique Lhermitte

    Répondre à ce message

  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 28 mai 2016 20:30, par Colette Boulard

    Comme quoi ce que l’on appelle la morale a toujours su s’adapter aux circonstances et aux réalités bien concrètes de la vie. C’est drôlement raconté. Merci pour ce sourire.

    Répondre à ce message

  • Bonsoir,

    Habitant le Béarn, j’ignorai cette histoire !
    Je vais m’empresser de la conter à mes amis !

    Merci !

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  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 27 mai 2016 21:10, par Jocelyne Cathelineau

    C’est cocasse ! Inimaginable mais puisque vous avez trouvé des traces de tous ces couples très désassortis, ce doit donc être vrai.
    C’est un plaisir de vous lire.

    Répondre à ce message

  • Bonjour !

    Moi aussi, j’ai bien ri !
    Une amusante découverte, un article documenté et illustré qu’il fait bon lire un soir de week-end. Merci !

    Répondre à ce message

  • N’Est-ce pas aussi, ou tout simplement, un arrangement fiscal ? Les biens de la veuve passent au mari plutôt qu’à des enfants d’un premier lit , avec les droits d’héritage, ou à l’Etat ?

    Répondre à ce message

  • Salies de Béarn : des mariages qui ne manquaient pas de sel 26 mai 2016 14:37, par martine hautot

    Bonjour,
    Oh,que c’est vilain votre histoire ,mais j’ai bien ri !
    je ne peux m’empêcher de penser au film déjà bien ancien sur le viager . Qui est pris qui voulait prendre ! Sacrés Béarnais !
    Contez-nous en d’autres .Bien cordialement,
    Martine

    Répondre à ce message

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