Croiriez-vous qu’au XIX siècle on pouvait accoucher dans une voiture ?
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C’est pourtant ce qui est arrivé à Rose Petit, le 13 Juin 1872, à trois heures du matin. La voiture du marchand ambulant qui l’abritait était alors stationnée sur la commune des Grandes Ventes et plus précisément sur la route de Dieppe à Paris. Les Grandes Ventes, c’est le nom d’un village en bordure de la forêt d’Eawy, en Seine-Maritime (alors Seine-Inférieure), nommé ainsi en raison des importantes ventes de bois qui s’y effectuaient.
C’est là que Rose Petit met au monde, le 13 Juin 1872, la petite Félicité, Louise, Julia, à trois heures du matin, sur la route de Dieppe à Paris, dans une voiture de marchand ambulant.
La femme qui vient d’accoucher a déjà 37 ans. Elle exerce alors un de ces nombreux petits métiers "qui n’attendent pas en boutique la venue du client." Pour le moment marchande ambulante de mercerie, elle propose aux paysannes des objets bien utiles aiguilles, épingles et dés à coudre, mais aussi quelques futilités, rubans, dentelles, jolis mouchoirs, un peu de rêve enfin. Elle empoche quelques sous, pas de quoi faire des folies et elle reprend la route. Elle vient de Belleville-sur-mer, à une dizaine de kilomètres au nord de Dieppe, où elle a vu le jour dans les bâtiments d’une ferme : son père, originaire du quartier du Pollet à Dieppe, qualifié de journalier et mendiant, est venu s’y abriter avec sa femme en mal d’enfant. Avec de tels débuts dans la vie, on devine que l’existence de Rose ne sera pas des plus faciles.
Rose ne passe pas devant monsieur le maire mais quand naît Félicité, elle a déjà mis au monde plusieurs enfants qui ont tous vu le jour dans le département de la Seine- Inférieure mais dans des villages différents au gré de ses déplacements : une première petite fille naît à Gruchet Saint Siméon (près de Luneray), dans l’arrondissement de Dieppe, le 28 Décembre 1859. Elle est prénommé Rosalie Delphine et s’appelle Dujardin puisque reconnue à sa naissance par son père François Marcellin Dujardin, un chiffonnier, originaire de Bosc-le-Hard.
Rose s’occupe alors à « coudre de la faïence. » car, à cette époque on ne jette pas la vaisselle cassée, on la répare ou si vous préférez, on la raccommode en récupérant les morceaux qu’on relie avec des agrafes et elle est comme neuve et d’une solidité à toute épreuve ! Une seconde petite fille, Angelina, naît le 18 juin 1863 à Estouteville-Ecalles (non loin de Buchy), puis un garçon, une quinzaine de kilomètres plus loin, en 1866 à Saint-Georges-sur-Fontaine, prénommé François Marcellin. Celui-ci n’est pas reconnu par son père, la maman est devenue marchande de chiffons.
Tous ces enfants sont certainement les enfants de François Marcellin Dujardin, même s’il omet parfois de les reconnaître ou le fait tardivement : la petite Félicité, née sur la route de Dieppe est ainsi reconnue 16 ans plus tard en 1888, peut-être pour faciliter un mariage.
Mais on pouvait trouver un indice de cette paternité dès la lecture de l’acte de naissance : on y voit que la femme qui présente l’enfant s’appelle Félicité Dujardin, « présente à l’accouchement comme compagne de voyage de la mère de l’enfant. » Ce qui n’est pas dit, c’est qu’elle est la sœur de François Marcellin Dujardin et donc la tante du nouveau-né. D’autres enfants suivront ; dont un petit Désiré Eugène Dujardin, né sur la voie publique en 1877 à Arques-la-bataille. On se retrouve du côté de Dieppe.
La situation de Rose ne s’améliore pas et d’autres enfants sont peut-être nés dont je n’ai pas retrouvé la trace. Ce sont des familles qui vivent dans une précarité très importante, qui changent sans cesse de résidence et qui ne s’encombrent pas de formalités administratives.
- Cailly, place du marché
Nous connaissons toutefois le lieu et la date de décès de Rose, à tout juste cinquante ans, le 26 Octobre 1886 « sur la place publique de Cailly où elle était de passage ».
Cailly est à une dizaine de kilomètres de Saint-Saëns.
(Je connais bien l’endroit car c’est dans ce village que j’ai passé toute mon enfance, on y voyait encore de pauvres marchandes traversant le village en criant « peaux de lapins, chiffons, ferrailles. ») On la dit marchande ambulante sans domicile fixe et mariée à Marcellin Dujardin, sans profession et domicile connus. La date du mariage est laissée en blanc et pour cause. Triste destinée ! Les filles de Rose connaîtront à leur tour les aléas d’une vie de nomade.
Quant à François Marcellin, il se marie finalement avec une veuve, en 1888, à Yvetôt (pas de mention d’un précédent mariage de l’époux) et décède beaucoup plus tard aux grandes ventes le 7 mars 1908, à 65 ans, resté jusqu’à sa fin marchand ambulant.