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Un serpent de 108 ans à Quimper

Une verdeur peu commune

Le vendredi 6 décembre 2024, par Pierrick Chuto

L’histoire véridique de Simon Charrue

Quimper. Jeudi 13 mai 1751, deux heures du soir. Sortant précipitamment d’une des maisons accolées à la cathédrale, une femme encore jeune s’écrie Simon vient de passer. La nouvelle se propage rapidement en cette paroisse de la Chandeleur sise dans la ville close et les commentaires vont bon train.

Qui ne connaît pas Simon ? Simon qui ? Simon Charrue, voyons ! Il y a quelques mois encore, il officiait à la grand-messe du dimanche en qualité de serpent et l’on raconte qu’il accompagnait les chants depuis soixante-dix ans. D’aucuns prétendent sans rire qu’il avait cent huit printemps et s’irritent devant les mines circonspectes de leurs interlocuteurs ! À une époque où la médecine est plus que balbutiante, est-il possible de vivre aussi longtemps ? Et que signifie ce terme serpent ?

Je comprends votre étonnement et, n’écoutant que mon bon cœur, je vais vous raconter l’histoire véridique de Simon Charrue.

Les Quimpérois qui ont assisté à l’arrivée de la famille Charrue ne peuvent plus témoigner, car ils sont au ciel ou en enfer depuis longtemps. Alors, supposons que, venu du midi de la France, Daniel Charrue soit le père de Simon. Quand il meurt le 18 novembre 1677, le curé nous apprend que ce sexagénaire habitait dans la paroisse du Saint-Esprit sur la rive gauche de l’Odet, et qu’il a été inhumé le lendemain dans la cathédrale. Tant pis pour les narines délicates puisqu’il est de tradition d’être enterré au plus près du Seigneur.

Pendant la cérémonie, Simon joue-t-il du serpent ? Aujourd’hui, cet instrument à vent de la famille des cuivres est tombé en désuétude, mais son timbre se mariait merveilleusement avec la voix humaine. Il doit son nom à sa forme, un grand S creusé sur sa longueur, ouvert aux deux bouts et percé de six trous. Le musicien a pris le nom de son instrument et l’on ne peut que sourire en lisant le souvenir d’un paysan picard après la visite de la cathédrale d’Amiens : il a été émerveillé à la vue d’un homme qui tenait une bête. Il lui mordait la queue et lui chatouillait le ventre, et elle beuglait ! elle beuglait !

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Serpent exposé dans la chapelle des Pénitents noirs à Villefranche-de-Rouerge
L’instrument présente une forme serpentine, particularité qui lui a donné son nom (Wikipedia).

Simon Charrue apparaît dans les registres de la cathédrale le 2 février 1685, lors de son mariage avec Thomase Corentine Le Roux. Il déclare être âgé de quarante-trois ans, ce qui le ferait naître en 1642. En 1751, au moment de son décès, il a donc cent huit ans. Surprenant, n’est-ce pas ? Mais passons ! La mariée (âge non précisé) est sans doute de bonne constitution, car elle donne au serpent quatre garçons et onze filles.

15 + 6 = 21 enfants

En 1692, à la naissance de Louis-Claude, Simon Charrue est déclaré marchand et musicien. Est-ce dès cette époque qu’il loue au chapitre de la cathédrale l’une des dix-neuf maisons accolées à la cathédrale ? Il y est "hoste débitant vin au détail". Le couple et ses quinze enfants (certains ont cependant dû mourir entre-temps) habitent à Keradennec en Ergué-Armel lorsque Thomase décède le premier jour de l’an de grâce 1707.

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Maison Charrue
Accolée à la cathédrale, la maison de Simon Charrue
Dessin de René Henry d’après Louis Le Guennec

Devant trouver au plus vite une nouvelle épouse, Simon jette son dévolu quelques mois plus tard sur Marguerite Anne de Saint Girons, une noble dame, veuve du sieur de Kergroas. Elle meurt en janvier 1714, peu après avoir accouché de son sixième enfant. Le nouveau veuf (soixante-douze ans !) a toujours assez de coffre pour souffler dans son serpent et assez de beaux restes ou d’espèces sonnantes et trébuchantes pour prétendre convoler une troisième fois.

C’est chose faite dès le mois de juillet de la même année. Après les fiançailles faites en face d’église et les trois proclamations de bans, le toujours vert Simon Charrue épouse Marie Gadblez dans la chapelle de la Madeleine . On ne sait rien d’elle sinon qu’elle est veuve.

Une verdeur peu commune

Combien d’années a-t-elle vécu avec le serpent ? Le mystère est si complet qu’en 1993, dans l’article consacré par l’excellente revue "Pays de Quimper en Cornouaille" à notre surhomme, Marie Gadblez ne figure même pas. Le magazine a puisé ses sources dans un texte écrit soixante années plus tôt par l’historien Louis le Guennec. Celui-ci, après avoir passé sous silence ce troisième mariage, écrit : l’intrépide Simon Charrue, d’une verdeur peu commune pour ses cent huit ans, entreprit alors d’épouser une demoiselle Louise Ollivier de soixante-dix-huit ans sa cadette. Les bans sont publiés à la date du 28 juin 1750. Las ! ce mariage n’aura pas lieu. Les enfants des deux premières unions, craignant peut-être pour leur héritage, auraient réussi à s’y opposer .

Un quatrième mariage

Malgré le respect dû à cet illustre historien, celui-ci se trompe. Il est possible que, parmi les survivants des vingt-et-un descendants Charrue, certains en aient assez des frasques de leur vénérable père. Ce dernier n’en a cure, car, le 29 juin 1750, les cloches de l’église de Kerfeunteun célèbrent l’union de Marie-Louise Ollivier, une Châteaulinoise de trente-cinq printemps, avec Simon Charrue, serpent de la cathédrale. Pour son quatrième mariage, le nouvel époux a invité des personnalités quimpéroises et sa main ne tremble pas quand il signe le registre en leur compagnie.

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Signatures lors du 4e mariage de Simon Charrue

La fringante Marie-Louise s’est-elle ensuite peu occupée de son vieillard de mari ? Au contraire, lui a-t-elle cuisiné des plats trop riches ? A-t-il pris froid un dimanche à la cathédrale ? À cent huit ans, est-il raisonnable de souffler des heures durant dans un serpent ? Quel gamin, ce Simon !

Comme il est écrit que toute bonne chose a une fin, le curé de Saint-Corentin écrit le 13 mai 1751 que le sieur Simon Charrue, servant en qualité de serpent au chœur de la cathédrale de Quimper depuis environ soixante-dix ans, mourut sur la paroisse de la Chandeleur dans une extrême vieillesse après avoir reçu tous les sacrements.

L’histoire ne dit pas quel musicien, le lendemain, a joué du serpent pendant l’inhumation de son prédécesseur. Saura-t-on un jour l’âge exact de ce personnage si pittoresque ?

Un dernier détail : la jeune veuve s’est vite consolée dans les bras de Pierre Michelet, notaire royal à Leuhan. Quel empressement pour se remarier dès le 11 octobre 1751 ! Était-elle enceinte des œuvres de son premier mari ?

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La cathédrale Saint-Corentin (Quimper)
Avec ses échoppes et ses tours appelées éteignoirs
(les flèches ne furent construites qu’en 1856)

SITE : http://www.chuto.fr/
BLOG  : https://www.lesarchivesnousracontent.fr/

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12 Messages

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 15 décembre 17:18, par Charlie NOGREL

    Quel climat revigorant que celui de Quimper !...

    Une rapide recherche sur Geneanet m’a permis de retrouver des "CHARRUE" au XVIIe siècle aux alentours de Béziers & Pézenas (Hérault), de Salon-de-Provence & Saint-mitre-les Remparts (Bouche du Rhône) et enfin au sud de l’Isère à Mens (avec une émigration vers la Suisse au moment des répressions contre les Protestants).

    Le mystère reste entier pour le père de notre "Serpent"...
    Amicalement

    Répondre à ce message

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 13 décembre 17:16, par jean louis le floc’h

    notre Marie ollivier est + en 1779

    sépulture - 30/08/1779 - Quimper - Saint-Sauveur
    OLLIVIER Marie Louiseâgé de 64 ans
    Conjoint : ? MICHELET, décédé(e)
    Notes : inh 31/08/1779

    Répondre à ce message

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 9 décembre 12:03, par level

    un solide gaillard que ce breton, on peut dire que jouer du

    serpent cela rend solide et d’autre part d’avoir une activité mêm

    âgée est bénéfique au physique comme au moral

    on ne devait pas s’ennuyer en sa compagnie ; ; ;

    Répondre à ce message

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 6 décembre 19:58, par Graillot Nicole

    Bonsoir,

    J’ajoute simplement, qu’une femme veuve ne pouvait se remarier qu’après avoir passé le délai de viduité d’environ 9 mois, pour éviter justement que la paternité soit attribuée au nouveau mari et non au géniteur, ce qui était très important sur le plan successoral.

    Répondre à ce message

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 6 décembre 15:46, par Balthazar

    Bonjour,

    Si on ne peut trouver son acte de baptême, un bon moyen d’avoir une estimation de son âge réelle serait d’enquêter sur ses parents et ses frères et sœurs.
    Si on trouvait l’acte ou le contrat de mariage de ses parents, on pourrait en déduire qu’il ne peut être plus vieux.
    Avec l’acte de baptême de son plus jeune frère ou de sa plus jeune sœur, on arriverait à avoir une estimation assez bonne de l’âge de sa mère, et donc de la période où elle a pu donner la vie.
    De même, si on arrive à avoir une bonne estimation de l’âge de la plupart de ses frères et sœurs, on peut avoir une idée de la période où ils sont nés, et Simon sera forcément né durant cette période.

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  • Un serpent de 108 ans à Quimper 6 décembre 10:05, par Franck JUIN

    Bonjour,

    A croire qu’en certains cas, être musicien permettait d’avoir une vie longue, très longue... J’ai rencontré à Albignac (Corrèze), en 1669, le décès d’un maître violon âgé de "six vingts" ans, soit 120 ans ! Même si ses petits-enfants sont présents, je ne garantis nullement l’exactitude de l’âge indiqué par le curé.

    Pour les curieux cet acte se trouve sur le site des Archives départementales de la Corrèze, Albignac, BMS 1650-1704, vue 106, avant-dernier acte.
    https://www.archinoe.fr/cg19/visu_affiche.php?PHPSID=6cb9d7c534c4c3ba693417499a32b64d&param=visu&page=1

    (Le site des AD de la Corrèze ne permet pas de mettre un lien directement sur la page du registre, il faut donc entrer le numéro de page en haut à droite.)

    Merci pour cette découverte du "serpent" !

    Cordialement,

    Franck Juin

    Répondre à ce message

    • Un serpent de 108 ans à Quimper 14 décembre 10:21, par Christian De la Hubaudière

      Merci pour la référence d’Albignac, qui me permet d’allonger ma liste de centenaires remarquables des 17e et 18e siècles (environ 2000 à ce jour, dont 1200 vérifiés), trouvés au hasard de mes dépouillements de paroissiaux. Beaucoup plus d’hommes que de femmes qui, elles, sont passées sous silence, ou meurent à l’hôpital, donc pas remarquées. La réalité est largement au-delà.

      Répondre à ce message

    • Un serpent de 108 ans à Quimper 6 décembre 10:58, par Pierrick Chuto

      le violon l’emporte donc sur le serpent 😇

      Répondre à ce message

  • Un serpent de 108 ans à Quimper 6 décembre 10:03, par Hugues Dewynter

    Intéressant, merci de nous en avoir fait part :

    Voici ce que j’avais relevé, sous Gallica, dans l’ Union de défense laïque du Finistère (anticlérical s’il en fut !) Edité en 1933 Source : Archives du Finistère :

    Le 20 juin 1760, Simon Charrue de Kerardennec, habitué à Quimper en qualité de serpent de la cathédrale depuis 84 ans, et âgé de 109 ans, a épousé eu quatrièmes noces Marie-Louise Ollivier, fille Agée de 3o ans, à qui il donne de douaire, en cas qu’il n’ait point d’enfants, le revenu de la
    moitié de ses biens. « Le nouveau marié ne se ressent d’aucune des infirmités de son âge. Ni les sens,
    ni les facultés de l’esprit n’ont souffert aucune altération. Il donne du serpent tous les jours... et mange beaucoup de la pâtisserie et des ragoûts où il fait dominer l’ail. On peut le donner comme une preuve sans répliques qu’il y a d’exceptions à tout âge. »
    Cette sacrée Voix de Saint-Corentin ajoute cependant qu’un époux mieux assorti et moins vénérable ferait mieux l’affaire des trente printemps de Louise Ollivier. C’est aussi mon avis, braves chanoines qui dédiez de si belles pages aux jeunes gens et aux piliers de cathédrale qui vous lisent. Mais ça tourne à la gaudriole.

    A Brest, M. Saluden nous prouva que ce fut une banane, et non une pomme, qui séduisit Eve. Mais, à Quimper, on vient de trouver mieux encore...

    Répondre à ce message

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