L’an mille sept cent trente neuf et huict du mois de mars le quatrième dimanche de carème, sur les six heures du soir ont fait un branle [1] sur le patit commun le long du Rone à l’escandale de toute la parroisse les nommées ci dessous et écrites en lettres rouges, afin que quand elles viendront a se marier, elles restent six mois fiancées et d’un an ne seront point reçues marainnes, le tout pour le bon ordre de la parroisse ; si je viens à mourir avant quelles soient marriez, je prie mon successeur de leur faire suporter la peine de leur escandalle, de leur mauvais exemple et du mépris formel pour le saint tems de carème.
Jeanne Moulin, Magdeleine Maisonneuve, Françoise Esbrayat, Catherine Girens, Marie Molens.
Celle cy a été la cause de cette danse qui est Marie Crose... qui plus le 12 Xbre 1739 pour la corriger, failli me faire insulter par M. S (?) sur les 9 heures du soir. La première fois par (?) de ma vie.
Acte signé par le curé Valdemer en charge de la paroisse à cette époque.
Texte lu et déchiffré par Jacques Sève dans le registre de Soyons, BMS 1721/1751 page 122/256 (registre numérisé sur le site du département de l’Ardèche).
Note : Voici un acte qui est remarquable, au contenu rare, et d’un grand intérêt à la fois généalogique et historique. En effet, il nous renseigne sur les mentalités de l’époque, les pratiques populaires (la fête) et, pour reprendre l’expression de l’historien Yves-Marie Bercé, sur « les censures des exercices de la jeunesse ».
Sous l’Ancien Régime, les fêtes et les divertissements, y compris les manifestations religieuses, sont pour les villageois autant d’occasions de dérapages possibles... toujours redoutés par le curé qui s’efforce de les contrôler et de limiter les débordements, car il en va de son autorité morale et spirituelle sur ses paroissiens et notamment sur la turbulente jeunesse. Cette dernière, selon Michel Vernus, « constitue une force qui agit selon son humeur et à sa guise, dans une autonomie et indépendance qui secouent les contraintes », y compris en période de carême où les divertissements sont interdits... qui plus est lorsqu’ils s’expriment à travers la danse, comme dans l’exemple ci-dessus. En effet, la danse, principale réjouissance villageoise, est alors considérée par l’Église comme une activité de perversion, une source de profanation qu’il faut bannir. |
Sources :
- Yves-Marie Bercé, Fête et révolte, des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, collection « Pluriel », 1976.
- Michel Vernus, Le Presbytère et la chaumière, curés et villageois dans l’ancienne France (XVIIe et XVIIIe siècles), Rioz, Editions Togirix, 1986.
- Thierry Sabot, Nos ancêtres et les mentions insolites des registres paroissiaux, éditions Thisa, 2011.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?