Jacques Delaunay serait né à Moulins, vers 1649. Avait-il vraiment 17 ans seulement ou, jouant sur sa frêle corpulence, s’était-il rajeuni pour que les juges soient plus cléments à son égard ?
Comme il l’expliqua lors de son interrogatoire, il ne s’appelait pas Delaunay, mais Cercy, Lurcy, ou un nom approchant. Voir l’encart ci-dessous.
Son père était boucher à Moulins. Jacques Delaunay, le véritable, n’était que son parrain, mais tout le monde avait pris l’habitude de l’appeler, lui aussi, Jacques Delaunay, dès son plus jeune âge, par moquerie peut-être. Ce surnom lui était resté. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se présenta dans un premier temps, à Nevers.
- Le nom tel qu’écrit par les magistrats de la maréchaussée
Il semble qu’il n’y ait pas de nom approchant dans les registres paroissiaux de St-Pierre-les-Ménestraux, à Moulins. J’ai recherché sur plusieurs années, la naissance de tous les Jacques, prénom peu attribué au vu des actes, ayant pour parrain un homme appelé Jacques Delaunay, sans succès. Ce nom est également introuvable dans la paroisse d’Yzeure. On trouve un Delaunay occupant de hautes fonctions à Moulins, mais il ne s’appelle pas Jacques ; on ne trouve, sauf erreur, aucun Cercy, Cery, Lurcy ou nom approchant. Aurait-il pu être baptisé dans une autre paroisse ? Aurait-il menti ? |
Lorsque les juges lui demandèrent s’il avait déjà eu des démêlés avec la justice, il expliqua qu’il avait donné un soufflet à l’une de ses sœurs et s’était retrouvé prisonnier. A priori, il ne serait pas resté longtemps en prison et aurait été placé, un an avant les faits, comme domestique chez le sieur de la Barre, intendant. Voir l’encart ci-dessous.
Il est probable que cet engagement eut lieu pendant un bref retour de La Barre en France, puisque depuis 1664, ce dernier était gouverneur général de Guyane, avant d’être nommé, en 1666, gouverneur général des Antilles.
Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre, né en 1622, fut un homme à multiples casquettes : conseiller au Parlement, maître des requêtes dans sa jeunesse, intendant de plusieurs provinces dont celle du Bourbonnais, capitaine de vaisseau… Il n’avait pas de bons rapports avec Colbert, ni avec ses confrères ; pourtant il poursuivit sa carrière avec un certain succès, en Guyane et aux Antilles, malgré les critiques. En mai 1682, il sera nommé gouverneur général de la Nouvelle-France, succédant au comte de Frontenac. Il fit face à de multiples conflits compliqués avec les Iroquois. Selon ses contemporains, son administration fut désastreuse. Il rentra en France, en 1685 et mourut trois ans plus tard. Il était très riche, mais son fils se chargea de dilapider sa fortune. Quant à son petit-fils, il fut le tristement célèbre chevalier de La Barre, condamné à mort, malgré le soutien de Voltaire, pour avoir, notamment, mutilé un crucifix. [2] |
Un jour, le sieur de La Barre demanda au jeune homme s’il voulait partir avec lui, outre-mer. Jacques accepta et suivit son maître jusqu’à Nantes, mais arrivé dans cette ville, il changea d’avis. Crainte de s’embarquer ? De partir de France pour une destination inconnue ? Jacques préféra quitter Nantes et le sieur de la Barre. Il alla à Tours, et, de là, à Paris. Voulait-il retourner dans son Bourbonnais natal ? Il prit la direction de Nevers où il arriva la veille du jour de la foire aux Brandons, qui avait lieu le 14 mars, cette année-là. Il avait épuisé ses maigres économies, semble-t-il, et n’avait plus rien à manger.
- Vestiges des remparts de Nevers, à proximité de la Porte du Croux
Il longea les remparts jusqu’à la porte du Croux, une des entrées de la ville. Un nommé Jean Gadat, le portier, et sa femme, Jeanne Pinault, logeaient dans les lieux. Avaient-ils laissé leur logis ouvert en partant travailler dans leurs vignes, ce jour-là ? Toujours est-il que Jacques Delaunay s’empara de deux linceuls, d’un haut de chausse et d’un justaucorps qu’il y trouva.
- La porte du Croux, à Nevers
Il ne s’attarda pas dans le quartier et chercha aussitôt à vendre les objets volés. Il n’eut pas trop de difficultés pour vendre les draps à une femme, Claude Million, marchande d’œufs, de volailles et d’objets de seconde main, pour vingt sols. Elle l’interrogea très sommairement sur l’origine de ces linceuls mais ne prit pas la peine de vérifier s’ils portaient une marque quelconque. Delaunay lui mentit, affirmant que les draps étaient bien à lui et qu’il les avait emportés de chez ses parents lorsqu’il s’était enfui de chez eux, à cause de leurs mauvais traitements. Elle n’en demanda pas davantage, attirée par la bonne affaire.
Il se rendit ensuite chez un nommé François Taupin, métayer des pères Jésuites, chargé d’accueillir les malades qui venaient frapper à leur porte. Jacques lui demanda le gîte et le couvert, mais le métayer lui dit d’aller au cabaret voisin, tenu par un quinquagénaire, Jean Sirot. Le jeune garçon lui opposa qu’il n’avait pas assez d’argent pour payer le cabaret. Il resta donc chez Taupin qui envoya, par deux fois, quérir de la nourriture chez Sirot : des harengs, du pain…
Jacques semblait avoir une faim de loup ! Peut-être était-il resté sans manger trop longtemps ?
Le cabaretier n’entendait pas nourrir Delaunay gratuitement et demanda à son commis d’aller chez Taupin pour réclamer son dû. Delaunay fut obligé de se séparer du justaucorps volé, en contrepartie de la somme trois livres (ou quatre livres et dix sols ; on trouve les deux sommes dans les documents), sur laquelle fut prélevé le coût de la nourriture.
Entre temps, les Gadat, étaient rentrés chez eux, à la Porte du Croux.
- La porte du Croux autrefois
- (Musée archéologique de la porte du Croux)
Jeanne voulut faire son lit, mais, dit-elle, ses draps avaient disparu. Elle ne trouva pas davantage l’habit de son mari. Aussitôt averti, celui-ci courut dans toute la ville de Nevers, à la recherche de son voleur et des objets chapardés. Elle, de son côté, partit en quête de ses linceuls. Elle les trouva sans trop de difficultés, chez Claude Million, la regrattière, qui les lui rendit sans la moindre contestation, craignant probablement d’être accusée de recel. Son mari eut plus de mal. Il s’épuisa à aller de droite et de gauche dans les quartiers de la ville, jusqu’à ce qu’il parvienne, le lendemain, à proximité du couvent des pères Jésuites, près de l’église Saint-Etienne, de l’autre côté de la ville, et reconnaisse son justaucorps posé sur un coffre, dans le cabaret de Sirot.
- Église Saint-Etienne, XIe siècle
Il demanda à le récupérer. Le cabaretier Sirot envoya Gadat chez son voisin, le métayer des Jésuites, chez qui Jacques avait passé la nuit. Il exigea que le jeune homme lui rende son justaucorps. Impossible, puisqu’il ne l’avait plus en sa possession. Impossible aussi, d’obtenir une contrepartie financière puisque, ayant mangé et bu, il ne disposait plus de la somme qu’il avait reçue en contrepartie du vêtement. On fit appel à la maréchaussée qui arrêta Delaunay et le conduisit provisoirement dans les prisons du bailliage du duché de Nevers en attendant de pouvoir le transférer dans celles de la justice royale, à Saint-Pierre-le-Moûtier, au sud de la ville. Claude Million, Taupin et Sirot, accusés de recel, furent également assignés à comparaître devant la justice royale, début avril.
On ne reverra plus jamais Jean Gadat, le portier de la porte du Croux, mort brutalement, à l’âge de 45 ans, quelques jours après les faits.
- Rue de l’Oratoire, à Nevers
- Les prisons du bailliage de Nevers se situaient à côté des bâtiments de la Chambre des comptes.
Des prisonniers furent détenus dans ces lieux jusqu’en 1855 (Victor Gueneau, Mémoires de la Société académique du Nivernais, 1927, t. 29.)
Jean Delaunay et les Neversois qui avaient acheté les objets volés au préjudice du couple Gadat, furent interrogés. Sirot et Taupin plaidèrent leur bonne foi, même s’ils auraient pu se douter que le vêtement de grande taille porté par « le petit jeune homme » ne pouvait être à lui. Ce fut plus difficile pour Claude Million, la revendeuse, qui n’avait pas été regardante quant à l’origine des biens qui lui étaient proposés.
Le 14 avril, le jugement fut rendu :
« Veu le procès extraordinairement instruit en cette maréchaussée, à la requête du procureur du roy, allencontre de Jacques de Launay autrement Jacques [Cercy ?] de Launay, natif de la ville de Moulins, accusé de larcin et vol par luy faict en la maison de Jean Gadat, la veille de la foire des Brandons de la ville de Nevers, le 13 mars dernier, le procès-verbal de sa capture par Pellat et Gaignepain, l’interrogatoire dudit accusé sur la vérité dudit vol […]
Disons par jugement présidial en dernier ressort, que nous avons déclaré ledit Jean [Cercy ?] suffisamment attainct et convaincu d’avoir vollé, le 12e de mars dernier, chez le nommé Jean Gadat, habitant de la ville de Nevers, un hautechausse, un justaucorps et deux linceux, d’avoir changé son nom et avoir pris celuy de Launay au lieu de [Cercy ?] et comme fainéant et vagabond ;
Pour réparation de quoy l’avons condamné à servir le roy comme forçat en ses galères pendant cinq ans ».
Les trois habitants de Nevers ayant acheté les objets volés ne furent pas oubliés, mais connurent des sorts différents :
« Et en ce qui concerne la nommée Claude Milon, nous l’avons condamnée comme receleuse pour avoir achepté les deux linceuls volés par ledit Cery en l’amende de quinze livres.
[…] à l’esgard desdits Sirot et Taupin, les avons deschargés des décrets contre eux décernés et, ce faisant, renvoyés quites et absoubz ».
Claude Million fut libérée après le paiement de l’amende qu’elle versa aussitôt. Le lieutenant-assesseur et le procureur du roi se rendirent au guichet de la conciergerie pour prononcer au jeune vagabond, la peine à laquelle il venait d’être condamné.
Alors que, la plupart du temps, les condamnés aux galères attendaient en prison, parfois des semaines, le passage de la chaîne des forçats, ce ne fut pas le cas ici. En effet, le même jour du prononcé de la sentence, le jeune vagabond fut confié à François Desdurands de Vaucourtois, député par sa majesté à la conduite des forçats. Il avait, auparavant, présenté aux magistrats l’ordre du roi du 16 février 1666, signé Louis.
On peut se demander si la présence de ce personnage à Saint-Pierre-le-Moûtier, siège de la justice royale en Nivernais, n’a pas orienté les magistrats quant au choix de la peine qu’ils ont retenue contre le jeune Jacques.
Nous ne manquerons pas d’avoir de la pitié pour cet adolescent qui, malgré son jeune âge, fut bousculé par la vie et par de mauvais choix. Lui qui avait refusé de s’embarquer pour l’aventure avec François de la Barre, serait contraint de monter sur les galères du roi dans des conditions épouvantables… s’il parvenait jusqu’à Marseille après une route harassante, dangereuse, attaché à la chaîne des forçats.