Le Cateau
Joseph CHAUMONT est né le 21 mai 1870 rue Saint Lazare à Le Cateau (Nord) chez sa grand-mère Ferdinande Sophie TOURRIER.
Son père, Joseph Ambroise, militaire, est âgé de 24 ans et sa mère Albertine LIENARD de 24 ans aussi, est « soigneuse de bobinoirs » dans une filature, le couple a déjà eu deux filles Henriette décédée à 13 mois et Elise Joséphine née en 1868.
Sa grand-mère, Ferdinande qui, selon son acte de mariage, en 1831 avec Jacques Joseph CHAUMONT, était élève des hospices civils de Paris, malgré son parcours d’orpheline, telle une mère poule couvant ses poussins, a su transmettre l’amour de la famille à ses enfants. Tout un petit monde loge chez elle, y vivent aussi Césarine Chaumont, tante de Joseph, son futur mari et leur fille de 2 ans, voici donc notre nouveau-né entouré d’une famille nombreuse et aimante.
- Acte de baptême de Joseph Chaumont
J’ignore si, Joseph Ambroise, son père, militaire pendant la guerre de 1870-1871, a participé activement aux batailles contre les Prussiens toujours est-il qu’il en est revenu.
Paris
Alors que Castor et Pollux, les éléphants du jardin des plantes, boulotés par les bourgeois pendant le siège de Paris ont été digérés depuis longtemps, nous voyons arriver Joseph et ses parents en 1872, venus rejoindre son oncle Emile Chaumont, employé aux Chemins de Fer.
La petite famille s’installe au 8, rue Gasnier-Guy dans le 20e arrondissement où son père a trouvé du travail, une petite sœur Léonie y voit le jour puis la fratrie s’agrandit avec l’arrivée de 4 autres nouveaux nés dont seule survivra Louise Albertine née en 1877.
Dix ans plus tard, nous sommes en 1882 au 10 rue de Jouy dans le 4e arrondissement.
- Rue de Jouy à Paris
- La rue de Jouy vue de l’angle de la rue Nonnains-d’Hyères
vers 1900 (Wikipédia)
On voit bien sur la photo que le baron Haussmann [1] n’est pas passé dans ce quartier. Même si l’on peut être fier de l’allure des larges avenues et immeubles du beau Paris, la transformation de la capitale a un coût très élevé : 510 millions de Francs empruntés [2], une spéculation immobilière sauvage rendant les loyers inabordables, des petits propriétaires jetés à la rue avec leurs locataires obligés de s’expatrier dans les baraquements insalubres des faubourgs : on ne s’encombre pas de principes démocratiques à l’époque ! Un mal nécessaire me direz-vous, certes ! mais avouez que la classe laborieuse n’y a rien gagné. Heureux sont ceux qui, parmi le petit peuple, peuvent s’entasser à 6 voire plus dans une pièce sans clarté, ni aération, ni eau courante, sous les toits ou au fond des arrière-cours de la ville lumière et ce malgré les normes de salubrité publique voulues par les hygiénistes visant à protéger la santé et le confort des Parisiens.
Heureux est donc notre Joseph avec ses parents et ses trois sœurs, Elise Joséphine 14 ans, Léonie 10 ans et Louise Albertine 5 ans, logés au fond de la cour du 10, rue de Jouy, jusqu’à ce jour funeste de mai 1882 qui emporte sa mère au paradis, dans sa 37e année, laissant son père avec la charge d’assurer seul l’éducation de 4 enfants tout en exerçant son métier de tapissier.
Comme un malheur n’est jamais solitaire, le 3 juin de la même année, Joseph Ambroise part à son tour à l’âge de 36 ans, à peine un mois après son épouse, emporté comme elle, par la fièvre typhoïde qui sévit alors dans les quartiers populaires.
Selon les statistiques et études sanitaires de l’époque, cette maladie qui surgit par pic, touche principalement les ados et les adultes de 35 à 40 ans avec une période d’incubation puis maladie et finalement le décès au bout d’un mois environ d’où ma conclusion sur la cause de leur mort.
Joseph âgé de 12 ans et ses sœurs se retrouvent orphelins de père et de mère, un drame courant en ces temps-là mais l’épreuve est rude pour ces enfants.
Il y a quelques mois, j’ai proposé à ma chère tante Jacqueline, dite Jacline de Paris, de nous rendre aux archives de la capitale afin d’y consulter le dossier d’enfant assisté de son grand-père Joseph et, en même temps, tenter de trouver trace de celui de Ferdinande son arrière-arrière mamie semble-t-il disparu dans l’incendie des communards.
Le dossier aux Archives de Paris
L’ouverture du dossier comportant plusieurs pièces insérées dans une double chemise avec cases à remplir a été chargé d’émotions et je vais tenter de vous raconter au mieux ce que nous y avons découvert.
Nous avons pu relever sur une note manuscrite, rédigée lors de l’admission de Joseph, que, courant mai 1882, son père, déjà très malade, avait confié ses deux plus jeunes filles à l’orphelinat du 36 rue Geoffroy l’Asnier (la Croix-Rouge) et que la grande de 14 ans était en apprentissage. Puis, 3 jours avant son décès, se voyant près de mourir, a confié son unique fils à Madame Bertrand, amie de la famille avec pour mission de le faire admettre à l’assistance publique après sa mort.
Joseph est resté quelques temps chez cette brave dame qui l’a recueilli et ce n’est qu’au matin du 27 juin qu’elle confie ce gamin de 12 ans à l’hospice rue D’enfer (un nom prédestiné pour les orphelins qui y voient un sombre avenir.)
Madame Bertrand est porteuse d’une lettre de recommandation des services sociaux où il est dit : l’enfant a été bien élevé, intelligent, sait lire, écrire et compter.
Au moment de toucher les papiers familiaux, versés au dossier depuis plus d’un siècle, conservés à l’époque par ses parents dans un état impeccable comme s’ils dataient d’hier (certificats de baptême, naissance, vaccination) un mélange de respect et de grande tristesse nous saisit alors : Allons soyons fortes ! pas l’moment de flancher !
Au vu des justificatifs fournis, le Directeur des admissions décide de son inscription comme « Enfant moralement abandonné » sous le matricule n°1137. A vous évoquer cette découverte aujourd’hui, j’en tremble encore !
Dans la case renseignements complémentaires : « l’oncle de l’enfant » de même nom (Emile Chaumont) demeurant 46 boulevard Oudinot a tenté de le placer chez un ami où il n’a pas voulu rester. Puis, le 6 juillet, sur la même feuille : cet enfant est dit intelligent ? (sic ! avec un point d’interrogation) mais a les plus mauvais instincts, surtout celui de vagabondage, le placement me paraît très difficile.
A l’origine de cette annotation, on découvre une lettre de la même date d’un Monsieur Delon, horloger à Paris, qui dit :
"L’enfant que vous m’avez confié hier est rentré à la maison, une ½ heure après, sous prétexte d’aller aux cabinets, s’est échappé… des personnes de connaissance l’ont ramené le soir à 10h……il est impossible pour moi de le garder dans ces conditions… veuillez le reprendre."
Voilà, le ton est donné dès l’arrivée ! Notre gosse, paumé, jeté dans ce monde d’inconnus, effondré d’être esseulé, s’échappe pour retrouver sa famille, se voit classé dans la catégorie des idiots, des graines de voyou (vagabondage : un crime à l’époque) et catalogué dans les gosses à mater, ça promet….
Et cela ne tarde pas… le 10 juillet, il est envoyé à Moulins dans l’Allier (aucun détail dans le dossier.)
Preuves des liens étroits tissés dans la famille, on comprend mieux la détresse de Joseph quand nous trouvons dans la chemise des lettres de ses proches et des réponses à ses appels au secours :
Lettre datée du 28 juin 1882 dictée par un certain Auguste Chaumont [3], on y lit :
Ma bonne sœur,
Depuis trois ans que j’ai quitté le pays, voici la première lettre que je t’écris. Tu ne dois pas m’en vouloir et un marin ne descend pas toujours à terre et nos traversées sont longues.
J’ai vu bien des pays, connu bien des dangers mais j’oublie toutes mes fatigues en songeant que, dans trois mois, je pourrai être près de toi et près de cette bonne tante qui a bien voulu nous servir de mère.
Notre navire va bientôt aborder au Havre et j’aurai tout l’hiver pour rester au village, quelle joie pour moi lorsque, assis au foyer, je vous conterais toutes mes aventures ! Je rapporte, bonne sœur, des bijoux, des curiosités de toutes espèces que j’ai amassées pour toi pendant mes voyages.
Adieu chère sœur je t’embrasse ainsi que notre bonne vieille tante pour les trois années que j’ai passées loin de vous. Ton frère Auguste.
Et voilà un nouveau mystère à éclaircir ! Nous voici avec un jeune marin peut-être mousse ou novice parti 3 ans en mer. De quelle région est-il ? Inscrit maritime mais où ? Et quelle marine, au long-cours, pêche, militaire ? On le saura, je l’espère, un jour mais ça c’est une autre histoire….
Le 12 janvier 1885 - un Bulletin est adressé par l’assistance publique de Paris à Monsieur Quiétard, chef de bureau, à Moulins :
Prière à Monsieur Quiétard d’adresser à Mlle Joséphine Chaumont des nouvelles de son frère Joseph M.A. n°1137 et d’inviter ce dernier à répondre à sa sœur.
Réponse : Mlle Chaumont ne m’a jamais demandé des nouvelles de son frère et je ne connais pas l’adresse de cette personne. Signé Quiétard.
En réalité, ce monsieur est de bonne foi en disant qu’il ne connaît pas cette Joséphine car en fait celle-ci se prénomme Elise Joséphine.
Le 9 juillet 1887, une convocation est adressée par le bureau N°12 de l’assistance publique de Paris à Mlle Elise Chaumont (dite Joséphine pour les intimes, vous suivez ?)
On apprend par le formulaire ayant pour titre : « Retrait ou placement » que l’objet de la convocation fait suite à la demande de Joseph de quitter l’assistance pour rejoindre sa sœur à Paris.
Le 22 décembre 1887, lettre adressée par Elise Joséphine à son frère :
Mon petit Joseph,
Pardonnes-moi si je ne t’ai pas écrit plus tôt c’est parce que je ne vais pas bien, je crois même être obligée de retourner à l’hospice mais je n’irai pas avant que tu sois revenue car, si cela est prévu le 26 de ce mois, il n’y en a plus pour longtemps et si j’attends c’est que j’espère que tu me rendras visite la première.
Je serai bien contente car depuis que l’on ne s’est pas vus, le plaisir que cela me fera mon petit Joseph. Je te prie de ne pas avoir peur pour trouver une place, si je ne suis pas trop mal, je m’en occuperai et puis nous nous arrangerons……..chez mon oncle, je ne peux aller (sans doute Emile)…. Etc…
Si j’ai la force, je viendrai te chercher à la gare et j’espère que tu seras content et que tu reviens maintenant pour de bon…..
Je t’embrasse de loin en attendant de t’embrasser de près. A bientôt. Ta sœur.
Toujours la même adresse : Elise Chaumont chez Mme Vatel 17 avenue Ste Croix de la Bretonnerie Paris.
Cette lettre fait 4 pages, la photographie sans flash faite sur place, dans le bureau sombre de la présidence des archives, rend la lecture difficile et le temps imparti ne m’a pas permis de la retranscrire dans sa totalité, toutefois, je prévois de le faire à mon prochain passage dans ces lieux. |
En Janvier 1888, toujours sur le fameux formulaire « Retrait ou placement » on découvre :
Mademoiselle Chaumont, brunisseuse de métier, ne travaille pas et désire laisser, aux frais de l’administration, son frère Joseph dont elle ne peut se charger. Mademoiselle Chaumont ne possède aucune ressource, elle est souffrante depuis 4 mois et est recueillie par une dame charitable qui a bien voulue l’héberger.
Rapport à Monsieur le directeur de l’administration :
La remise de l’enfant à sa sœur ne paraît pas devoir être effectuée, autant en raison du jeune âge de cette dernière (19 ans) que de son mauvais état de santé. Elle est d’ailleurs logée et nourrie par une personne charitable qui a bien voulu la recevoir.
Décision du directeur : « ajournement » ; voilà l’affaire est close : Joseph restera coincé dans l’Allier !
Cela confirme son obsession à rejoindre ses sœurs et on imagine son immense déception à l’annonce, peut-être tardive, du rejet de sa demande et c’est à partir de là qu’il se rebelle, il a 18 ans….
Et à nous de retenir nos tripes qui remontent à la gorge ! Tiens le coup tata ! car voici la suite :
Le 7 janvier 1889, Bulletin de mutation établi par l’agent de surveillance à Moulins.
- Joseph a quitté son maitre (1888)
On lit : a quitté son maître d’apprentissage Fin novembre 1888, après avoir séjourné quelques temps au dépôt (hospice en attente de placement) a refusé 2 places qui lui ont été offertes et a disparu tout à coup – recherches infructueuses.
On apprend, quelques mois plus tard, que Joseph a demandé sa réintégration au sein de l’Assistance publique, réponse de l’organisme : on ne peut plus rien faire pour lui.
Le 26 août 1891, Bulletin de l’administration pour ordre de versement au receveur de la Caisse d’Epargne :
Le chef de la division des Enfants Assistés : Vu le compte de l’élève…. Le dit livret de la Caisse d’Epargne s’élevant à la somme de Soixante-seize francs, 25 cents. Je soussigné certifie qu’il y a lieu de remettre 76 f.25 à Chaumont Joseph domicilié à Paris 118, rue de Rivoli.
Pas cher payé pour 6 ans de labeur, cela fait donc 12 f.54 par année de travail alors qu’une femme gagne 2 f. par jour. Le compte est bon !
A la tête d’un début de fortune, Joseph est enfin de retour à Paris après tant de galères.
Le fleuve des larmes menaçant de déborder, il est temps pour nous de quitter cet endroit de mémoire et d’aller nous requinquer dans un de ces petits troquets parisiens. Afin de conjurer la tristesse, nous avons bâfré comme des ogresses puis sommes allées, selon nos habitudes, telles des adolescentes en virée, faire les fofolles dans les rues du quartier et quels fous rires ! Comme cela fait du bien ! car croyez-le, si vous voulez, faire le deuil de ce dossier m’a pris plusieurs mois avant que je puisse en parler sans tomber dans le mélo du style « les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur…. » ceci est un petit clin d’œil à Popaul, petit nom donné par Rimbaud à Verlaine, son époux infernal, qui a tenté de le zigouiller, heureusement pour la poésie, il l’a raté !
Pardonnez ! ce petit aparté mis juste là pour détendre l’atmosphère et me permettre de reprendre mes esprits.
C’est bien beau tout ça ! me direz-vous puis on s’en fout un peu d’tes états d’âme, il serait temps de nous dire ce qu’a fait Joseph pendant ces neufs années ? Quelles ont été ses conditions de vie et où ?
Il y a quelques temps, faute de retrouver son dossier de placement, disparu dans les méandres de l’administration ou détruit, il n’est ni à Paris ni dans l’Allier, introuvable quoi ! j’eus été dans l’incapacité de répondre à vos questions.
Toutefois, en relisant toutes les pièces photographiées aux archives dans le but de rédiger le présent texte dans l’ordre chronologique et de façon la plus claire possible, j’ai découvert dans le tout petit coin d’un document, sournoisement cachée, une annotation riquiqui parlant de notre Joseph comme « isolé du groupe de Louvigny » Hourra ! une piste !
Sauf que point de Louvigny dans l’Allier ! Donc je fonce sur les AD en ligne et trouve une commune de Souvigny dans le département précité, vous gardez le cap ? Puis me jette sur les recensements de population de 1886 de la bourgade en question :
Bingo ! mon Joseph est là !
- Joseph apprenti verrier à Souvigny
- Recensement de 1886
archives départementales de l’Allier
- Joseph apprenti verrier à Souvigny (1886)
Souvigny dans l’Allier
Joseph CHAUMONT, 16 ans, apprenti verrier, est recensé comme habitant au 75, rue de la Verrerie à Souvigny chez Monsieur TUIZART Guillaume, 53 ans, chef employé et sa femme FOURNIER Delphine, 47 ans, sans profession.
A cette adresse cohabitent avec eux 47 apprentis verriers, tous enfants assistés, âgés entre 10 et 19 ans, nous voici donc en présence d’une entreprise de taille moyenne (environ 200 salariés, je n’ai pas cherché les autres recensés) un brin paternaliste logeant ses apprentis sur place afin de se garantir de n’en perdre aucun en route (notamment Joseph qui a dû tenter, au moins une fois, de prendre la poudre d’escampette).
Ligoté, l’Joseph, pieds et poings liés, vissé au four 12 heures par jour, 6 jours sur 7 : la villégiature quoi !
Heureusement, internet nous apporte le témoignage d’anciens employés du début 20e siècle sur leur conditions de vie dans cette verrerie et nous donne une idée de ce qu’a vécu notre orphelin [4].
- La verrerie de Souvigny
Les métiers à chaud (d’après ce que j’en ai compris)
A chaud, le personnel productif est payé à la pièce en 1934 et les métiers annexes sont rémunérés à la journée. On trouve 1 ouvrier (chef de place) accompagné de 3 souffleurs et un cueilleur (poste confié à un gamin) Et pour le coupage 3 souffleurs et 1 cueilleur.
Le cueilleur prélève dans le four, une boule de verre en fusion de la taille d’une orange au bout d’une canne et la roule sur une table métallique pour lui donner une forme régulière, ensuite, il la passe au souffleur qui fabrique l’objet.
A noter qu’un bon souffleur fabrique 400 bouteilles par jour, l’apprenti doit suivre ce rythme infernal pendant 12 heures, on imagine à quel point ce travail est épuisant ! surtout pour les plus jeunes.
Selon le témoignage de Monsieur Auguste… qui racontait son enfance volée, consacrée au dur labeur, marquée par la violence : je suis entré à la verrerie de Landrécies (un autre site) en 1903 alors âgé de 8 ans : les enfants étaient considérés comme des servants et battus en cas de maladresse.
Malgré la loi du 19 mai 1874 interdisant le travail des enfants de moins de 12 ans et qui fixait la durée de la journée à 12 heures maximum, on constate que celle-ci est loin d’être respectée et Monsieur Auguste n’est pas le seul à dire : en cas d’inspection, les enfants les plus jeunes, étaient cachés dans les caves.
Avouez que l’époque n’était pas tendre pour ces enfants réduits à l’esclavage !
- Verrerie de Souvigny
- Groupe d’ouvriers en 1913 : on voit bien que certains apprentis sont très jeunes !
- La boite à paye
- Les baraquements derrière la verrerie servant de logements vers 1950
Finalement, après licenciement de 72 personnes, la verrerie de Souvigny fermera ses portes en 1980.
J’ignore si Joseph est resté longtemps dans cette verrerie, en tout cas, il a dû en baver. Certes me direz-vous c’est mieux que de vivre dans la rue ! Je vous l’accorde mais quelle triste jeunesse !
Finalement, deux ans après s’être fait la malle de cet enfer, on retrouve notre ex-apprenti au 19, rue Maître Albert dans le 5e arrondissement lors de son tirage au sort, il récolte le n°77 du canton puis est déclaré « Bon pour le service armé » Classe 1890 du 3e bureau - matricule 862
Signalement de l’individu : cheveux et sourcils châtain clair – yeux gris – front ordinaire – menton rond – bouche moyenne – visage ovale – taille 1m62 – degré d’instruction générale 3 (possède une instruction primaire plus développée)
Elle n’a pas duré longtemps la liberté ! mais le degré d’instruction 3 tout de même ça en jette pour un qualifié d’idiot ou d’abruti !
Bon, d’accord, ce n’est pas obligatoire d’être instruit pour tenir un fusil mais accordons à notre jeune conscrit le droit d’être fier de son intelligence à nouveau reconnue.
Il reçoit son affectation au 9e bataillon de chasseurs à pied en novembre 1891, il fera ses classes jusqu’en 1893 puis deux périodes d’exercices en 1897 et en 1904 et devinez où était basé son bataillon ?
A Longwy bien sûr ! C’est là, qu’il rencontre Marie Octavie COLLARD et où ils se marient le 17 mai 1904.
Enfin le bonheur !
Marie Octavie est une jolie petite femme, pleine d’humour, dynamique qui a connu bien des adversités et qui disait dans son 3e âge : on aurait pu écrire un roman de ma vie ! (ça ce sera peut-être pour plus tard, si vous êtes sages)
Le couple profite des jours heureux pour faire 7 enfants : Emilienne Albertine en 1903 - Andrée Julie 1904 – Juliette Jeanne 1905 – Jean Louis 1906 – Albert Georges 1908 – Paulette Cécile 1910 – René Charles 1912.
Pour assurer leur subsistance et celle de leurs gamins, Joseph travaille à temps partiel dans une usine sidérurgique de la ville et en complément dans les champs avec sa femme.
Puis, après une période prolongée de grève à l’usine de Longwy, il décide de partir chercher du travail en région parisienne et trouve un poste de charretier chez Nozal à la Plaine-Saint-Denis (plus tard il sera ouvrier Métallo) sa famille le rejoindra en 1906.
Lors de la mobilisation générale du 1er août 1914, il bénéficie depuis 1910 de l’article 48 pour 6 enfants, est mis dans la réserve de l’armée territoriale puis dans la plus ancienne classe de la RAT pendant la durée de la guerre, il ne participe pas aux combats puis sera libéré de toute obligation militaire.
La chance a souri à notre Joseph, il a échappé au massacre !
Pendant le conflit, la vie était rude, il fallait trouver à manger et de quoi se chauffer. Les enfants allaient ramasser du coke ou du mâchefer dans les décharges de résidus de l’usine de gaz voisine. A l’époque, quand cela était possible, on mangeait de la viande une fois par semaine et on utilisait le jus pour accompagner les légumes les autres jours, les ventres criaient famine mais la famille était au complet (dixit Marcelle, ma chère tante, petite fille de Joseph et Marie Octavie)
La vie coule tel un long fleuve tranquille, pas toujours d’ailleurs, avec des hauts et des bas et puis quelques années après la guerre, c’est plutôt les bas qui dominent : Y a d’l’eau dans l’gaz dans l’couple, rien n’va plus !
Allez savoir pourquoi ! on a notre petite idée là-dessus… mais faut bien garder quelques secrets dans la famille !
Bon d’accord ! juste un seul alors mais chut ! ne le répétez à personne : Il était une fois…mais non ! mauvaise introduction me direz-vous ! il s’agit de la légende familiale transmise aux futures générations dont tu parles ! c’est donc la « stricte vérité » fais un effort, ma cocotte si tu veux gagner le titre « d’écrivailleuse familiale » !
Ok, j’ai compris, je recommence….Un jour de brouillard, Joseph rencontre sur « le quai des brunes » une certaine dulcinée du Nord à qui il dit : « T’as d’beaux yeux, tu sais ».
Cette réplique a été reprise, quelques années plus tard, par un certain Jacques Prévert pour le scénario d’un film célèbre « Le Quai des brumes » objectivement, une pâle copie de la romance de notre pépère à nous.
Toujours est-il que, dans les années 30, frisant la soixantaine gaillarde, notre héros s’est évaporé dans la nature, parti goûter un nouveau bonheur avec son amoureuse, quelque part en Belgique et n’a plus donné de ses nouvelles depuis....
Si un d’ces jours, vous le croisez, dîtes-lui que je le cherche pour le remercier de nous avoir transmis une part de ses gènes, l’esprit combatif et un lien d’amour indéfectible de la famille. Merci à toi, Joseph, je t’aime ! Ton arrière petite fille.
C’est pas l’tout mais le temps passe vite !
Avant de vous saluer, je tiens à témoigner mon éternelle reconnaissance à mes tantes chéries, Jacqueline et Marcelle, qui, grâce à leur précieuse mémoire et à leurs confidences, m’ont permis de faire revivre leur grand-père, je les embrasse tendrement.
Merci à vous de m’avoir lue et à bientôt peut-être. Cordialement. Marlie