En 1784, dans le petit village du Thil-Manneville (Haute-Normandie), à quelques kilomètres de Dieppe, le prêtre vicaire s’apprête à célébrer un mariage plutôt insolite : celui de Pierre Freulet et de Marie Margueritte Frère. Tous deux sont d’un âge respectable, tous deux sont veufs et tous deux sont mendiants, ce qui complique quelque peu la procédure.
Pour le futur, pas de problème particulier puisqu’il est domicilié dans la commune et bien connu. Pour elle, c’est une autre affaire. Il a fallu vérifier ses dires : elle se prétend originaire de Londinière et veuve d’un dénommé Ambroise Durand, batelier au Val de la Haye, sur la Seine, mort à l’hôtel-Dieu de Rouen.
Pour éviter tout risque de bigamie, il convient de s’ en assurer. Heureusement, l’Hôtel-Dieu confirme : un extrait mortuaire signé d’un chanoine régulier précise même la date de son décès, le 16 Février 1771. Voilà une difficulté levée.
Cependant ce n’est pas tout ! Les bans sont régulièrement publiés par trois fois au Thil, la paroisse du futur ; mais pour elle qui n’a pas de domicile défini, en raison de son état de mendicité, on est contraint de demander une dispense à l’archevêque de Rouen.
Enfin l’autorisation est donnée, signée du vicaire général et du secrétaire de l’archevêché, le 27 novembre. Aucune opposition ne s’étant manifestée, c’est pourvu des précieux documents que le vicaire peut célébrer le mariage en toute tranquillité d’esprit. Les voici unis pour le meilleur et pour le pire.
Aujourd’hui Mercredi septième jour de Janvier mil sept cent quatre vingt quatre aprés la publication des bans du futur mariage entre Pierre Freulet mandiant veuf de Marie Ropé âgé d’environ soixante six ans de cette paroisse d’une part, et marie Margueritte frère aussi mandiante originaire du bourg de londinière veuve d’ambroise Durand Batelier de la paroisse de Saint Jean du val de La haye Décédé à l’hôtel-Dieu de Rouen le Seize du mois de février mil sept cent soixante onze suivant l’extrait mortuaire délivré à Rouen le vingt quatre octobre dernier signé d’Imbleval chan.
(chanoine) régulier, lequel extrait est resté entre nos mains. Demeurante depuis trois mois sur cette paroisse, âgée d’environ cinquante quatre ans d’autre part. Lesquelles publications des bans entre les dites parties ont été publiées aux prônes de nos messes paroissiales par trois jours de dimanches et fêtes, savoir le 28 Décembre dernier, Le quatre et Le dix du mois de Janvier presente année, avons été authorisés à célèbrer le dit mariage nonobstant un domicile suffisamment acquis selon l’ordonnance et la publication des mêmes bans faittes ailleurs qu’en cette paroisse a raison de l’état de mandicité de la part de laditte Marie Margueritte frère laquelle permission duement signée au secrétariat de Monseigneur Larchevesque le vingt sept novembre dernier Signé osmond vic. (vicaire) général et par son Eminence Fliot, laquelle permission est restée entre nos mains sans quil se soit trouvé aucun empêchement ou opposition. Je soussigné prestre vicaire de cette paroisse ai reçu après les fiancailles y célèbrées hier par moy,leur mutuel consentement de mariage et leur ai donné la bénédiction nuptialle avec les cérémonies prescrittes par la Sainte Eglise en présence de françois Brunel Journalier, de françois acart Charpentier, de François Lambard tailleur d’habits, et de Claude Mathurin hellier Clerc, tous témoins de cette paroisse qui ont signé, l’époux et l’épouse ayant déclaré ne savoir signer de ce interpellés. Suivent les signatures : François Brunel, François Acar, FLB,Hellier et Duteurtre vic.
À noter :
La dispense a été signée non pas de l’archevêque de Rouen qui est alors Dominique de La Rochefoucauld, mais du vicaire général Osmond et du secrétaire de l’archevêché, Fliot (identité retrouvée dans gallica.fr in Précis analytique des travaux de L’académie des sciences, belles lettres et arts de Rouen, année 1860 -1861 page 354.)
Sources : Archives départementales de la Sene Maritime cote E00078 1780-1784 Thil-Manneville.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?
Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.