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Un enfant naturel emporté par les remous de la vie

Le jeudi 27 mars 2014, par Pierrick Chuto

Cet enfant naturel, exposé en 1858 au tour [1] de l’hospice de Quimper, va y retourner bien malgré lui de nombreuses années plus tard. Lorsque j’ai écrit Les exposés de Creac’h-Euzen. Les enfants trouvés de l’hospice de Quimper au XIXe siècle, j’ignorais tout de cette tentative de suicide narrée par le détail dans le journal Le Finistère du 4 mars 1903.

Au n° 57 de la rue Neuve à Quimper, habite en 1903 un perruquier du nom d’Achille Cam (ex-enfant trouvé, exposé au tour de l’hospice de Quimper le 11 février 1858, à qui il fut donné le patronyme de Joseph Quabos [2]).

Quabos, fils naturel de Marie-Jeanne Cam, est abandonné par celle-ci alors qu’il a à peine un an. Après enquête policière, la jeune femme n’est pas inquiétée car elle n’a pas les moyens matériels d’élever son enfant. Alors, commence pour ce garçon au caractère difficile une vie qui l’est tout autant. Pourtant Joseph, alias Achille, est un être attachant, et sa nourrice quimpéroise, Marie-Louise Le Quiniou, veuve Le Mao, souhaite le garder. Mais ne parvenant plus à se faire obéir, elle doit se résoudre à le ramener fréquemment à l’hospice où les dames blanches [3] tentent de lui faire entendre raison avant de le reconduire chez la veuve Le Mao.

En 1874, la Supérieure de l’hospice parvient à le faire embaucher comme apprenti sans gages chez le perruquier Péron à Douarnenez. Instable et rebelle à toute autorité, Quabos change souvent de place et travaille à Audierne, puis à Quimper en 1881 où il est ouvrier-perruquier près du pont Firmin. C’est sous son vrai nom d’Achille Cam qu’il épouse Perrine Faucon, cuisinière, en janvier 1882 à Quimper [4].

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Quimper. L’Odet. Le pont Firmin.

Le couple change fréquemment de domicile et l’homme, peut-être à la suite d’une brouille avec son patron, devient pour un temps marin. C’est cette profession qui est indiquée en 1885 quand il déclare le décès de son premier enfant, Marie-Émilie, deux ans.

En ce début d’année 1903, séparé de Perrine Faucon qui aurait demandé le divorce, Achille ne travaille plus, se livre à la boisson et ses excès alcooliques donnent à cet homme, âgé de 46 ans, l’aspect d’un vieillard souffreteux. Sa raison vacille et le malheureux, hanté par des idées noires, veut en finir avec la vie [5].

Le mardi 3 mars au matin, il remet à une connaissance une lettre adressée à Émile-François, son fils, qui sert actuellement dans les équipages de la flotte, missive dans laquelle il lui demande pardon du chagrin qu’il va lui causer en se donnant la mort.

Après s’être enivré et avoir confié à ses compagnons de libation qu’il va se jeter dans l’Odet [6], il sort de l’estaminet vers 10 h 1/2. L’homme est résolu à quitter ce monde qui ne lui apporte que des désillusions. Arrivé au pont de l’Évêché, il enjambe la balustrade et se jette dans le courant. Une femme qui lave du linge au bas du pont, pousse un grand cri et, de saisissement, manque elle aussi de tomber à l’eau.

Aussitôt, la nouvelle se répand et les curieux accourent en masse le long des quais. En cette année 1903, les distractions sont si rares ! Entraîné par le courant, telle une planche de bois, le corps du perruquier file rapidement quand, de la salle de la préfecture où il travaille, M. Jan, officier de réserve, médaillé militaire, le voit passer. N’écoutant que son courage, il saute par la fenêtre, court le long du quai tout en enlevant son veston et se jette à l’eau près du pont de la Préfecture.

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Quimper. L’Odet. Le pont de la Préfecture.

Bien que meurtri par son plongeon, il nage vigoureusement vers le désespéré qui vient de heurter violemment une des piles du pont. Mais, alors qu’il est sur le point de saisir le malheureux, Jan, englouti par le tourbillon, disparait dans l’eau tumultueuse.

Parmi les spectateurs massés sur le quai, l’angoisse est à son comble, mais bientôt on voit le sauveteur qui remonte à la surface, parvient à rejoindre le perruquier et à l’empoigner. Tous deux passent difficilement sous le pont de la Poste où les eaux sont encore plus déchaînées. Cam oppose une résistance si acharnée qu’à bout de force, M. Jan se voit dans l’obligation de lâcher le malheureux ou de périr avec lui. Il appelle à l’aide. En vain, avant qu’un jeune homme, M. Séchez, soldat au 118e régiment d’infanterie de ligne, se fraye un chemin au milieu de la foule énorme agglutinée sur le pont et les quais.

Il n’hésite pas à affronter le danger, se débarrasse de sa capote et de son képi, et se lance dans la rivière. Après avoir réussi à traverser les eaux écumantes, il arrive à hauteur des deux hommes. Il est plus que temps, car Cam et Jan vont être entraînés par les remous et roulés dans le courant terrible à cet endroit. Grâce à l’aide du militaire, ils peuvent s’accrocher à un canot amarré et, de là, gagner l’escalier qui conduit au champ de bataille.

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Quimper. L’Odet. Le pont de la Poste et le Champ de bataille.

Des agents de ville se précipitent, ceinturent le désespéré qui veut se rejeter dans l’Odet et le conduisent au poste. Tout naturellement, M. Jan retourne à son bureau où il est chaleureusement félicité par ses collègues. M. Séchez reçoit l’ordre de rejoindre la caserne, non sans avoir échangé des poignées de main avec plusieurs officiers, fiers de cet acte de courage accompli par un de leurs hommes.

Après avoir été examiné par le docteur Colin, Achille Cam est placé provisoirement à l’hospice. Il se débat car il ne connaît que trop ce lieu sinistre où, enfant trouvé, il a fait de nombreux séjours par le passé. Il répète inlassablement qu’il veut en finir avec la vie et qu’il va recommencer.

Cependant, les journaux locaux ne font pas état d’une autre tentative de suicide et Achille Cam, alias Joseph Quabos, décède le 1 août 1918 à… l’hospice de Quimper, soixante ans après y avoir été exposé [7]. Quelle triste destinée pour cet homme à la double identité et qui, face aux remous de la vie, perd pied rapidement !

Les exposés de Crea’ch-Euzen - Les enfants trouvés de l’hospice de Quimper au XIXe siècle.

Tous les détails : préfaces, introduction, carte des communes nourricières sur le site de l’auteur : http://www.chuto.fr/


[1C’est une sorte de boîte pivotante installée dans le mur de l’hospice et dans laquelle une personne dépose anonymement un enfant avant d’actionner une cloche et de s’enfuir au plus vite.

[2En 1858, à l’hospice de Quimper, tous les patronymes donnés aux enfants trouvés commencent par la lettre Q.

[3Nom donné aux sœurs du Saint-Esprit, en raison de leur habit de couleur blanche.

[4En conformité de l’avis du Conseil d’État, il doit déclarer sous serment que le lieu du décès et celui du dernier domicile de sa mère lui sont inconnus.

[5Le Républicain. N° 496 du 4 mars 1903.

[6La rivière Odet traverse Quimper.

[7Il est précisé sur l’acte de décès qu’il est veuf de Perrine Faucon. Dans la marge du registre d’état-civil, l’annotation : « rectifié par jugement du tribunal civil de Quimper, rendu le 8 octobre 1924,…le défunt sera indiqué époux de Perrine Faucon, au lieu de veuf… ».

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