Jnd signifie jurant de jurandus, c’est à dire, juré, la jurande étant une élection entre pairs d’une même confrérie pour exercer une mission représentative (dans notre cas particulier curé ayant prêté un serment spécifique et ayant le droit d’exorciser (tous ne l’avaient, ne l’ont, pas). Pour un prêtre, l’exorcisme est loin d’être de tout repos et s’apparente à une psychanalyse assez dangereuse (imaginez un prêtre armé de sa seule croix et de son encensoir essayant de maîtriser une crise de schizophrénie ? Ces prêtres étaient très utiles dans le cas de maladies mentales liées à la dépression et maniacodépression par exemple. Leur foi et leur force de conviction étaient souvent utiles, car beaucoup de ces patients sont très sensibles à la suggestion et aux rituels. La folie était interprétée comme une possession démoniaque depuis fort longtemps (Cf. Marie-Madeleine, que le christ aurait exorcisée de démons : en réalité, dans ce cas particulier, beaucoup de femmes de Magdala, ville portuaire et ville de garnison, simulaient la folie pour échapper à leur position d’esclaves du sexe (les prostituées étaient esclaves, souvent vendues par leurs parents).
Ici nous sommes en présence de paysans illettrés (chose courante jusqu’au début du XXe siècle) mais pas du tout stupides, qui font appel au spécialiste des maladies mentales. Rien de ridicule ! Voici une paysanne qui délire (fait elle une dépression, refuse-t-elle d’être la bête de somme de son mari, est-elle réellement très malade ? Le statut des femmes à cette époque et dans le monde populaire était très peu enviable il faut le rappeler ! ), son mari veut lui remettre les idées en place, il prend rendez-vous avec le prêtre exorciste.
La femme, placée dans cette situation angoissante et humiliante, fait une crise de nerfs, ou une crise plus grave, et débite toutes les INJURES qu’elle peut au curé.
Elle hurle ce qui lui passe par la tête dans le langage et avec la culture qui sont les siens : nom des animaux de ferme, dont elle accable sans doute les hommes présents, noms de démons qu’elle connaît par le rituel de la messe, l’éducation religieuse, les représentations de mystères et autres spectacles à vocation pédagogiques joués sur les parvis des églises...
Rien de bizarre dans son discours, que sommes nous capables de dire nous-mêmes lorsque nous sommes frustrés ou en colère ? J’ai entendu une fois à l’école de Louvre, deux vieilles dames très chic se disputant une place se traiter de "vieux chameau / sale toupie / autruche acariâtre", très ressemblant non ?
Donc, le curé, dans une séance de psychothérapie assez violente qui plaçait le patient en état de suggestion (un peu comme une auto-hypnose, très pratiquée et jugée efficace dans l’évacuation des stress de nos jours) lui permettait d’évacuer ses griefs, sa colère, sa frustration (et c’est bien cela que représentent ces démons qui s’échappent par le fenêtre). En ce qui concerne les noms des démons, le curé ne fait que transcrire ce que la femme a hurlé en supposant qu’elle répondait à ses questions.
Avoir évacué leur rancoeur permettait souvent aux personnes les moins atteintes de s’en sortir. Parfois, la séance était recommencée et au bout du compte, le patient guérissait.
Ceux qui ne guérissaient pas étaient emprisonnés dans des lieux terribles, culs de basses fosses, où ils mouraient de désespoir, de peur, de solitude et de manque d’hygiène. Donc, l’action de ces prêtres était très humaine et très utile (basée sur le pardon possible de Dieu et de la société, elle permettait au patient "délivré" et donc jugé innocent, de se réinsérer dans la société, faisons nous mieux de nos jours avec les malades mentaux ?)
Enfin, tous les prêtres n’étaient pas habilités à l’exorcisme, ceux-ci étaient itinérants et on les attendaient souvent plusieurs jours, parfois, certains n’avaient pas de paroisse et officiaient depuis l’évêché où ils étaient employés. Donc, je vois mal comment ces prêtres-ci auraient eu une emprise sur une population précise.
Je suis personnellement athée mais, étant historienne, j’observe avec respect et intérêt les pratiques et croyances anciennes, qui avaient de très grandes vertus en terme de santé sociale, d’ordre public, d’aide aux plus démunis... Bien entendu, il y avait le mauvais côté du système, les abus, le pouvoir autoritaire, mais la plupart du temps, le prêtre était un membre parfaitement intégré au tissus social, souvent plus pauvre que certaines de ses ouailles d’ailleurs. Il y avait de bons et de mauvais prêtres comme dans toutes les catégories socioculturelles, mais la tyrannie et le pouvoir appartenait à la noblesse et donc, au haut clergé, qui provenait lui aussi de la haute noblesse !
Il ne faut pas analyser les actes anciens avec des critères et un regard moderne mais se placer dans le contexte de l’époque. Le curé, au XVIIe siècle, vient généralement des mêmes milieux que ses fidèles : parfois fils puîné de paysans, d’artisans ou de petits nobles, il est envoyé dans les villages de campagne ; issus de milieux plus policés (le tiers-état en général, c’est-à-dire la bourgeoisie censitaire, celle qui paie le cens) ils deviennent chapelains ou obtiennent des paroisses en ville ; provenant de la haute noblesse ou de la haute bourgeoisie, ils restent peu de temps curés de paroisse, leur argent et leurs relations leur acquièrent très vite un évêché ou un poste haut placé comme confesseurs à la cour, par exemple. Il faut dire aussi que le talent permettait aussi d’accéder à ces hautes fonctions (Cf. Bossuet)
Notre brave curé n’appartient aucunement à ces catégories de privilégiés mais plutôt à ce monde rural ou la magie et les sortilèges jouent un rôle si fréquent !