Au cours de mes recherches aux AD de Tulle (19) sur la famille VAREILHAUD de Treignac, j’ai découvert cette archive : un magnifique congé de l’armée daté de 1750.
Ce document, intéressant en lui-même, ne m’aurait pas tant attiré l’attention s’il n’avait été accompagné d’une lettre attendrissante de ce soldat à sa mère.
Je me suis donc penchée sur l’ensemble des documents contenus dans le dossier.
Dans un premier petit billet, on apprend que ce congé n’avait pas été promis d’hier : en date du 28 juillet 1741, Jean reçoit un premier espoir de congé.
« Nous capitaine au régiment de Penthièvre
certifions avoir promis de faire donner congé
absolu au nommé Jean Vareliot dit Légligox
soldat de notre compagnie après y avoir servi
le roi l’espace de six années en la dite
qualité de soldat. Fait à Eymoutier de vingt
huit juillet mil sept cent quarante
et un
Reliac ».
Le surnom du soldat, Légligox, me fait immédiatement penser à un couple rencontré dans ma généalogie : François Varillaud époux de Geneviève Egligeaux. Ils ont eu, entre autres, un fils prénommé Jean qui est né en 1724 à Treignac.
Or le congé de 1750 mentionne que le soldat Jean Varillot est né à Treignac et qu’il est âgé de 28 ans, soit une naissance en 1722.
Aux approximations près : Varillaud=Varillot, Egligeaux=Légligox et 1724 proche de 1722, j’ai décidé que ce Jean-là était bien de ma famille.
Je remarque que la promesse faite en 1741 indique que Jean sert depuis 6 ans, soit depuis 1735. Il a donc été enrôlé à l’âge de 11 ans.
Un rapide regard sur l’historique du régiment de Penthièvre nous apprend que celui-ci, créé en 1684, a reçu le nom de Penthièvre en 1737 lorsque le duc de Penthièvre en est devenu le colonel.
Sur le congé de 1750, la signature du colonel est celle du chevalier de Saint-Pern. C’est bien lui, Vincent Judes chevalier de Saint-Pern, qui est lieutenant colonel du régiment depuis 1737.
Notons que de 1740 à 1748 s’est déroulée la guerre de succession d’ Autriche. (cf. Historique du régiment par le Général Suzanne sur le site www.ancestramil et un extrait en annexe).
Enfin, au 1er septembre 1750, Jean Varillaud est autorisé à quitter son régiment. Il s’empresse d’en informer sa mère :
Voici la transcription :
« A La Rochelle le 31 août 1750
Ma chère mère Geneviève Egligeaux ... »
Nous voilà assurés que ce Jean est bien le neveu d’un de mes ancêtres.
« J’ai l’honneur de vous écrire ces lignes pour vous assurer de
mes très humbles respects et en même temps pour vous apprendre
l’état de ma santé dont elle est fort bonne Dieu merci et
la Sainte Vierge et je souhaite de tout mon cœur que la
vôtre en soit de même et je fais tous les jours des vœux
au ciel pour votre conservation et sans oublier mes frères
et sœurs auxquels je la leur souhaite pareillement »
Une parenthèse pour présenter la famille de Jean.
La mère, Geneviève Egligeaux, est veuve depuis 1736. François, le père, était maître-boucher, une tradition de père en fils. Geneviève est la fille d’un praticien. Nous évoluons dans une famille de la bourgeoisie de l’époque.
François et Geneviève, mariés en juin 1719, ont, si l’on en croit les registres paroissiaux de Treignac, 9 enfants entre 1720 et 1734. Le premier meurt en bas âge ; 3 enfants se marient quelques années plus tard à Treignac.
Dans ces registres paroissiaux on retrouve plusieurs fois des signatures « Varillaud ». Hommes comme femmes savent au moins signer.
A ce propos la question se pose de savoir si Jean, notre soldat, a écrit lui-même la lettre à sa mère. Nous avons lu au début un mélange de formules codées : « J’ai l’honneur de vous écrire … vous assurer de mes très humbles respects ... » et de tournures qui se rapprochent du langage parlé : « … l’état de ma santé dont elle est fort bonne Dieu merci et la Sainte Vierge ... ».
Nous verrons plus loin, en dernière phrase avant la signature, qu’apparaît un autre type d’écriture : « votre très humble ... ». Est-ce ici écrit de la main de Jean et pas avant ? Le mystère reste entier.
Dernier détail, les registres paroissiaux prouvent que la famille Varillaud est catholique ; l’évocation dans la lettre de la Sainte Vierge est une preuve supplémentaire.
Il faut savoir que Treignac, et l’entière vicomté de Treignac, a été un bastion protestant de la première heure avec Uzerche, ville voisine. Beaucoup de familles ont abjuré autour de 1685. Il y a encore une abjuration en 1728 dans la paroisse des Varillaud.
Continuons notre lecture :
« Je vous dirai ma chère mère que si j’ai tant tardé
à vous écrire que c’est par rapport que j’attendais à tout
moment d’avoir mon congé absolu et cela est venu
Dieu merci et la Sainte Vierge dont j’espère de l’avoir
demain 1er septembre 1750 mais je ne pourrai aller
au pays qu’environ pour les fêtes de Noël prochain
... »
Encore une fois, on entend parler Jean.
« … et la raison est que n’ayant point d’argent pour me
conduire ; ... »
Le statut de soldat ne paie pas !
« … et j’ai trouvé une place pour gagner quelque
chose jusqu’à ce temps-là ; ... »
Le garçon n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Il sait se débrouiller face à l’adversité !
« … ma chère mère je vous
dirai que j’ai bien des hardes soit en boucles d’argent
de souliers et de jarretières et boutons de manches et
chapeaux bordés avec une veste d’écarlate et culotte et
plusieurs autres culottes soit de diablement fait et de peau
de daim avec trois paires de bas de soie mais avec tout
cela je ne veux point m’en défaire attendu que cela
pourra me servir un jour mais Dieu merci je trouve à
gagner quelque chose dans peu de temps. ... »
Jean a de quoi se vêtir. Sa mère sera soulagée d’apprendre qu’il n’est pas dans le dénuement le plus complet. Le bon fils a la gentillesse de rassurer sa mère.
Quant aux vêtements qu’il décrit, on pourrait penser qu’il s’agit de son uniforme : souliers avec boucles d’argent, veste écarlate … etc.
Toutefois la description ne ressemble pas à l’uniforme connu du régiment de Penthièvre Infanterie en 1750 (Source : Wikipedia).
Pourtant une autre source donne un uniforme à revers écarlate dès 1759 :
Source : site free de J.L. Vial.
Jean avait-il pu conserver son uniforme ? L’avait-il acheté ?
Dans une autre région, un autre de mes ancêtres, engagé dans le régiment de Touraine à la même époque, avait rendu son uniforme à la fin de son service (beaucoup plus long) pour recevoir sa pension. Nous ne sommes pas tout à fait dans le même cas puisque Jean ne fait pas une longue carrière de soldat (15 ans contre au moins 40 ans pour l’autre ancêtre).
Reprenons notre lecture :
« Ma chère mère je vous dirai que le régiment part de
La Rochelle le 3 septembre pour aller à Arras en
Artois mais pour moi je ne le suis point grâce au
Seigneur ... »
Soulagement de ne pas s’éloigner encore plus du pays natal !
« … je ne vous marque point autre chose présentement
et en vous souhaitant toujours la continuation d’une parfaite
santé je finis en vous embrassant du très profond de
mon cœur et je reste avec tout le respect possible
ma chère mère votre très humble et très
obéissant serviteur
Vareilhaud
votre cher fils »
Voici une très affectueuse manière de saluer sa mère. On remarque la dernière phrase d’une autre écriture, celle de Jean probablement, qui veut sans doute par cette touche personnelle, montrer sa tendresse à sa mère.
L’orthographe de son nom, qu’il donne dans sa signature, est bien celle qui sera conservée dans les années futures malgré les variations observées dans les registres paroissiaux. Précisons que le « LH... » occitan correspond au son mouillé « ILL... » pour les nordistes. Exemple : Guilhaume pour Guillaume.
On a vu que ses supérieurs dans son régiment utilisaient une autre orthographe.
Vient un post-scriptum, courtoisie oblige d’avoir une pensée pour ceux de Treignac. Jean ne fait pas entrer cette partie dans le corps de la lettre qui est réservé à sa mère et ses frères et sœurs.
« Je vous prie de faire mes compliments à Monsieur Sal et à
Madame et à Monsieur Sal fils et à toute la maison et chez Monsieur
Leygniat chez Monsieur Pallier et chez Monsieur Chadourne
et à Monsieur Le Mats et chez Couisac et à Monsier La Joffriedde
et chez Monsieur de La Chatounie et à tous mes oncles et tantes
parents et amis et à tous ceux et celles qui demanderont de mes
nouvelles.
Vous assurerez de mes très humbles respects Monsieur de La Croizille
et toute son honorable famille. »
Les familles citées sont, à ma connaissance, des artisans et des notables de Treignac.
Il y a des notaires chez les Leyniat et les Chadourne. M. de La Chatounie est un notable important de la ville, ainsi que M. de La Croizille (ils ont fait partie, je crois, des consuls qui ont géré la ville libre de Treignac) ; Jean les désigne sous le nom de leur terre.
Il y a des mariages entre les Varilhaud et les Leyniat et les Chadourne. Geneviève Egligeaux appartient à ce cercle de notaires et praticiens par ses parents et grands-parents paternels. Les Vareilhaud sont des maîtres artisans et font partie de la bourgeoisie.
En janvier 1752 Jean Vareilhaud épouse à Treignac Marianne Larivière, jeune femme issue d’une famille de marchands et maîtres artisans de cette même ville.
Un congé, une promesse de congé et une lettre d’un fils à sa mère nous ont fait percevoir un peu le mode de vie et l’intimité d’une famille du mi-18e siècle en Limousin.
Ces documents, rares pour des familles modestes, provoquent une émotion certaine parce que nous pénétrons soudain comme des familiers dans la vie de personnes disparues depuis bien longtemps. Nous découvrons subrepticement un pan de la vie de nos prédécesseurs.
Que nous leur soyons apparentés ou non, nous sommes tous touchés, je le pense, de la même manière.
Extrait de l’historique du régiment de Penthièvre par le Général Suzanne :
Le 1er décembre 1737, à la mort du comte de TOULOUSE, le régiment passe en héritage à son fils Louis Jean Marie de BOURBON, duc de PENTHIÈVRE, dont il a porté le nom jusqu’à la Révolution.
Penthièvre fit partie des premières troupes qui marchèrent en Bavière au mois d’août 1741. Il était avec Navarre et La Marine de la division d’AUBIGNÉ.
Arrivé à Saint Polten, près de Vienne, il fut dirigé sur la Bohême, et fut attaqué le 2 novembre, au passage du pont de Wolsering sur la rivière d’Erbelach, par une nuée de hussards. Une compagnie de grenadiers s’élança sur le pont, le balaya et dispersa les hussards.
Après l’occupation de Prague, Penthièvre fut mis en quartiers à Strakonitz.
En 1742, il fait partie du camp de Pisek, combat à Sahay, marche au secours de Frawemberg, envoie au mois d’avril un détachement au siège d’Egra, et revient sous Prague au mois de juin. Il était alors réduit à 504 hommes. Ces débris se firent remarquer dans la plupart des sorties qui illustrèrent la garnison de Prague, et dans la pénible retraite du maréchal de BELLISLE.
Lorsque le corps arriva sur le Rhin en février 1743, il ne comptait plus sous ses drapeaux que 60 officiers et 150 soldats. Il se rétablit promptement, car, le 27 juin, il partageait les efforts et la gloire du régiment d’Auvergne à la bataille de Dettingen ; le colonel et le lieutenant colonel y furent blessés ; 7 capitaines et 44 soldats furent mis hors de combat.
Il acheva la campagne avec Auvergne au camp baraqué de Langschleithal, et travailla à la mise en état des lignes de la Lauter depuis le pont de Salmbach jusqu’au moulin de Beywath.
Il passa en 1744 à l’armée de Flandre, servit aux sièges de Menin et d’Ypres, couvrit celui de Furnes et acheva la campagne au camp de Courtrai.
En 1745, il était encore embrigadé avec Auvergne devant Tournai et à Fontenoy. Après la bataille, il fut envoyé en Alsace.
Revenu dans les Pays Bas en 1746, il fit les sièges de Mons et de Charleroi, combattit à Raucoux et partit au mois de novembre pour la Provence.
Il participa en mai 1747 à la reprise des îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, franchit le Var, concourut à la conquête du comté de Nice et demeura jusqu’à la paix sur cette frontière.
On retrouve Penthièvre en 1754 au camp d’Aimeries-sur-Sambre.