Mortagne-au-Perche - Orne.
Lisez bien cet acte :
"Le troisième jour de juin mil huit cent neuf, par devant nous maire et Officier de l’état civil de la ville de Mortagne, département de l’Orne, sont comparus René Mariette et Joseph Roussel, marchand chapellier, qui nous ont dit être voisins de la deffunte, lesquels nous ont déclaré que cejourd’hui à neuf heures du matin, Marie-Louise GOBILLON, âgée de soixante quinze ans, femme veuve de feu Nicolas LAURENT, est décédée en son domicile en cette ville, rue des Mercières, par accident extraordinaire du feu qui a réduit la majeure partie de son cadavre [1], dont procès-verbal en a été dressé par le juge de paix et officier de police et dont copie est annexé à la présente, et ont les déclarans signés avec nous le présent acte après lecture faite".
Cet acte de décès n’est pas anodin ! Relisons un passage :
"par accident extraordinaire du feu qui a réduit la majeure partie de son cadavre en cendre"...
Ce décès n’en est pas un comme les autres... il sort même du commun !
La mairie de Mortagne-au-Perche nous a aimablement fait parvenir copie conforme de cet acte, mais il semble que le procès-verbal en question n’y soit pas joint. Dommage !
Peut-être est-il classé ailleurs.
Quoiqu’il en soit, les Annales Périodiques de la ville d’Orléans de 1809 nous permettent d’en savoir plus. Voici ce qu’elles relatent :
"Alençon, 6 août 1809
Un évènement remarquable a eu lieu à Mortagne il y a deux mois.
Une marchande de cette ville, veuve et âgée de 72 ans (nb : l’acte indique 75), nommée LAURENT, a été trouvée le 3 juin au matin, réduite en cendres à peu de distance de son foyer.
Un flambeau qui était auprès d’elle paraît être la cause de l’incendie qui l’a dévorée. Cette femme, adonnée à l’ivrognerie depuis longtemps, faisait un grand abus d’eau-de-vie, et venait d’en boire le quart d’un litre lorsqu’elle a été victime de son intempérance.
On n’a trouvé de cette malheureuse que les ossements de la tête, la jambe gauche et l’extrémité du pied droit, qui ne fussent pas réduits en cendres.
Il ne restait des autres parties de son corps qu’une poussière fétide et une sorte de charbon léger, spongieux et cassant.
Tout a concouru à prouver aux magistrats que personne ne s’est introduit chez la veuve Laurent, et il n’est pas moins certain que le feu qui l’a consumée, allumé par une cause extérieure, a trouvé dans les éléments alcoholisés (sic) de son corps, un aliment interne de combustion suffisant pour le réduire en cendres.
Ces accidents fâcheux (nb : pour le moins... oui !) et extraordinaires, longtemps peu remarqués, ont été jadis désignés sous les noms de "combustion", "d’incendie" et de "déflagration".
Bianchini, Scipion Maffey, Paul Rolli, Le Cat, Vicq-d’Azyr, entre autres, ont écrit à ce sujet. M. Lair, secrétaire de la Société d’agriculture, des arts et de commerce de Caen, a publié récemment sur cette matière, un traité fort bien fait, qu’il a intitulé : Essai sur les combustions humaines produites par un long abus des liqueurs spiritueuses".
Les actes de Copenhague, en 1692, l’Annual Register, en 1763 et 1773, les Acta Hafniensia (?), et l’ouvrage de Henri Bohanser, les Mémoires de la Société royale de Londres, [2], tome 59, citent des faits qui prouvent évidemment :
1° que ce genre de combustion s’opère très souvent par le simple contact d’un flambeau,
2° qu’il n’a lieu que sur des femmes qui ont abusé de liqueurs spiritueuses,
3° que l’eau jetée sur le corps ne fait qu’accélérer l’incendie,
4° que ce feu épargne souvent les vêtements et les objets voisins de la victime, et,
5° que la combustion de ces corps, comme dit M. Lair, laisse pour résidu des cendres grasses et fétides, une suie onctueuse, puante et très pénétrante.
A beaucoup de faits cités par les auteurs dont on vient de parler, on pourrait ajouter les récits de plusieurs combustions, entre autres celles d’une femme Delaunay, libraire à Lizieux, il y a quinze ou seize ans, d’une femme Miquel, au Havre, en l’an 7, d’une femme Marguerite Dupré, d’Alençon, en l’an 8, etc...
Ces faits intéressants pour l’Histoire naturelle, ne doivent jamais être indifférents à la médecine légale."
Il semble donc que ce cas ne soit pas isolé, et que le phénomène se reproduise relativement fréquemment.
Vraiment extraordinaire ! On ne voit jamais je pense, de nos jours, de décès comparables à ceux-ci.
Sans doute aussi a-t-on de moins de cheminées et donc de flambeaux.
Mais quand même, Mesdames, faites bien attention, si vous buvez beaucoup, à éviter toute flamme !
En fin de compte, nous aimerions bien que quelqu’un nous explique clairement le processus qui intervient dans ce genre de combustion.
Sources :
[1] Annales Périodiques de la Ville d’Orléans - 6e année - 2e semestre - n° 587 - paru le mercredi 16 août 1809, pages 121-122.
[2] Copie conforme de l’acte de décès de la veuve Laurent, émanant de la mairie de Mortagne-au-Perche, Orne.