"Remplacement" est-il synonyme de "défection" ? Je souligne sur ce point délicat que tous ces remplacements furent contractés alors que la France était en paix (je considère pour ma part que les conflits qui portèrent à cette époque nos armées sur des théâtres extérieurs ne les concernaient pas directement).
J’ajoute pour dissiper tout états d’âme que la majorité de nos ancêtres firent leur devoir lors des guerres qui engagèrent leur patrie et manifestèrent un courage sans faille, allant parfois jusqu’au sacrifice [2]
Vers 1820-1830 existaient à Clermont-Ferrand, à Riom, et probablement ailleurs, des officines auprès desquelles les parents souscrivaient une assurance en cas de tirage de mauvais numéro par leur fils. C’est ce qu’on a appelé peut-être un peu abusivement "les marchands d’hommes". Toutefois, comme on peut le lire dans le Journal du Puy de Dôme dont je possède un recueil pour l’année 1822, il y avait plusieurs cas de figure.
Voici quelques extraits [3]
- "Journal du Puy de Dôme"
- 14 février 1822
"Avis. Plusieurs pères de famille ont ouvert en l’étude de Me Bergier, notaire certificateur à Clermont-Ferrand, rue Desaix, une souscription tendante à faire le dépôt d’une somme de 300 fr chacun, pour le total réuni être gagné et réparti entre ceux de leurs enfans qui seroient frappés par le sort, lors du tirage qui doit avoir lieu pour le recrutement de l’armée, cette présente année. Les personnes qui désireroient concourir à cette souscription, sont priée de s’adresser à Me Bergier, notaire certificateur prénommé".
- "Journal du Puy de Dôme"
- 16 février 1822
- "Journal du Puy de Dôme"
- 5 mars 1822
- "Journal du Puy de Dôme"
- 9 mars 1822
- "Journal du Puy de Dôme"
- 9 avril 1822
Extrait de mes archives familiales...
Quant à mes archives familiales, je possède le dossier de remplacement du sieur Jean-Baptiste (François) Cromarias mon aïeul. Son père Gilbert souscrivit une assurance le 29 juin 1837. François, né en 1816, était de la classe 1836. Il était stipulé que les 300 fr versés seraient remboursés dans le cas d’une exemption et qu’il serait fourni un remplaçant dans le cas contraire.
Comme le firent probablement beaucoup d’autres pères de famille, afin d’éviter que son fils François ne se trouvât dans l’obligation d’accomplir son service, Gilbert Cromarias fit appel à l’une de ces officines, répandues à l’époque, qui étaient chargées de trouver un remplaçant, et ceci selon des clauses bien précises. Il s’agissait, comme l’indiquait l’en-tête du document, de l’« Administration fondée par d’honorables ancien fonctionnaires : Monsieur Randoulet, ancien chef de bureau du Ministère de la Marine, chevalier de la Légion d’Honneur, et présidée par Monsieur de Frasans, ancien chef de division du Mouvement au Ministère de la Guerre, rue des colonnes, N°2, à Paris ».
Le jeune devait se présenter à la Mairie de sa commune, où le tirage au sort était organisé. Selon le numéro tiré, il pouvait être appelé à effectuer son service ou être exempté, à la suite du conseil de révision.
- 1837 remplacement
Le 29 juin 1837, Gilbert Cromarias, de Laveix, (Arrondissement de Riom, département du Puy de Dôme.), se présenta devant le Sous-Directeur, Monsieur Laussedat-Combaraire, afin de signer une convention au profit de son fils, Jean-Baptiste François (dit François) né le 14 septembre 1816 à Gouttières, « appelé au tirage du recrutement de l’armée pour la classe 1836 ».
Dans cette convention (imprimé), on lit que contre le versement de 800 francs consenti par Gilbert, l’Administration s’engageait :
- 1° À rembourser 300 francs au souscripteur (Gilbert) si son fils (François), après avoir tiré un « mauvais » numéro, était réformé (cause médicale ou autre) par le conseil de révision ;
- 2° À fournir à l’assuré, s’il fait partie du contingent (après tirage d’un « mauvais » numéro et accepté par le conseil de révision) un remplaçant soumissionnaire de l’Administration « ou tout autre individu pris au compte de l’Administration afin de faire remplacer le souscripteur » (cette dernière clause était ajoutée à la main).
- 3° Enfin, dans le cas où l’assuré, après avoir été déclaré faire partie du contingent compris dans la réserve, ne serait point appelé pendant toute la durée du service de sa classe, l’Administration remboursera au souscripteur la somme de 500 francs.Cette tractation était finalement entérinée par un "acte de remplacement dans les corps" établi par les services de l’Armée.
Du côté militaire -et c’était pour Gilbert et François la dernière formalité à remplir -, cette tractation était entérinée par un "acte de remplacement dans les corps" ; il fut établi l’année suivante, le 13 août 1838, par le « Sous-Intendant militaire (un certain Dolisse) ayant la surveillance administrative du 2e Régiment d’Artillerie, comme suite à l’autorisation donnée par Monsieur le Maréchal de Camp Baron Duchaud ».
L’acte certifiait que le nommé Jean-Baptiste Gromarias (sic), matricule N° 4746, brun aux yeux bleus, avait été admis à se faire remplacer par le nommé Dominique Perrin, manœuvre à Paris, qui « réunit les qualités requises pour le service, ainsi qu’il résulte d’une visite qu’il a subie ».
Le remplacé était tenu de verser au trésor une somme correspondant à l’habillement du remplaçant.
L’acte fut signé à Paris pour le compte des Cromarias père et fils, absents, par les sieurs Bazin Edme, rentier, 2 rue des Colonnes, et Père Dieudonné, propriétaire, 3 rue St-Nicaise [4] en présence d’un témoin, le sieur Mulet Stanislas, caporal au 29e de ligne.
- 1838 remplacement
- Belle signature de Gilbert Cromarias au bas de l’acte du 29 juin 1837
Gilbert Cromarias (signature ci-dessus) épousa sous la Révolution Marie Auray. Propriétaires au Fraisse, commune de Gouttières en Combrailles, ils étaient les parents de ce jeune François alias Jean-Baptiste, bénéficiaire du remplacement, qui épousa le 8 septembre 1828 Françoise Thomas Déroffeix, fille de Marien Thomas ce fier personnage né sous le règne de Louis XVI, aux longs cheveux blancs et au yeux clairs, dont on possède une photo.
Antoine, fils de Jean-Baptiste et de Françoise Thomas, épousa le 28 avril 1875 une demoiselle Marguerite Villevaud-Arnaud d’Aubière. Ce sont mes arrières grands parents.
Dans les archives Villevaud-Arnaud, se trouve un acte de remplacement "traité avant tirage", conclu chez un notaire d’Aubière, Maître Daumas-Foulhouze [5].
En effet, le père de Marguerite Villevaud, Antoine Villevaud, mon arrière arrière grand père, né à Aubière le 17 juillet 1834, devait, aussitôt après son mariage le 16 janvier 1854 avec Jeanne Arnaud [6], être appelé, "à tirer au sort pour le contingent à fournir par le canton sud de Clermont-Ferrand en l’année 1854". Antoine Villevaud exerçait le métier de courtier en vin à Aubière.
Afin de lui éviter l’inconvénient du tirage d’un mauvais numéro, son père, Ligier Villevaud, lui trouva un remplaçant en la personne de Jean Abraham [7], cultivateur demeurant également à Aubière, qui avait été "libéré du service militaire par son numéro 89 au tirage au sort du canton sud de Clermont-Ferrand de la classe 1852" [8]. Jean Abraham, fils de Ligier et de Marie Terrieux, vit le jour à Aubière le 10 décembre 1832 ; il était donc âgé de 22 ans en 1854.
L’acte stipulait que M. Jean Abraham "s’engageait à remplacer sous les drapeaux militaires M. Antoine Villevaud fils pour le cas où ce dernier serait désigné par le sort à faire partie du contingent exigé du canton sud de Clermont Ferrand, et cela pendant tout le temps [9]que le Sr Villevaud serait tenu de servir soit par suite des lois actuelles sur le recrutement , soit par celles qui pourraient intervenir pendant la durée de son service, et généralement remplir toutes les obligations auxquelles M.Villevaud pourrait être tenu s’il servait en personne".
- "Traité avant tirage entre M. Ligier Villevaud et M. Jean Abraham"
24 novembre et 14 décembre 1854. Étude de Maître Daumas à Aubière.
Pour prix de ce remplacement, Antoine Villevaud s’engageait à payer, en espèce d’or ou d’argent, 2200 francs dans treize mois à compter du jour de l’admission par le conseil de révision.
Mais pour le cas où Antoine Villevaud viendrait à être libéré du service militaire par son numéro ou viendrait à être réformé, ou exempté par le conseil de révision, M. Ligier Villevaud son père devra payer 1000 francs le jour du conseil de révision qui libérera son fils. Le Sieur Abraham déclara qu’il avait reçu ce jour même 450 francs et qu’il ne devrait donc plus toucher que 1750 francs dans le cas où il serait obligé de partir et 550 francs en cas de libération.
Ligier Villevaud père obligeait, affectait et hypothéquait ses bâtiments d’habitation et d’exploitation situés à Aubière, quartier de l’ancien cimetière, rue de la Treille. Les témoins à cet acte furent M. Jean-Baptiste Marquet, officier de santé et M. Claude Fournial, maréchal-ferrant.
L’acte renferme deux quittances, l’une du 25 mars 1855 d’un montant de 300 francs.
L’autre datée du 24 août 1856 nous éclaire sur la suite des événements.
Antoine dut manifestement tirer un mauvais numéro et Jean Abraham dut accomplir le service à sa place : "Ligier Villevaud, courtier en vin, s’est libéré entre les mains du Sr Jean Roche aspirant au notariat demeurant à Aubière mandataire du Sr Jean Abraham, soldat en garnison à Thionville aux termes de la procuration qu’il lui a délivrée de la somme de 1450 francs formant le solde du prix moyennant lequel le dit Sr Abraham s’est obligé à remplacer au service militaire le fils du payant"
La moindre des choses est de présenter ici l’acte de naissance de Jean Abraham (orthographié Abraam dans l’acte) né à Aubière le 10 décembre 1832. Il était le fils de Ligier Abraam, cultivateur à Aubière et de Marie Terrieux :
- 1832 acte de naissance d’Abraham à Aubière
Quel fut le destin de Jean Abraham en garnison à Thionville en 1856 ? Probablement, son service prit fin (au plus tôt) en 1861 ; il y eut entre-temps les guerres du Second Empire : échappa-t-il à la guerre de Crimée de 1853 à 1856 ? Peut-être participa-t-il à celle d’Italie en 1859 et de Cochinchine de 1858 à 1862 ? L’expédition du Mexique commença en 1861 et ne le concerna probablement pas...