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« Un ange blanc dans la Grande Guerre » (2e épisode)

Gaby rejoint les trains sanitaires

Le jeudi 5 mai 2016, par Michel Guironnet, Yves Plasseraud

En juin 1915 Gaby débute avec Lucie, sa mère, comme infirmière dans l’Oeuvre des trains de blessés, Commission de la presse française. Elles sont affectées aux fourgons cantines dans la 6e région. Gaby est ainsi aux premières loges pour voir l’horreur du conflit. Elle sait néanmoins cueillir les bons moments.

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Cocarde de la Croix Rouge
Collection personnelle de l’auteur

L’ambulance de Gaby, la 14/1, se situe alors juste derrière la ligne du front de Champagne. Les archives départementales de la Marne conservent des albums de photographies prises par le Lieutenant Jacques Ibled, en poste à l’Ambulance à Jonchery sur Vesle à cette époque. C est une ambulance chirurgicale de première ligne dans laquelle sont opérés les blessés nécessitant une intervention immédiate et préparés les autres en vue de leur évacuation [1]. Gaby s’occupe des évacués des combats de tranchée de la zone située au Nord qui sont dirigés vers les H.O.E. Les blessés graves sont évacués vers l’arrière par des trains sanitaires comme celui où travaille aussi Gaby.

Pour bien situer l’action

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Carte dessinée par Yves Plasseraud

La documentation de Gaby de cette période comporte une série de vues des agglomérations suivantes : Bruyères, Reims, Oulchy-le-Château et Fismes puis Port à Binson, Château-Thierry, Montmirail, Compiègne, Grandville, Mont St Père, Jonchery sur Vesle, Chalons-sur-Vesle, Muizon.

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Chalons, Courlandon, Fismes, Jonchery, Oulchy se situent sur la voie ferrée Paris- Reims au sud de Soissons et à l’ouest de Reims, autour de la Vesle, dans un mouchoir de poche.

« Dans un combat, un homme est blessé ; si la nature de sa blessure le lui permet, il se trainera lui-même jusqu’au poste de secours ; sinon, dès que cela sera possible, dans un moment d’accalmie ou dès que viendra la nuit, et parfois même en pleine bataille, les brancardiers iront le relever et l’amèneront au poste de secours qui se trouve dans la tranchée même. Là, après désinfection, un premier pansement est effectué et le blessé est transporté jusqu’aux automobiles qui le conduiront à l’ambulance du front, installée dans l’endroit le plus rapproché de la ligne de feu… Dans l’état actuel des choses, il s’écoule en général moins de vingt quatre heures entre le moment où le soldat a été ramassé sur le champ de bataille et le moment où il se trouve dans son lit d’hôpital. Dans certains cas, ces hommes qui ont été blessés le matin sont dans leur lit le soir du même jour. » [2]
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Dans un wagon-cantine (1915)
Gaby à l’intérieur du wagon-cantine. Le règlement en est très strict. On voit la cuisinière où se préparent les repas, à droite.
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Extrait du réglement des Fourgons-Cantines

Août 1915 : Gaby est toujours à Château-Thierry, ville de l’Aisne, comptant alors 7.771 ha. Je possède le guide de la ville qu’elle s’était acheté : "Guide officiel de Château-Thierry et de ses environs" [3]. On peut y lire : « Sa proximité de Paris, (95 km), les communications par chemin de fer, par routes et par la Marne, son site, ses souvenirs historiques et ses environs accidentés en rendent le séjour aussi agréable qu’intéressant. »

Gaby tient son journal et inaugure une sorte de Livre d’Or où ses admirateurs viennent consigner leurs pensées. Nous lirons plus bas le "Souvenir respectueux" du Docteur Vorbe fin août 1915.

16 août : Gaby écrit à la première page de son journal : « Château-Thierry - Après une bousculade atroce, nous sommes parties pour Château, non sans avoir pris 20 kg de lait, 2 de tabac, 2 de cigarettes et 2 de bonbons. Nous n’avons pas trouvé Mademoiselle de Casabianca et j’ai surmené Dollif (sic).
Notre numéro 13 (Gaby avait probablement changé de train) n’était pas parti, car on ne va plus du tout à Nogent. Mon travail, supprimer les personnes que nous remplaçons, Mademoiselle Carole surtout. Elles ont une épouvantable réputation, elle boit et fait mille autres choses répréhensibles !

Elles avaient eu la mauvaise idée de réunir les 4 équipes à dîner ; nous étions 7 avec des personnes peu sympathiques. Tout le monde nous a aimablement accueillies. Demain, nous roulons, c’est la semaine de service.

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Les carnets de Gaby
"A Mademoiselle Gaby Mézergue ; que vous dire de plus après tant de jolies choses, si ce n’est que je n’ai rencontré qu’une seule petite infirmière qui réunisse tant de charmes et dont la grâce toute empreinte de bonté fait tant de bien à nos chers blessés. Et je suis heureuse de votre douce amitié. Catherine de Casabianca, infirmière du secours aux blessés. Château Thierry 7 janvier 1916"

Nous roulons, le service est fini, nous revenons de Jonchery, nous avons revu tout le monde sur la ligne. Mlle Lynda ( ?) est partie, elle est à Janson-de-Sailly [4].
Le médecin-chef des ambulances a été fort gentil ; il est bien heureux de causer un peu et se plaint de ne voir jamais que des hommes ! Tout le monde me trouve maigre ; le Docteur L’Heureux me dit que j’ai dû faire la noce à Paris.

23 août : J’ai eu très peu de temps d’écrire pour moi pendant notre semaine de service, qui est, hélas, finie ! Je vais me rattraper à présent : mais à Jonchery, nous avons été trop prises [5]. Le médecin-chef a passé avec nous tout le temps de notre séjour à Jonchery. Il est extrêmement gentil, et m’a horriblement gâtée ; il fait tout ce que je veux. Il vient de me donner des morceaux de vitraux de Reims [6] et il nous a fait porter une gerbe merveilleuse !

Il nous a fait visiter l’Ambulance 16 et ses dépendances ; il m’offre sérieusement une place dans son ambulance [7]. Il pourrait peut-être même nous prendre toutes les deux. Il m’a offert avec regret de me faire entrer à Janson ; cela me sourirait, mais Maman aime mieux les trains !

J’ai été voir l’ambulance 14 où j’ai vu un petit Suisse qui a été trépané, on lui a enlevé gros comme une orange de cerveau, et il se porte fort bien ! J’ai aussi fait une visite peu agréable au poste de secours où un chauffeur de l’ état-major, un célèbre dentiste de Paris, me plombe cinq dents.

Le médecin-chef trouve que j’ai mauvaise mine, il veut m’examiner sérieusement pour savoir exactement à quoi s’en tenir sur mon état de santé.
Je n’y tiens pas du tout, mais Maman le souhaite. C’est très suffisant pour que cela se fasse car on prétend céder toujours alors que c’est moi qui cède éternellement sans en avoir l’air !

À ce point-de-vue là, nous nous sommes fort mal entendues pendant 3 ou 4 jours nous avons cessé de nous parler et chose bête, tout le monde s’en apercevait autour de nous !

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Lucie et Gaby avec quelques collègues
Notez la Croix-Rouge sur le wagon

Nous n’avons jusqu’à présent eu que des P.L.M [8]. Nous connaissions les officiers mais pas comme dans les autres.… on nous prédit une grosse attaque pour un de ces jours !

28 août : Les trains de troupes se succèdent sans interruption ; des canons passent. Aujourd’hui, nous avons été à Jonchery en double avec l’autre fourgon. Je devais y aller seule, mais après avoir demandé une autorisation, Maman a voulu m’accompagner, ce qui a donné lieu chez nous à une nouvelle discussion. Nous avons seulement vu le dentiste et le médecin-chef qui est de plus en plus aimable.

Il est toujours prêt à satisfaire mes moindres désirs… que je n’ai pas encore, mais pourrais avoir ! Il m’a promis de m’envoyer jusqu’à Reims… il va me faire monter une véritable bague de tranchées.

Ma santé est toujours languissante, je traîne et Monsieur Vorbe veut m’examiner sérieusement… je ne sais pas pourquoi il a su m’inspirer une immense confiance. Sa grande bonté envers ses malades en est, je crois, la cause…

2 septembre : La campagne se continue, nous faisons à Jonchery de très grosses évacuations car on déblaie toutes les ambulances de ce côté - là. On attend un gros coup pour dans quinzaine de jours. On amène ici une quantité innombrable de canons, de munitions, des trains de ravitaillement.

Les pansements arrivent par charrettes et l’on construit des tentes pour installer 3000 blessés à la fois. Tout Jonchery se transforme et prend un air de guerre. Le médecin-chef nous réclame pour habiter complètement ici, car il paraît qu’il va y avoir du travail en quantité pour tout le monde [9].

4 septembre : L’attaque se prépare, nous assistons à des duels d’avions et déjà hier soir, les Boches ont tiré sur Fismes avec de grosses pièces ; des obus sont tombés à 1500 mètres de la gare, mais ce matin, tout et calme.

Le Docteur Lheureux devient de plus en plus gentil, il me déclare qu’il rêve de devenir pour moi un bon camarade. En attendant, il vient passer une journée à Château-Thierry et nous faisons un tour ensemble.
Hier, on m’a arraché à Foucheux ma toute dernière dent de lait ! »

Après une première partie d’année marquée par une série de tentatives infructueuses de percée, l’automne voit l’offensive française de Champagne (septembre - octobre). Cette terrible année coûta 400 000 morts ou prisonniers à la France et entraîna un million d’évacués pour blessure ou maladie.
Sur le terrain, le 15 septembre, poursuivant les Allemands en retraite, les Français s’arrêtent au pied des massifs au N-O de Reims et des crêtes qui vont vers l’Argonne.Les Allemands s’y enterrent et fortifient cette ligne [10]

24 septembre  : Lucie et Gaby sont officiellement affectées à l’Ambulance 16/1 fonctionnant à Jonchery.

25 septembre : Grande offensive française dans le secteur. Énormément de blessés ! Seules les premières positions sont enlevées. Gaby n’en dit rien !
8 octobre : Gaby et Lucie sont autorisées à se rendre à Paris.
13 novembre  : Gaby note dans son carnet qu’elle a écrit à : Mme Bonnard, Louis, Docteur Vorbe à Dunkerque, abbé Bourgeois, Georgette Harland. L’ensemble du carnet sert d’ailleurs à énumérer les lettres écrites et reçues de ses nombreux correspondants.
Noël 1915 : Dans le secteur de Fismes, un réveillon réunit dans un trou d’obus, soldats allemands et français. Gaby n ‘en souffle mot ! En avait-elle eu connaissance ? Son patriotisme un peu primaire ne l’aurait pas incitée à apprécier !

Le Docteur Vorbe
Gaby écrit au Docteur Vorbe à Dunkerque. Il ne serait donc plus dans son ambulance du front…est-il en permission ? Cet indice m’entraîne à sa recherche. Pourquoi s’intéresser à lui en particulier ? Il semble bien que Gaby en soit "un tantinet" amoureuse...Dans le recensement de 1906 à Dunkerque, au numéro 12 de la rue Emmery, je déniche ces renseignements :

VORBE Paul chef docteur en médecine 30 ans né à Paris
FLAMENT Louise femme sans profession 30 ans née à Béthune
VORBE Madeleine enfant sans profession 4 ans née à Sedan
VORBE Jean enfant sans profession 3 ans né à Béthune

Ce docteur est donc né en 1876. L’état-civil de Paris me livre son acte de naissance dans le 18e arrondissement : né le 19 mai 1876, « à huit heures du matin, chez sa mère, rue de la Goutte d’Or N° 61 ». Paul Flavien Georges est le « fils de Paul Marie Gaston Vorbe, décédé à Paris le trente avril dernier, et de Sarah Julia Arthémise Delhom » son épouse de 21 ans, sans profession.
Paul n’a donc pas connu son père. Les deux grands-pères de l’enfant sont présents en mairie :
« François Joseph Flavien Vorbe, négociant » 55ans, domicilié à Vincennes.
« Ulysse Antoine Delhom, architecte » 55 ans, « rue de la Goutte d’Or N°61 ».

En mention marginale : « Marié en la mairie de Béthune (Pas de Calais) le huit novembre mil huit cent quatre vingt dix neuf avec Flament Louise Victorine Marie… » Ce qui confirme les données du recensement.

Direction Béthune pour trouver l’acte de mariage qui nous livre bien des informations. Lorsqu’il se marie, à 23 ans, en 1899, Paul Flavien Georges est « médecin aide major de deuxième classe à l’école d’application du Service de Santé militaire » Il est domicilié « de fait » à Paris 5e et « de droit » à Saint Omer où réside sa mère, présente au mariage.
Paul Vorbe est « autorisé à contracter le présent mariage en vertu d’une permission à lui accordée par Monsieur le Ministre de la Guerre » datée de Paris le 26 septembre 1899.
Louise Victorine Flament, la jeune mariée, sans profession, 23 ans, est née à Béthune le 28 septembre 1876 où elle est domiciliée. Elle est la fille « de feu Oscar Eugène » décédé à Béthune le 30 octobre 1878, et de Sidonie Doufflet, ici présente.
De cette union naissent au moins deux enfants : Madeleine, née en 1902 à Sedan, et Jean Auguste Paul, né le 18 juin 1903 à Béthune.

Reste à trouver la fiche matricule du Docteur Vorbe pour être bien sûr qu’il s’agit de « notre homme ». Elle porte le numéro 338 de la classe 1896 dans les registres de recrutement militaire de Saint Omer, son lieu de résidence à 20 ans.
Les données d’état-civil confirment ce que nous savons déjà. Nous apprenons qu’il mesure 1 mètre 76 et a « les cheveux et sourcils châtains, les yeux bleus ; le font et le nez ordinaires, la bouche moyenne, le menton pointu, le visage ovale ».

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Déjeuner amical
Gaby, Lucie et un médecin. Le Docteur Vorbe ?
Gaby le regarde avec beaucoup d’intérêt !


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Un médecin barbu qui fume la pipe. Et si c’était le Docteur Vorbe ?
Gaby est à côté de lui, Lucie à l’arrière plan.



Paul s’est « engagé volontaire pour trois ans » pour faire ses études de médecine.
« Arrivé à l’Ecole du Service de Santé Militaire le 24 octobre 1895 » son numéro matricule est le 542. « A contracté à la mairie du 3e arrondissement de Lyon le 14 novembre 1895 un engagement spécial de 3 ans pour l’arme de l’Infanterie. » C’est à Lyon, en effet, qu’est l’Ecole de Santé militaire, près du Rhône, au début de ce qui deviendra l’avenue Berthelot [11].
« A subi avec succès le 20 juillet 1897 l’examen d’aptitude prescrit… relatif aux médecins auxiliaires. »

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Thèse du Docteur Paul Vorbe soutenue à la Faculté de Médecine de Lyon en 1898



« Passé le 9 Xbre (décembre) 1898 à l’Ecole d’Application du Val de Grâce à Paris. Médecin aide-major de 2e classe le 9 février 1899. Passé au 147e Régiment d’Infanterie le 7 novembre 1899 ».
« Nommé Médecin Aide-Major de 1re classe le 1er février 1901. Passé avec son grade au 110e Régiment d’Infanterie le 20 octobre 1902. Affecté à l’hôpital de campagne N°5 du 1er Corps (d’Armée, en cas de mobilisation) par décision du 1er Xbre 1909 »
A l’issue de ses périodes d’engagements, le 16 mars 1908, Paul Vorbe a démissionné de l’armée active. Redevenu civil, il exerce comme médecin à Dunkerque.

Août 1914 : la guerre est déclarée ! Paul Vorbe est mobilisé. Il a 38 ans.
« Affecté à l’ambulance N°16 du 1er Corps d’Armée à partir du 15 août 1914 (application du Plan XVII). Nommé le 25/3/15 MM (Médecin Major) de 1re classe affecté à l’hôpital Notre Dame de Monts. Médecin Chef centre d’Epenoy (Epernay ?) D.M (directive ministérielle) du 7/8/15.

Mis à la disposition de la 20e Région. 12/2/17 affecté à l’hôpital temporaire Michelet (à) Vannes. 3/3/17 nommé Médecin principal de 2e classe. Désigné pour la place de Dunkerque. 26/3/19 Médecin Chef hôpital de Dunkerque le 30/3/19. Promu Médecin Principal de 2e classe le 10 avril 1919. Dirigé le 30 octobre sur la DSS (Direction du Service de Santé) 1re Région aux fins de démobilisation.

Mis en congé illimité de démobilisation le 31 octobre 1919, 2e échelon N°895 par la direction du service de santé de la 1re Région. Se retire à Dunkerque (Nord) rue Hémery N°12. Campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 31 octobre 1919 ; aux Armées du 2.8.14 au 3.3.17.

Affecté pour la mobilisation au Service de Santé (de la) 1re Région à Lille (Hôpital d’Evacuation primaire N°1… comme Médecin Chef »


Extrait de sa fiche matricule
« Décorations Citations : Chevalier de la Légion d’Honneur. 19 mai 1916. Cité à l’ordre du 55e Groupement, Ambulance 7/16 « Le Médecin Major, Vorbe Paul, à la tête d’une formation constamment bombardée pendant la période du 4 au 14 avril 1916, a donné l’exemple à son personnel du plus grand calme et du plus grand sang-froid, gardant toute son activité et assurant dans les meilleures conditions les pansements et l’évacuation de nombreux blessés » Légion d’Honneur (et) Croix de Guerre »

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"Souvenir respectueux"
Le Docteur Vorbe rend hommage à Gaby.
« A Mademoiselle Gaby Mézergue. Souvenir respectueux. Le 20 août 1915.
Jeune fille heureuse, adulée, entourée de tendresse, vous viviez dans le calme de vos réserves, compagne sûre et charmante de votre maman. Le déluge des Barbares est venu : les lauriers sont coupés, l’heure est inexorable et triste.
Vous arrachant aussitôt aux délices de votre bonheur si doux, vous avez pensé à la détresse affreuse de nos blessés, et vous êtes accourue leur apportant le parfum de votre âme féminine si secourable. Vous avez soutenu, vous avez consolé, pleine de détachement surhumain.
Vous ne souhaitez rien, vous n’attendez rien, et vous donnez le meilleur de vous. Le seul espoir de conserver des souvenirs limpides et sacrés vous suffit comme témoignage de votre dévouement.
Voilà, Mademoiselle, les réflexions qu’un pauvre médecin exilé fait chaque matin, à l’heure où votre fine silhouette blanche apparaît dans ma petite gare aux horizons si beaux et où j’ai vécu des heures si douloureuses… Dr Vorbe.

Année 1916

Au début du mois de janvier, une violente offensive allemande se déroule en Champagne. Le commandement allemand a en effet décidé d’abandonner la tactique défensive de 1915 et de briser le blocus qui désorganise l’économie du Reich. A Paris, en dépit de son activité intense, le père de Gaby, Gabriel, ingénieur à la circulation du Paris-Orléans, paraît vivre ; comme tous ceux de l’arrière ; dans un autre monde.

10 janvier : Dans ses lettres datées de ce jour, adressées à Château-Thierry, Gabriel demande si on ne pourrait pas lui trouver des timbres [12] et donne des nouvelles de la grand-mère qui va mieux !

Au même moment, le général allemand von Falkenhayn, estimant la France à bout, avec près d’un million de tués et de prisonniers et plus d’un million et demi de blessés, décide de lui donner le coup de grâce et pour ce faire, d’attaquer les forts de Verdun, mal gardés.

21 février : La Bataille de Verdun commence par un jour de beau temps froid et sec, par une attaque allemande sur la rive droite de la Meuse, au nord de la ville. Les troupes françaises sont écrasées sous un déluge d’acier. Les défenses sont broyées. Le pays retient son souffle. À la maison, on suit les évènements dans les quotidiens et dans l’Illustration. Les troupes du Kronprinz avancent inexorablement !

25 février : Chute du fort de Douaumont, occupé par une garnison symbolique.
Le lendemain, le général Pétain, pourtant malade, prend le commandement en chef.

Fin février Gaby est … à la maison et observe les évènements de loin.
1er avril : Lettre affectueuse de son père.

6 mars : les Allemands renoncent à leur objectif de prendre Verdun.
9 avril : Offensive générale allemande sur les deux rives de la Meuse.
« D’une extrême violence, elle ne réalise cependant que des gains limités, et Pétain peut lancer le soir même son fameux ordre du jour : « … Courage, on les aura ! »

Gaby rejoint un wagon à l’arrière du front, à l’Ouest de Reims, c’est-à-dire à quelques dizaines de kilomètres au sud de Verdun.

12 avril : Depuis 8 jours, nous sommes au repos, sans savoir pourquoi alors qu’il commence à passer de nombreux trains de blessés.
C’était une période de recueillement sans-doute : cette nuit nous partons et le (train) N° 1 aussi. Il est arrivé 7 nouveaux wagons de la presse. Deux trains partent, l’un pour Courlandon [13], l’autre pour Montigny. On ne savait où nous envoyer, enfin il est décidé que c’est nous qui irons à Montigny avec le 16 bis P.L.M. Nous devons partir à 23 heures 30.

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Les deux infirmières et leur petit chien
Gaby avec sa mère Lucie, et leur petit chien, à Château-Thierry en 1916 devant le wagon N° 13.

Bombardement de Montigny

13 avril : Si j’étais superstitieuse, je dirais que le wagon 13, et un vendredi 13, nous ont porté la guigne. Ce matin à 7 heures, quand nous entrions en gare de Montigny ; j’étais encore au lit et Maman faisait sa toilette ; quand nous avons entendu des départs, puis des sifflements aigus, et puis les éclatements assez proches des obus. C’était, paraît-il, des (obus de) 77. On les craint peu ; puis il en a eu beaucoup de ces petits-là qui n’ont pas éclaté. Il y en avait un régulièrement toutes les trois minutes. Nous nous contentions de dire, sans même chercher à voir, encore un ! Je ne me levais toujours pas !

Enfin, François vint en courant vers le 12e nous dire qu’ils éclataient au près ? et que c’était du 240 autrichien à présent et que c’était intéressant à voir. Maman se précipita à la cuisine pendant que je sortais du lit !
Les éclatements se rapprochent encore. Maman m’appelle pour que j’aille voir – on rectifie le tir – et bientôt, alors que je mets tranquillement mon voile, j’entendis un coup plus fort que les autres, le wagon trembla, les vitres se brisèrent, des éclats de pierre tombèrent sur le toit et je reçus, je ne sais pas par où, de la terre sur la tête.

Sans la moindre crainte, je finis de m’habiller et j’allais moi aussi, à la cuisine au moment où les éclats rasaient la porte et nous inondaient d’un tas de choses envoyées par le déplacement d’air. Comme les derniers (obus) venaient d’éclater auprès du train du génie à une vingtaine de mètres de nous, nous nous précipitions, les ciseaux à la main, pour porter secours s’il y avait des blessés, mais, comme par enchantement, il n’y avait plus âme qui vive et dans notre train et dans celui du génie et partout, tous étaient terrés dans les abris.

Nous avons ramassé des éclats d’obus, puis appris qu’à l’endroit que nous venions de quitter avec le train des obus venait de faire des victimes. En fait, les officiers du (service) Sanitaire avaient,de leur trou, envoyé un pauvre bonhomme du Génie pour chercher les mécaniciens introuvables, et ils avaient avancé le train d’une centaine de mètres. C’est là que nous nous rendions pendant qu’on tirait encore.

Les horreurs de la guerre

Là, sur la voie, on enlevait les blessés (7 graves) et les morts, au nombre de 5, n’étaient plus que des amas de chair et d’étoffes ensanglantées. Ces pauvres gens étaient des travailleurs du Génie qui s’étaient mis à l’abri le long d’un talus et que le déplacement d’air avait écrasés à cette place. Ici une tête coupée aux yeux ouverts, là une main broyée, plus loin une cuisse avec un morceau d’abdomen, là une cervelle, un crâne ouvert, un cœur à nu, des pieds broyés, un peu plus loin, un autre dont le ventre est un grand trou dans lequel la mâchoire d’un autre a sauté et à côté des intestins fumants.
Un spectacle horrible et pourtant, là, pas plus que pour les obus, je n’ai ressenti la plus petite émotion ! Où est donc ma sensibilité ?

Nous revenons auprès du train. Il y a un peu de calme, les gens braves sont sortis de leurs trous, mais personne ne sait qu’il y a eu des victimes. Puisqu’on ne bombarde plus, les gens veulent aller voir. Immédiatement nous nous mettons à table et Maman, qui pense encore à ce qu’elle vient de voir, s’écrie : Plus de tripes surtout !

Après déjeuner, nous avons voulu aller encore ramasser quelques éclats à une centaine de mètres du train. Comme nous y arrivons, on entend encore un départ, un sifflement et je crie aux soldats du génie : « Sauvez vous, sauvez vous. » En une seconde, nous sommes seules, l’obus arrive, il éclate à 5 mètres à peine de nous. Tout vole au tour de nous. Nous n’avons pas bougé, nous avons regardé de tous nos yeux, et, pensant qu’il arrivait, j’ai songé à ce que ce serait si nous étions tuées. Beaucoup de sang sur le blanc de nos costumes !
Encore cinq minutes … Pan ! en voilà un autre à la même place, Je pense qu’ils pourraient bien me tuer Maman, je lui dis alors « Je crois que nous sommes mal placées ici ! » et, à pas lents, nous sommes revenues près de notre train où les blessés s’affolaient, criaient, voulaient partir.. [14].

Beaucoup de gens autour de nous se couchaient à chaque obus, pour notre plus grande joie (?) Il y en eut ainsi 42, la voie était coupée, le téléphone aussi, donc impossible de partir.
Un médecin à 4 galons me dit l’après-midi : Sapristi j’ai vu 2 de vos collègues qui ont du cran. Elles se sont trouvées en voulant porter secours à quelques mètres des derniers obus. Ceci vaut bien une citation, personne d’entre nous ne serait sorti dans ces conditions ! Je lui ai appris que c’était nous et les félicitations plurent alors !

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"Abri de bombardement pour le personnel des trains sanitaires"

Par un beau soleil comme il y en avait, je n’imagine pas que l’on puisse avoir peur.
C’est étrange, hier soir encore Maman disait qu’elle ne reculerait pas devant les obus, et je lui répondais que je ne croyais pas non plus, mais que je n’osais pas l’affirmer. Aujourd’hui, je suis contente de moi, mais je n’ai aucun mérite, car je n’ai rien éprouvé ! J’aurais voulu sentir quelque chose, avoir besoin par exemple de toute ma volonté pour me maîtriser.
Le soir à 17 heures, nous partions enfin, avec nos wagons boueux, nos vitres cassées, pour aller chercher 50 blessés à Prouilly. Là nous donnions aux 314 le dîner.

14 avril :
2 heures du matin, nous passons à Fismes, les obus sifflent encore. Nos blessés meurent de soif, nous distribuons du thé.
4 h., nous sommes à Oulchy, nous allons nous coucher un peu.
6 h. Je n’ai pas dormi une heure. Nous servons le petit-déjeuner. Les blessés sont reconnaissants et gentils au possible. À Estuis Saint Denis, l’hôpital leur donne à déjeuner.
14 h ; nous arrivons à Amiens. Le Docteur Bonnet et moi, nous allons visiter un sanitaire anglais et voir un peu l’aspect de la ville. Presque Paris, de la vie, du mouvement, des Anglais en masse.
17 h. Nous repartons pour Clermont (dans l’Oise), là, nous servons le dîner.
24 h. Beauvais ! Nous déchargeons ; nous prenons le thé avec les médecins et tout le monde se couche.

15 avril : J-1 (avant le départ ?)
Journée de désinfection à Beauvais. Temps affreux !... on se repose un peu.

16 avril : Jour J
Nous faisons tous ensemble quelques courses à Beauvais.
1.29 h. : On nous expédie à Pantin…
15 h. Nous arrivons à la gare. Nous sommes assaillis de visites au wagon. Papa excursionne dans le train Marguerite Parré. Nous sommes heureux de dîner ensemble. Il repart à 21 h ; enchanté de son après-midi.

17 avril  : Nous sommes encore à Pantin. Je vais à la maison une heure chercher différentes choses, je ramène grand-mère.
18 h. 40 : Nous quittons Pantin à destination de Courlandon. Nous sommes deux trains attachés ensemble.

18 avril :
Nous avons roulé toute la nuit, lentement sans – doute. Nous sommes à Courlandon à 8 h. Il y a là une incurie, un désordre fou. Personne ne sait rien, tout le monde se fâche. Il y a dans cette seule ambulance 6000 blessés et de la place pour 3000 ! Ces gens - là n’ont pas mangé depuis 2 jours, il pleut et ils ont froid dehors. Les pansements ne sont pas faits. Il y a là de la division Mangin qui a donné 1000 nègres qui sont furieux et qui se fâchent. Ils ont mis 3 grenades dans l’hôpital ; Il faut de la cavalerie pour les disperser. Un officier les bat, c’est écoeurant !
On nous charge 350 noirs, 4 ou 5 trains attendent derrière nous et on ne nous expédie qu’à 15 h [15]
15 h. Nous leur servons le dîner, ils nous avaleraient. Nous roulons avec eux jusqu’à minuit puis nous nous couchons.

19 avril :
6 h. On sert le petit - déjeuner, nous allons vers Amiens … Nos nègres crient, ils ont faim, ils ont soif, les pansements saignent…. Ils sont chargés depuis 36 heures !
20 h. déchargement.
21 h. Nous pouvons enfin dîner. Nous sommes vraiment bien fatiguées, mais contentes d’être utiles.

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Evacuation d’un infectieux
Fismes 1915 ?

20 avril :
8 h. Cette nuit, on nous a amenés à St Roch d’Amiens pour la désinfection. Il y en a besoin, ces nègres … c’est à tomber à la renverse… Nous nous sommes promenées cet après midi dans la ville qui est extrêmement gaie, très chic, et très anglaise.

Nous avons fait ce matin un repas tout à fait extraordinaire : du mouton et des pommes de terre frites. Il y avait 3 semaines que nous n’avions mangé que du bœuf et des haricots à tous les repas.
Nous ne buvons jamais que de l’eau, et pourtant en ce moment où nous travaillons intensément, j’éprouve un étrange besoin de boire du vin ! C’est plutôt curieux. Nous avons touché du vilain « pinard » de l’intendance et je le trouve exquis.

21 h. Il paraît que nous partons pour Pantin…On sait quand on part, mais on se demande toujours quand on arrivera ; avec l’imprévu des trains sanitaires. J’aime pourtant cette vie « de bord » si je puis ainsi dire ; le plus pénible, en ce moment, c’est d’être totalement privé de lettres et de linge, on est obligé de faire en roulant de petites lessives très peu agréables.

Je vais maintenant prendre l’habitude de me coucher en plein jour complètement dès que je le pourrai, ne serais-ce que pour une heure. Nous sommes presque toujours debout la nuit en évacuation.

21 avril :
… Pantin. Maman part pour Paris. Je suis assaillie de visites. Je déjeune seule.
14.30 : nous partons pour Courlandon à 15 h... 49 voitures… Maman n’arrive pas… Maman arrive, elle me dit que Louis est à Paris, qu’elle lui a fait dire de venir. Aura-t-il le temps d’arriver ?

22 avril :
Dimanche 6h. Aller-retour à Courlandon en pleine canonnade…
Nous avons été à la messe : église à moitié détruite, pleine, débordante de poilus des tranchées qui chantent à pleine voix le Credo. On sent le danger proche. Là seulement il me semble est la vraie égalité.
La cérémonie est poignante, Maman pleure… Le canon a presque cessé, les avions ennemis sont rentrés chez eux. On dirait que tous respectent cette après-midi de dimanche. Seules 33 « saucisses » ( ce sont des ballons dirigeables d’observation) sont en l’air.

16 h. Nous allons charger. Courlandon est un peu organisé depuis mardi. Les 4000 blessés de l’attaque s’écoulent lentement, trop lentement. Combien de temps vont exister ces énormes ambulances ? Pouilly, Montigny, Boulense, Courlandon ? Ce sont de merveilleuses cibles, et, si elles existent encore, c’est que les Boches l’ont bien voulu [16].

Gaby poursuit :
Oh les sales gens ( ?)… on m’a remporté 3 morts tout à l‘heure sur des brancards. Pourquoi n’était-ce pas les trois derniers de cette race sanguinaire [17] ? C’est horrible la guerre ! Ceux de l’intérieur ne peuvent pas comprendre bien ce que c’est. Ils ne peuvent pas deviner l’étrange attrait qui nous retient ici, et pourquoi nous éprouvons toujours le besoin de faire plus et mieux…. De donner plus de nous - mêmes.

Sans transition Gaby note :
17 h. On vient de fusiller le chef de gare et le Maire de Fismes qui faisaient des signaux à l’ennemi. Il y a bien longtemps que je disais que ce gros-là avait une tête de Boche… Selon Éric Perrin, cela n’a rien d’exceptionnel « la région champenoise est infestée d’espions et de pro-boches… Quant aux espions, on en fusillait tous les jours… » [18].

Le 11 mai, ayant appris que Gaby allait mieux ; le secrétaire général de l’œuvre lui demande de reprendre son service …

Une interruption du texte ci-dessus, puis :
6 juin : Nous sommes restés en service jusqu’à maintenant, et nous avons clôturé par une évacuation de 72 heures de voyage. Déchargement à Poitiers - Niort et Saint Maixent.
Nous avons avec nous une jeune collègue en apprentissage qui ne pensait qu’à dormir et à se laver. À notre dernier chargement à St Gilles, le dépôt de munitions a sauté aussitôt après notre passage, et le train qui nous suivait a été très abimé.

Fin du carnet noir.

Le 1er juin, les troupes du Kronprinz reprennent leurs attaques avec pour objectif le Fort de Vaux. Le 7 juin, c’est la chute du fort de Vaux.

Juin : Muizon sur Vesle .

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Le brassard de Gaby
1er juillet 1916 : début de la nouvelle bataille de la Somme. Du 15 juillet au 20 septembre, les affrontements sont d’une exceptionnelle violence et le nombre de blessés est affolant. L’aviation commence à jouer un rôle significatif. Des combats spectaculaires opposent As allemands et français.

Gaby aurait, vers cette période, amorcé une idylle avec le pilote Jean Guynemer (mort en 1917 à 23 ans). Toujours est-il qu’elle adore voler !

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En avion

La guerre apporte son lot quotidien d’horreurs. Evocation d’un train de blessés :
« Ces hommes, maintenant souillés couverts de poussière et de sang, vêtus d’uniformes en loques, troués par les balles ou coupés pour les pansements, gémissaient ou se plaignaient douloureusement… Les portes de tous les fourgons étaient ouvertes ; quant on s’en approchait, une odeur âcre de sang, de transpiration et de fièvre nous prenait à la gorge »

6 août : Ordre de service : Gaby et Lucie sont autorisées à partir le 1er septembre de Château- Thierry pour Paris (en 1re classe !).

Gaby, outre ses "notes de terrain", élabore des projets de nouvelles inspirées de sa vie quotidienne d’infirmière de guerre.

Septembre : Détachée à l’Ambulance 16/1 (5° Armée) pour l’attaque prévue (note GM).

24 octobre  : reprise du fort de Douaumont. C’est la reconquête. La gloire pour l’armée française. 2 novembre : Reprise du fort de Vaux.

Une note volante, très postérieure aux évènements, donne les précisions suivantes :
Hiver 1916  : Je vais rejoindre Maman à Fismes dans un wagon de la presse. Très forts bombardements sur Reims, les évacuations de blessés sont incessantes, on les voit monter au front un jour et redescendre le lendemain avec les membres arrachés. On fait les pansements à la va-vite (il y a tant à faire), plus de charpie (mais oui), plus de bandes, plus d’anesthésiques, plus de désinfectants.

Les nouvelles sont rares, on parle toujours de la même petite colline, du même petit bout de terrain qui chaque jour pris ou perdu par les Français ou les Allemands (plus les Boches, le temps a passé) change de physionomie tous les jours, bombardé, creusé, retourné par l’artillerie lourde qui, de loin, vise ce point (peut-être stratégique, mais peut-être inutile) où tant de malheureux ont trouvé la mort sans trop savoir pourquoi (le ton n’est plus le même qu’à chaud !).

Quelquefois, les communiqués parlaient de l’endroit même où nous nous trouvions et nous n’en savions pas le nom, ne le situant même pas !
Le radio, qu’on appelait alors TSF, marchait bien mal et parfois on entendait parler comme d’une chose se déroulant en ce moment d’évènements passés il y avait plusieurs jours. C’est ainsi que dans l’hiver glacial de ces marécages rémois, nous avons appris sans beaucoup de soucis, mais avec beaucoup de retard, l’assassinat de Raspoutine !

16 décembre 1916 : Fin de la bataille de Verdun.
Falkenhayn, ayant échoué, est remplacé par Hindenburg.
27 Décembre : Joffre ayant démissionné, est fait Maréchal de France.

« Ainsi s’achève l’une des plus grandes boucherie de tous les temps. Les soldats ont combattu pendant 10 mois dans des conditions épouvantables. Au total, le 31 décembre 1916, après les offensives françaises d’octobre et de décembre, Verdun a coûté à l’armée française environ 216.000 blessés et 163.000 tués [19]
30 millions d’obus allemands et 23 millions d’obus français de tous calibres sont tombés sur quelques dizaines de kilomètres carrés. Chaque jour du côté français, une moyenne de 100 000 projectiles labouraient le champ de bataille ; les jours d’attaque, ce chiffre était doublé [20].

Cette bataille franco-allemande, où furent engagées d’importantes forces coloniales, a été en définitive non seulement une bataille de France importante, mais bien la bataille de la France puisque près des 3/4 de l’armée française ont combattu à Verdun. De ce fait, elle est devenue d’emblée, dans la conscience nationale, le symbole de la Grande Guerre qu’elle résume et dont elle marque à la fois le sommet et le tournant.
Elle a eu également des effets importants sur la suite du conflit. En effet, cet insuccès a conduit l’état-major allemand à mener une guerre sous-marine qui eut pour conséquence directe l’entrée en guerre des Etats-Unis. »

[1Maufrais, 136, 155.

[2Mottier, Georgette, "L’ambulance du docteur Alexis Carrel, 1914-1918", Lausanne, La Source, 1977, page 64

[3Via- Décor, 1913.

[4Ce lycée parisien est alors transformé en hôpital.

[5Il y a une Ambulance chirurgicale à Jonchery. Louis Maufrais y travailla à la même période que Gaby, voir ’J’étais médecin dans les tranchées" op.cit. p.155.

[6Je possède toujours les morceaux en question !

[7Petit hôpital de campagne

[8Paris-Lyon-Méditerranée : l’une des compagnies du réseau français de chemin de fer

[9Un véritable carnet de commandes !

[10Maufrais, 151

[11A l’époque, le 7e arrondissement à Lyon n’existe pas encore. Il sera crée en 1912.

[12Gabriel Mézergue était un collectionneur passionné

[13village dans la Marne

[14Quel souci constant de la mise en scène de soi-même

[15À en croire l’historien John Horne, il s’agit vraisemblablement des héroïques tirailleurs sénégalais qui défendaient Reims

[16Le Chemin des Dames se situe une vingtaine de km plus au nord

[17Selon l’historien John Horne, les exactions allemandes dans le Nord-Est et en Belgique ont effectivement été terribles. Plusieurs milliers de civils exécutés, des villages rasés

[18Un toubib sous l’uniforme, p. 268

[19Environ 140.000 soldats tués pour l’armée allemande.

[20Lors de l’offensive du 24 octobre 1916, l’artillerie française a tiré 240.000 projectiles

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