Je ne suis rendu très récemment, pour des raisons complètement indépendantes de ma passion pour la généalogie ou pour l’histoire locale, au Domaine de La Fougeraie.
- Le château de La Fougeraie – © Crédit Photo : Thérèse BAILLEUL 2017
Le Domaine de la Fougeraie est situé sur la commune de Saint-Paterne-Racan (37) sur la route départementale 54, aux confins de la Sarthe, du Maine-et-Loire et de l’Indre-et-Loire, « au Pays de Racan ». J’ai eu l’occasion d’y rencontrer et de discuter avec un propriétaire fort sympathique, en la personne de Bruno ROUSSELET, châtelain paysan et cuisinier, tel qu’il se définit lui-même. Il a acheté et il gère ce domaine depuis plus de 20 ans en y proposant d’y accueillir toutes vos réceptions [1].
Aussitôt rentré à la maison, l’envie de connaître mieux l’histoire de ce lieu m’a lancé dans quelques recherches…
D’après le recensement de 1901 disponible en ligne [2] , 1800 habitants peuplent Saint-Paterne-Racan cette année-là, répartis en 570 ménages. La Fougeraie est alors la propriété de Madame Marthe DE SARCÉ, veuve LE MORE.
Elle y vit avec ses fils, sa bru, son petit fils et 5 « domestiques ». Un couple de métayer est en charge de la partie agricole du domaine.
- Archives Départementales d’Indre-et-Loire - FRAD37_6NUM5/232/014 vue 39/62.
Cherchant à illustrer mes recherches par une image d’époque, je suis tombé très rapidement sur une carte postale représentant le « château la Fougeraie » d’où, dans ce qui semble être un "SMS" de l’époque, au mois d’août 1904, « Gustave » écrit à Henri BION au Château de la Godelinière « par Bessé-sur-Braye » dans la Sarthe à environ 50 km
Le début de l’enquête
Amitiés à Léontine ainsi qu’à vous je vous sers la main.
Gustave
- Ininéraire entre La Fougeraie ( 37 Saint-Paterne-Racan) et la Godelinière ( 41 Bonneveau )
Rien ne nous permet de penser que Gustave séjourne au château dont il envoie l’image plutôt que dans le village lui-même mais l’adresse du destinataire est par contre sans équivoque :
Henri habite le château de la Godelinière.
Voilà le point de départ de cette irrésistible envie de savoir qui sont Henri, Léontine et Gustave !
Bien que l’adresse postale écrite par Gustave soit « par Bessé-sur-Braye, Sarthe », une recherche rapide sur internet situe ce château sur la commune voisine de Bonneveau dans le département limitrophe du Loir-et-Cher.
Direction donc les Archives Départementales du Loir-et-Cher ou fort heureusement, les recensements de population sont disponibles en ligne.
Celui de 1906 va très vite confirmer ce début de piste !
© Archives Départementales du Loir-et-Cher – FRAD41_ 2 MILN R30 vue 156/143/
Émile MARQUET, filateur de coton, est « chef » et « patron » à la Grande Godelinière.
Il y vit avec sa femme Marthe CONTY et leurs 3 filles : Berthe, Suzanne et Élisabeth.
Parmi les domestiques employés par le foyer apparaissent :
6 BARTHAUD Marie
7 VINSOT Emilienne
Mais surtout en haut de la page de droite :
- © Archives Départementales du Loir-et-Cher – FRAD41_ 2 MILN R30 vue 156/143
8 BION Henri
9 BOUÉ Léontine
Nul doute que les « 8 » et « 9 » sont les destinataires de notre carte postale : nom de famille, prénoms, période et adresse correspondent.
Henri n’est donc pas le châtelain de la Godelinière mais le cocher de Monsieur MARQUET et Léontine est cuisinière…
Que nous dit l’état-civil ?...
L’an 1871, le cinq du mois de mars à quatre heures du soir, François PENISSAULT, fermier âgé de soixante-huit ans se présente à la mairie de Néons sur Creuse afin de déclarer la naissance de son petit-fils Henri Victor, né du légitime mariage de sa fille Marie, ménagère âgée de 26 ans et de Henri BION « présentement soldat à Oran (Afrique) ». [3].
Néons sur Creuse est une commune de l’Indre (36).
C’est dans la commune voisine d’Yzeure sur Creuse, mais elle située en Indre-et-Loire (37), qu’un peu plus de 5 ans plus tard et précisément le 30 mai 1876 naitra Léontine BOUÉ, fille légitime de François, cultivateur âgé de 35 ans et d’Augustine BACHELIER son épouse [4].
C’est dans cette même commune qu’Henri et Léontine s’uniront le 29 avril 1895 [5].
- © Archives Départementales d’Indre-et-Loire - Signatures de Léontine et d’Henri en bas de leur acte de mariage.
Le recensement de 1896 d’Yzeure sur Creuse n’indique aucune trace de la présence du couple sur cette commune, pas plus que celui de Néons sur Creuse pour la même année.
Le 23 septembre 1898, Marie Henriette Léontine BION nait à Yzeure sur Creuse. Son père Henri est déjà « cocher » et sa mère Léontine déjà « cuisinière » comme en 1906. Cet acte de naissance nous révèle qu’ils sont domiciliés à La Charte sur le Loir (72) [6].
Allons fouiller les archives militaires...
Henri Victor étant né en 1871, il est très certainement de la classe 1891.
La commune où il est né dépendant de la « 9éme région, subdivision du Blanc », une rapide inspection du « Répertoire alphabétique des hommes inscrits au registre matricule » correspondant nous confirme qu’il y est effectivement inscrit sous le matricule 998 [7].
Laissons de côté la vie militaire d’Henri, il a été dispensé par l’article 21 comme étant « fils unique de veuve » et voyons si sa fiche matricule [8] nous apporte quelques éléments complémentaires.
- © Archives Départementales de l’’Indre-et-Loire – Extrait de la Fiche matricule n°998 d’Henri Victor BION
(Blanc (Le) – 1891 : Matricules numéro 501-1000 - FRAD36_R2265 - vue 698/704)
Henri n’est pas très grand du haut de son mètre soixante-trois et ne présente apparemment pas de particularité physique avec son visage ovale, son front ordinaire, son nez moyen, son menton rond…
Sa fiche matricule nous renseigne par contre sur ses différents lieux de résidence :
- Henri déclare aux autorités le 13 août 1895 être en résidence à Marçon,
- puis le 16 février 1903 à Bonneveau (à la Godelinière) : ce qui nous renseigne sur son entrée au service de Monsieur MARQUET.
- Il n’y restera que très peu d’années puisqu’il réside à compter du 26 août 1907 au 64 boulevard de Courcelles à Paris.
- puis au 1 rue Récamier, toujours à Paris, le 26 mai 1909.
Marçon est une commune de la Sarthe(72) à mi-chemin entre nos 2 châteaux (que l’on peut apercevoir sur la carte présentée plus haut) et contiguë à La Chartre sur le Loir, commune ou Henri et Léontine sont domiciliés lors de la naissance de leur fille en 1898.
Malheureusement, les recensements de 1896 et de 1901 pour la commune de Marçon ne sont pas disponibles.
Grâce à la conservation de la collection communale, ceux de La Chartre le sont mais l’espoir est de courte durée puisque l’on n’y découvre aucune trace ni d’Henri ni de Léontine.
Et l’enquête s’arrête là...
Faute de données disponibles en ligne, je suis arrivé au bout de mon enquête sur cette carte postale, mis à part les quelques renseignements notés çà et là :
- Henri Victor BION décèdera à Yzeure sur Creuse (37) le 22 août 1949 [9].
- Léontine BOUÉ survivra à son mari plus de 25 ans et décèdera à Orsay (91) le 31 juillet 1975. [10].
- Leur fille, Marie Henriette Léontine, mariée le 6 août 1920 à Paris 7éme avec Raoul Germain ASSIÉ, est morte moins d’un an après sa mère, le 11 juin 1976, elle aussi à Orsay (91) [11].
Plein de questions restent bien entendu sans réponses mais voici la principale :
Qui est Gustave ?
Un très bon ami ? Un membre de la famille ? Un ancien collègue de travail ? …
En tout cas, quand on connaît les facilités de déplacement de l’époque, quelqu’un d’assez proche pour envoyer une carte postale dans le but de venir « dire bonjour » à Henri et son épouse lors de ses vacances à Saint-Paterne à plus de 50km de la Godelinière.
J’ai cherché…
Mais aucun des nombreux documents consultés, ni aucun indice probant, n’ont pu éclairer les lanternes de mon coche…