- Saint Prim Mairie Ecole
Denise écrit à « Madame Escomel » à Lyon : « Chère Madame,
Excusez mon retard. J’ai été très peinée d’apprendre que vous êtes de nouveau au lit. Vraiment vous n’avez pas de chance. Votre sœur a été très gentille de me répondre. Remerciez l’en bien ! J’espère que maintenant vous allez bien !
Chez moi tout va bien ! Malheureusement à St Prim il y a beaucoup de morts, neuf dans le mois de janvier et déjà quatre en février. C’est horrible.
Je vais toujours à l’école. Je termine en vous envoyant toutes mes amitiés et de gros baisers. Denise »
En haut de sa carte, juste à côté de « St Prim le (sans aucune date !) » elle écrit : « Voilà mon école ». Au recto, sur la photo de l’école, à droite, derrière l’arbre, à côté du préau, elle indique d’une croix : « ma classe » !
Sur cette carte de la « Mairie Ecole » de Saint Prim, le tampon d’oblitération des Roches de Condrieu est incomplet car le timbre a été enlevé. Est-il possible de dater cette carte ? Trois pistes s’ouvrent.
La première piste : retrouver qui est cette « Madame Escomel » et sa sœur.
Pour l’instant, notre seule indication est son adresse, Au moment de l’envoi de cette carte par Denise, « Madame Escomel » habite 22 rue du Bon Pasteur à Lyon 1er, sur les pentes de la Croix-Rousse.
Ne détaillons pas les étapes de notre recherche, ne présentant que son résultat final de façon compréhensible.
Grâce aux recensements de Lyon, nous la retrouvons effectivement au 22, rue du Bon Pasteur. Elle se prénomme Zoé, née en 1883 à « St Sornin ».
En 1921 [1] « ouvrière en soierie » chez Planche, elle vit seule à l’allée 11.
En 1926 [2],veuve, elle habite allée N° 8 avec ses deux enfants :
- 1926 au 22 rue du Bon Pasteur à Lyon
En 1931 [3], elle est « employée » à la « Sté Lyonnaise » et vit allée 6 avec ses deux enfants.
Escomel est son nom d’épouse. En cherchant dans l’état-civil, nous apprenons qu’elle est née Zoé Marie Eugénie Robert le 6 novembre 1883 à Saint Sernin, en Ardèche, vers Aubenas [4].
Zoé a épousé Paul Escomel le 16 mars 1907 à Lyon 3e. Né le 25 février 1881 à Anneyron, non loin de Saint Vallier (Drôme), il est « boulanger » et habite 38 quai Perrache à Lyon. Zoé est cuisinière et est domiciliée elle aussi 38 quai Perrache.
Sur la fiche matricule de Paul [5] sont notées ses différentes adresses :
- le 20 septembre 1906 : 38 quai Perrache, chez Curtil, à Lyon
- le 13 juin 1907 : 41 Grande rue à La Mulatière, près de Lyon
- le 17 juillet 1911 : 19 rue Neyret à Lyon
- le 2 août 1912 : 4 route de Grenoble à Bron.
Leurs deux enfants s’appellent Robert, né le 17 juillet 1910 au 42 Grande rue, à La Mulatière ; et Georges, né le 2 janvier 1912 au 19 rue Neyret à Lyon 2e.
Lors de ces deux naissances, leur père est « garçon boulanger ». En août 1912, il s’installe comme patron boulanger route de Grenoble à Bron. Deux ans plus tard, la guerre éclate.
Mobilisé dès août 1914 comme Chasseur au 14e Bataillon de Chasseurs Alpins de Grenoble ; Paul Escomel est « tué à l’ennemi » le 28 septembre 1914 au combat de Maucourt (Somme). Son acte de décès n’est rédigé que le 5 octobre 1914, à Rozières dans la Somme, par l’officier militaire profitant d’une accalmie des combats.
- 1915 Anneyron acte de décès de Paul Escomel
Cet acte n’est transcrit dans le registre des décès d’Anneyron que le 29 mars 1915…A signaler qu’il n’est fait aucune mention de son épouse Zoé !
« Mort pour la France » à l’âge de 33 ans, il est inhumé à la Nécropole de Maucourt, tombe 729 bis. Son nom est inscrit sur le Monument aux Morts de Bron et sur la plaque commémorative dans l’église Saint Denis de Bron.
Zoé est veuve avec ses deux jeunes enfants, 8 et 10 ans. Ils sont « adoptés par la Nation » le 17 janvier 1920 [6]
Le 17 septembre 1919 a lieu la « vente aux enchères publiques » du fonds de boulangerie exploité par son défunt mari [7]. La boulangerie est achetée par « Pierre Paul Catinon, boulanger, demeurant à Lyon, chemin des Pins N°28 » [8], né le 2 juin 1880 à Riotord en Haute-Loire .
Zoé doit donc déménager et trouver un travail. C’est alors qu’elle doit s’installer rue du Bon Pasteur.
Lorsqu’elle décède le 20 janvier 1945, elle est toujours domiciliée à cette adresse. Donc la carte postale de St Prim a pu être envoyée entre 1919 et 1945 !
Zoé a une sœur cadette, « Ermini Victoire », née le 20 avril 1886 à St Etienne de Fontbellon. En 1931, elle est couturière et habite à Bron, 118 route Nationale. C’est elle qui a dû répondre à Denise pendant la « première maladie » de sa sœur. Agée au minimum de 36 ans, au maximum de 62 ans lorsque reçoit cette carte ; Zoé doit être de santé fragile car elle est « de nouveau au lit ».
La deuxième piste : quelle est cette année avec 13 morts en 2 mois à St Prim ?
Dans les registres des décès à la mairie de Saint Prim (pour ces années récentes rien n’est en ligne !), je devrais facilement trouver quelle est cette « horrible année ».
Après avoir consulté les tables en fin de chaque année entre 1919 et 1929, puis de 1930 à 1952, je constate avec dépit qu’aucune table annuelle ne comporte autant de décès en si peu de temps ! Et même souvent, le nombre total des morts d’une année ne dépasse pas la dizaine. Par acquis de conscience, je vérifie les décès de 1898 à 1918 : rien non plus !
Je dois me rendre à l’évidence et me pose maintenant la question : est-ce bien de personnes dont parle Denise ? Peut-être que les décès à la maison de repos de la Providence installée depuis des années au village ne sont pas enregistrés dans les registres de la mairie ? Hypothèse farfelue…
La troisième piste : savoir qui est cette Denise « qui va toujours à l’école », une élève plus sûrement qu’une institutrice.
Les recensements de Saint Prim entre 1911 et 1936 devraient nous livrer la solution, en cherchant les filles prénommées Denise…
Rien avant 1931 où s’ouvre une piste sérieuse : au village est recensée la petite Denise Baeriswyl, née l’année précédente au foyer du cordonnier Fridolin Baeriswyl et de son épouse Thérèse. Son père est d’origine Suisse, né en 1891 ; sa mère est native de Saint Prim en 1891. Denise a un frère aîné, René, né à St Prim le 4 novembre 1925.
Au hameau de Glay, il y a bien aussi une Denise Bonora, née en 1928 à Rocquancourt (Calvados), fille d’Agostino Bonora et de Maria son épouse, tous deux natifs de Schiavon en Italie. Agostino est « manœuvre à la Compagnie Française de Produits Chimiques ». Ce ne peut pas être « notre » Denise : cette famille n’est plus recensée à Saint Prim en 1936.
"Denise Céline Alphonsine Baeriswyl" est née « au bourg » de Saint Prim le 1er juin 1930. Elle est la fille du cordonnier Fridolin « né à Corminboeuf (Suisse) » le 3 février 1891et de Marie Thérèse Joséphine Clamaron, née à Saint Prim le 23 mai 1891 , « lingère ». Ses parents se sont mariés à Saint Maurice l’Exil le 22 décembre 1922.
En 1936, Fridolin travaille comme ouvrier à la « Société Française de St Clair du Rhône ». Il meurt en 1949.
Pour être « toujours à l’école » comme elle l’écrit sur sa carte à Madame Escomel, Denise doit avoir une douzaine d’années. La carte serait donc écrite vers 1942.
Zoé aurait-elle été en convalescence à la Maison de Repos de Saint Prim, faisant ainsi la connaissance de la jeune Denise ? Sa mère, « lingère », s’occupait peut-être du linge des résidentes.
Fondée en 1843 par les Soeurs de La Providence, devenues par la suite les Soeurs du Christ, cet établissement fut d’abord une école, puis une maison de retraite. A partir de 1930, elle devient maison de repos, agréée par la Sécurité Sociale de l’époque, pour des femmes de 25 ans et plus. |
- Source : Delcampe
En haut à droite de la carte, vers le timbre manquant, il est écrit « Répondu ». Ce qui laisse supposer que Zoé Escomel ait répondu à Denise. Peut être qu’un jour cette réponse retrouvée permettra de nous éclairer.