Auguste, Jean-Baptiste, Arthur Tavel naît à Bourbonne-les-Bains (52) le 11 octobre 1867 dans le foyer de Hippolyte Tavel 39 ans, agent de police, et de Eugénie Rosalie Chapelle 33 ans.
Tout d’abord élève au petit séminaire de Langres, il est placé comme apprenti bijoutier pour apprendre un métier respectable. Mais il ne l’entend pas vraiment ainsi, puisque quelque temps après il s’enfuit à Bruxelles avec la caisse de son patron et… la domestique.
Il reviendra quelques mois plus tard en France pour effectuer son service national. Dépensier, criblé de dettes, il déserte et retourne à Bruxelles.
Pris de remords, ou par intérêt personnel, il rentre en France, est arrêté, et emprisonné à la citadelle de Besançon.
Une fois sa peine purgée il revient à Langres. Il semble se décider à rentrer dans le droit chemin et à oublier la gente féminine. Il entre alors chez les Dominicains, et part en Équateur où il est ordonné prêtre.
En 1903, après de multiples aventures dans différents pays d’Amérique du Sud, il rentre à Tonnerre où résident désormais ses parents. En tant que prêtre, il est bien accueilli par le clergé local, qui ne connaît pas son passé quelque peu sulfureux. Il se proclame alors vicaire apostolique. Mais sa manière fantaisiste de célébrer la messe et ses séjours prolongés dans les cabarets, où il laisse de nombreuses ardoises, ainsi que son comportement un peu trop familier avec les dames, contraignent l’archevêque de Sens à lui retirer tout pouvoir en mai 1904.
la formation d’associations cultuelles
Dans l’obligation de quitter Tonnerre à cause de ses trop nombreuses dettes, sa vie aventureuse continue : Surveillant dans un collège de Nîmes puis représentant de commerce, on le retrouve en Suisse à Immenses, puis Fribourg d’où il est contraint de s’enfuir.
Il n’ose rentrer chez ses parents qui, couverts de honte, ont quitté Tonnerre. Il décide de se réfugier chez un de ses cousins nommé Régnier, aubergiste à Amance (70), et y débarque le 15 mars 1907. Le dimanche 17 mars, il va à la messe et passe le restant de la journée… au cabaret.
Beau parleur, partisan de l’Église gallicane, il affirme bientôt devoir partir pour Paris où Villatte, prêtre vieux-catholique originaire de Suisse, lui réserve une place de professeur dans son séminaire.
Le maire de Contréglise, commune distante de quelques kilomètres, rencontre Tavel et lui propose de créer une association cultuelle ainsi que le permet la loi de 1905.
L’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 définit le principe applicable aux associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte. Le législateur n’ayant pas défini la notion de culte, des difficultés d’interprétation sont apparues. La circulaire du 31 août 1906 précise "L’objet des associations cultuelles comprend tout ce qui concerne l’achat, la location ou l’entretien des édifices du culte, le logement et la retraite des ministres du culte, le recrutement de ces derniers par l’entretien des séminaires, les frais des cérémonies liées au culte…". |
Il fallait alors trouver sept habitants de Contréglise pour pouvoir créer une telle association. Ils en trouvèrent une centaine en quelques jours.
Le samedi 29 mars le préfet du département de la Haute-Saône officialise l’association et nomme Tavel curé de Contréglise. Le lendemain, jour de Pâques, forts de l’autorisation préfectorale et de l’appui de la gendarmerie de Faverney, les responsables de l’association cultuelle font expulser le curé venu célébrer l’office pascal. Tavel prend alors officiellement sa place le 31 mars 1907.
Avec lui, a messe est souvent bâclée, l’hostie est remplacée par un croûton de pain. Au lieu du « Salve regina » on chante le « Domine salvas fac Republicam ». Il n’y a plus de vêpres et les leçons de catéchisme sont réduites à quelques minutes. Une seule messe est obligatoire : celle de Pâques. Le jeûne et l’abstinence sont supprimés. Comment pouvait-il en être autrement ? Tavel est très occupé au bistrot. Il en est le meilleur client. Il lorgne aussi les filles, en attendant mieux ! Insulté par les uns restés fidèles à l’Église Romaine, salué par les autres qu’il bénit en se servant de sa bouffarde en guise de goupillon, il répond aux injures par un sourire.
Au moment des communions, pour donner la confirmation, il fait venir un autre prêtre nommé Villatte, celui-ci se disant évêque vieux-catholique.
Se voyant trop peu soutenu par la population, et l’association cultuelle de Contréglise étant la seule institution de ce type officialisée dans le diocèse, il faut en créer d’autres. Tavel décide de prendre son bâton de pèlerin. Il faut aller au devant du peuple pour le convertir ? Qu’à cela ne tienne, Tavel prêche souvent dans les cabarets, à "La jolie blondinette" en particulier, là où le peuple se rend facilement !
Notre curé républicain s’autoproclame alors archevêque du diocèse de Contréglise et tente de rallier à son panache les maires "blocards" du secteur. Il trouve écho auprès de celui de Polaincourt qui, suite a des problèmes avec son curé résidant a réussi à le faire muter. La place est donc libre.
Polaincourt est provisoirement desservi par le curé de Senoncourt. Il va s’opposer, avec l’aide du curé de Buffignécourt, à la mainmise de Tavel. Le 18 mai, ils lui interdisent l’entrée de l’église et enlèvent les vases sacrés.
Le 26 mai Tavel et ses disciples reviennent dans l’église de Polaincourt ; mais les catholiques expulsent manu militari les apostats. On sonne le tocsin. Tavel s’enfuit laissant sa soutane à la sacristie. La population accourt, voulant le lyncher. Les catholiques des villages environnant arrivent en force. La soutane de Tavel est mise en pièces. Ses lambeaux sont accrochés au bout de bâtons que les catholiques rapportent en triomphe dans leur village. La gendarmerie est appelée, des contraventions sont dressées. Le préfet convoque alors le maire de Polaincourt et, bien qu’il soit favorable à la formation des associations cultuelles, commence perdre patience avec ce semeur de troubles qu’est Tavel.
Finalement l’archevêque de Besançon excommunie ce curé apostat qui quitte la commune en septembre 1907.
Vers le 15 septembre à Voray sur l’Ognon le maire fait appel à Tavel pour tenter de mettre en place dans son village une association cultuelle ; mais ce sera sans grand succès !
Quand le curé n’est plus en odeur de sainteté
Tavel revient le 20 octobre, mais les notes de boucherie, de vin, et d’épicerie l’attendent à son domicile. il s’enfuit alors, les gendarmes le recherchant activement. Il revient toutefois dans le secteur le 19 décembre puisqu’il doit célébrer un mariage à Contréglise deux jours plus tard. Les habitants d’une commune voisine de Contréglise, décident de se rendre à la rencontre de leur curé munis de fourches, de gourdins et de matraques, afin de le protéger des catholiques qui avaient décidé de lui interdire l’accès au village. À hauteur de la ferme de Trémoncourt, un groupe d’émeutiers réussit à encercler la voiture dans laquelle est Tavel. Un coup de feu éclate. Joseph Barberot, père de trois enfants et clerc chantre de Venisey s’écroule mortellement blessé.
Que s’est-il exactement passé ? Selon les catholiques traditionnels, il s’agit d’un assassinat. Se voyant coincé Tavel aurait passé un revolver au voiturier, Pernet. Celui ci aurait tiré d’abord en l’air. La menace se faisant plus pressante il braque alors son revolver sur les assaillants et Tavel lui crie « Tirez, mais tirez donc ». Le coup part. L’enquête de la gendarmerie conclura à un accident : « M. Maurice Pernet fut jeté à terre par M. Barberot. Les adversaires roulèrent sur le sol. Dans la rixe M. Barberot a été tué net par une balle tirée accidentellement ».
Sans se soucier de ce qui vient de se passer, Tavel et ses "fidèles" arrivent à Contréglise et commencent à faire ripaille afin de se préparer pour la noce.
Le préfet arrive sur les lieux de l’accident le 20 au matin. Tavel lui pose décidément trop de problèmes. Pour en finir, il signe un arrêté interdisant à Tavel de célébrer des cérémonies dans l’église. Le mariage civil a lieu, mais alors que le cortège se dirige vers l’église, la gendarmerie apporte l’arrêté préfectoral au maire. Le mariage religieux ne sera pas prononcé. Au même moment, on apprend la mort de Barberot. Les obsèques de la victime seront célébrées par le vicaire général du diocèse le mardi 22 en présence d’une nombreuse assistance et d’une quinzaine de gendarmes. Tavel a déjà disparu. Il a pris le train le matin même pour une destination inconnue. Quant au voiturier, poursuivi pour homicide par imprudence et port d’arme prohibé, il s’en tirera avec 150 F d’amende avec sursis. Un nouveau curé, catholique, sera nommé à Contréglise le 2 juillet 1908, et tout rentrera dans l’ordre.
Jamais plus personne ne reverra Tavel. Son acte de naissance ne comportant aucune mention marginale il est impossible de dire dans quelles conditions il a terminé sa vie d’errance.
Note : Si vous avez rencontré ce prêtre lors de vos recherches, et pouvez m’en dire plus sur sa destinée après 1908, n’hésitez pas.
Sources :
- Archives de Haute-Saône : presse de 1907.
- Crdp de l’académie de Besançon.