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Les mésaventures d’un curé et de sa cure au XVIIIe siècle. 1/2

1er épisode

Le vendredi 20 mars 2020, par Odette Vostal

Pendant plus de dix ans, la cure de Sailly a occupé le personnel de l’Intendance de Bourgogne. Un dossier conservé aux archives départementales de Saône et Loire [2] détaille le conflit qui opposa entre eux curé, paroissiens et adjudicataire des travaux de 1759 à 1773.

Printemps 1759

Messire Claude Emilian Larme prend possession de la cure de Sailly au printemps 1759, six mois environ après le décès de son prédécesseur, Messire Louis Dumolin.

Cet homme de 45 ans [3], appartenant à une famille de petits robins de Cluny, mais dont le père est mort relativement jeune, a toutes raisons de se réjouir. Il quitte Fleurie où il était vicaire pour une paroisse dont il devient titulaire, voisine de celle de Saint Martin de Salencey où son frère aîné exerce déjà son ministère.

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Sailly sur la carte de Cassini

En 1699 Sailly était ainsi décrit :
« En plat pays entre deux montagnes à deux lieues de Cluny. L’étendue du finage est d’environ un quart de lieu de longueur et la moitié autant de largeur. La rivière de Guye y passe et ne peut être navigable. Il n’y a aucun pont mais seulement quelques planches. C’est un pays de bruyère et de fougère qui ne se cultive la plupart que de trois en trois ans. Le terroir est de seigle, légumes et vignes. il y a des prés en médiocre quantité et de bonne qualité. Il y a des bois d’haute futaie. »

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Vue générale de Sailly
Photo Odette Vostal

En 1790 la population sera estimée à 312 habitants [4] Elle se disperse entre quatre ou cinq hameaux, relevant du bailliage de Mâcon, sauf quelques maisons de celui de Chalon.

Quand Messire Larme entre dans la cour de sa nouvelle demeure, il découvre une maison composée d’un rez de chaussée auquel on accède par quatre marches de pierre et surmonté d’un grenier. À sa gauche une grange pour ses récoltes et une écurie pour sa monture sous un même toit. Il dispose encore au nord d’un petit tinalier pour son vin, et au sud d’un jardin.

Le presbytère a été refait à neuf en 1745 suite à un incendie, mais en 1759 Claude Emilian Larme estime sa future demeure inhabitable : murs lézardés, toiture crevée, planchers effondrés. Des réparations s’imposent.
Un édit royal de 1695 enjoint aux habitants des paroisses « d’entretenir et réparer les nefs des églises et la clôture des cimetières et de fournir aux curés un logement convenable. » [5] sans autre précision.

Sans tarder, Monsieur Larme fait venir un maçon. Il lui en coûte soixante dix huit livres deux sols (qu’il ne paiera qu’en 1767 !) pour des travaux de couverture et de carrelage en mai et juin [6] et, dans la foulée, il fait convoquer une assemblée des habitants par les deux syndics de la communauté.
Le dimanche 13 mai 1759, celle-ci les charge de demander un devis de réparations à l’autorité de tutelle de la communauté, l’Intendance de Bourgogne, comme le veut le même édit. [7]

Cette requête est reçue par le subdélégué de l’intendance à Cluny, responsable des adjudications de travaux des communes et le 23 mai 1759 une ordonnance de l’Intendant Dufour de Villeneuve se prononce dans le sens voulu.

Pendant l’été, Monsieur Larme qui dispose d’un peu plus de loisirs que ses paroissiens, insiste auprès du subdélégué. Démarches couronnées de succès : un architecte de Cluny, maitre Joseph Maréchal, expert assermenté, est missionné pour faire la visite des lieux [8].

Arrivé la veille, il y passe la journée du 27 août, s’en retourne le lendemain, consacre encore deux jours à la rédaction du devis qu’il remet le 1er septembre à Monsieur Jean-Baptiste Rhéty, subdélégué de Cluny, qui lui accorde 30 livres pour ses 5 journées. Précision importante, il estime que la cure est irréparable, qu’il faut la démolir et la reconstruire [9].

Jusque là, l’affaire n’a pas traîné. Elle se poursuit à un rythme normal pour les bureaux d’une administration sise à Dijon à environ 30 lieues de Cluny, compte tenu des conditions de transport de l’époque : ordonnance pour communication du devis aux parties concernées, ordonnance pour adjudication des travaux, et le 8 novembre 1760, soit un peu plus d’un an et demi après la première requête, le subdélégué fait procéder en son hôtel de Cluny à la « délivrance au rabais des réparations du presbytère de Sailly [10] ».

On est en début d’après midi (heure de deux et demie de relevé). Sont présents Claude Emilien Larme, Pierre Montaigu et Jean Carette l’aîné, les deux syndics de Sailly.
Les candidats ne se sont pas précipités pour concourir aux enchères. Bien que des annonces en aient été faites dans les églises des paroisses proches de Sailly, ils ne sont que trois, trois artisans de Cluny.

Le premier qui se présente s’appelle Louis Colas. C’est un jeune couvreur de 29 ans qui fait une offre à 2000 livres, rabattant ainsi de 788 livres sur le devis de 2788 livres de Joseph Maréchal (qui prévoyait toutefois que 760 livres pouvaient être récupérées en utilisant les vieux matériaux de démolition).

Le deuxième, Emmanuel Philibert, et le troisième, Benoit Desplaces, tous deux entrepreneurs et maitres charpentiers déclarent que « l’enchère de Colas étant trop modique eu égard à l’éloignement de la rivière où on peut prendre le sable », ils ne peuvent « rien diminuer ».

Les trois bougies traditionnelles sont allumées et s’éteignent successivement sans autre enchère. Les ouvrages sont donc attribués à Louis Colas, qui prend pour caution son beau père, Jean Pérousset, maitre jardinier, et pour associé Pierre Nicollet, un tailleur de pierres de 27 ans, qui signe l’acte, contrairement à Louis Colas.

Compte tenu de la suite des évènements, je me pose des questions au sujet de ces enchères :
Ou bien Philibert et Desplaces se sont entendus à l’avance (c’est souvent le cas) pour laisser l’affaire à Louis Colas, ou bien, à la différence de celui-ci qui ne sait signer le PV, ils ont étudié attentivement le devis et le plan, ont vu qu’il y avait un os, et laissé Colas se lancer imprudemment dans l’aventure ?
A priori c’est la première réponse qui s’impose : tous trois vivent dans la même paroisse de Saint-Mayeul et des liens de parrainage existent entre leurs familles : Marie Prudon, l’épouse d’Emanuel Philibert sera marraine de deux enfants de Pierre Nicollet [11], la veuve de Benoit Desplaces sera marraine d’une fille de Louis Colas.

On approche de l’hiver. Monsieur Larme va devoir se résigner à passer la mauvaise saison dans sa cure en l’état, car le mauvais état des routes exclut tout chantier avant le printemps, mais avec l’espoir de réceptionner des locaux flambants neufs à la Noël 1761, puisque Louis Colas s’est engagé à livrer les travaux à cette date. Son contrat prévoit qu’il soit payé en trois tiers : lorsque les matériaux seront sur place, à la moitié du travail et à la délivrance et reconnaissance des travaux.

En attendant, il s’installe, achète une chenevière ici, une terre là, signe avec Jean Galland le grangeage des terres de la cure et avec Jean Carette l’aîné le bail des dîmes de Sailly.

Printemps 1762

Si vous imaginez Monsieur Larme installé confortablement dans le presbytère de ses rêves, vous vous trompez : la cure est restée en l’état, les travaux n’ont même pas commencé ! Que s’est il passé ?

Pour le comprendre, le mieux est de se rendre à l’assemblée qui se tient le dimanche 23 mai 1762 [12]à Sailly en présence des parties en cause, suite à une ordonnance de Monseigneur l’intendant de Bourgogne, Dufour de Villeneuve, du 8 mai [13]précédent :
Il a en effet ordonné à Monsieur Réthy, son subdélégué à Cluny non seulement de la convoquer mais encore de se déplacer à Sailly pour la présider.

Sont convoqués Monsieur Larme curé de Sailly, Louis Colas l’adjudicataire, deux représentants des propriétaires forains (qui possèdent des fonds à Sailly mais n’y résident pas) et tous les habitants inscrits au rôle de taille de Sailly, à peine d’une amende de trois livres s’ils n’y paraissent.

La chose est donc sérieuse.
La messe est terminée. La cloche sonne pour convoquer l’assemblée, tout le monde prend place dans le cimetière de Sailly (je ne vois pas d’autre possibilité, car encore aujourd’hui pour arriver à l’église il faut traverser le cimetière). Mais peut-être pleut-il ce jour là, auquel cas on sera mieux dans l’église.

Monsieur Rhéty prend la parole avec la solennité et l’autorité qu’on attend de lui. C’est d’ailleurs sa haute écriture anguleuse qu’on peut lire sur la première partie du procès verbal dans laquelle il fait savoir que cette assemblée a été convoquée « aux fins de prendre par lesdits habitants une délibération sur ce qui leur sera par nous proposé ». Il passe ensuite la plume à son greffier (le changement d’écriture est net) qui écrit au fur et à mesure les noms de ceux qui passent devant son écritoire (quelle chance pour les généalogistes !). Quand les 66 présents ont été inscrits (deux absents) tous écoutent la lecture « à haute et intelligible voix » de la délibération du 13 mai 1759, de celle du 11 mars 1762, et de l’ordonnance du 8 mai 1762.

La présente délibération devra porter sur tous les faits contestés : pourquoi certains habitants de Sailly ont-ils fait le 11 mars 1762 une délibération hostile à celle du 13 mai 1759 ?
Quelle raison a Louis Colas de vouloir se soustraire à son adjudication ? Qu’il s’explique et présente plan et devis. La délibération peut alors commencer.

Les onze premiers intervenants (leur nom est indiqué) se contentent de reconnaitre qu’il y a bien eu une délibération initiale du 13 mai 1759 qui confiait la requête d’un devis de réparations de la cure à deux procureurs spéciaux, les syndics de la communauté, Montaigu et Carrette et à Monsieur Larme, le curé. Ils précisent qu’ « au surplus, ils pensaient qu’il ne s’agissait que de réparations. »

Et c’est bien là le problème. Ce qui change la donne, c’est qu’on est parti sur des réparations et que le devis parle de détruire et de reconstruire ! Et d’un coût de 2 000 livres !

Douze personnes, elles aussi nommément désignées, se présentent à leur tour derrière leur porte-parole, le notaire Etienne Chevalier. Ils font partie des seize qui deux mois plus tôt, le jeudi 11 mars 1762 [14], dans une nouvelle assemblée, ont rédigé une nouvelle requête pour réclamer une nouvelle visite qui montrerait que la cure est en très bon état, à quelques petites réparations près, qui ne monteraient pas à plus de 600 livres.

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Délibération du 23 mai 1762
Les signatures à la fin du document.
Ce groupe s’est réuni à l’insu du curé et des syndics, chez le garde du château du comte de Fautrières, seigneur de Sailly, sans doute à l’initiative et en présence de ce dernier, qui n’a toutefois pas estimé devoir se déplacer ce dimanche 23 mai.

Ils répètent qu’en « faisant des réparations la cure pouvait durer longtemps sans nouvelle construction ; à laquelle demande tous les habitants cy présents ont adhéré ».

Devant cette unanimité, monsieur Larme monte au créneau pour défendre le devis initial. Il le fait méthodiquement en reprenant les articles de la délibération du 11 mars pour en démontrer la fausseté.Etienne Chevalier se lève à son tour pour tout aussi méthodiquement en assurer la véracité.

Né dans une famille de tanneurs et gantiers de Cluny, 43 ans [15], installé à Sailly depuis très peu de temps, il y tient déjà bien sa place. Il semble avoir déjà provoqué la méfiance de l’intendant de Bourgogne, qui, dans l’ordonnance de convocation de cette assemblée, lui interdit de « s’immiscer dans les affaires de la communauté »

Nous assistons donc à un duel entre deux individus de même niveau social, maniant l’argumentaire aussi bien l’un que l’autre. Si le ton du curé est toujours mesuré, celui du notaire surprend parfois par son insolence.

Ce tableau pour fixer ce qui les oppose :

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Ce qui les oppose...

* les locataires ne sont pas soumis à cet impôt extraordinaire

Comme on le voit, chacun reste sur sa position.
C’est alors au tour de Louis Colas de s’expliquer :

Si, dès le 16 février 1761, il a déclaré se soustraire à son adjudication, c’est parce qu’il a découvert une contradiction entre le devis et le plan de l’expert. L’expert s’est trompé. Ses erreurs rendent impossible l’exécution du devis au prix souscrit par lui de 2000 livres sans entrainer sa ruine et celle de son associé. On lui rétorque qu’il avait pourtant eu connaissance de l’un et de l’autre au moment de l’adjudication où il en a été fait lecture trois fois, à haute et intelligible voix. Colas n’en persiste pas moins dans son refus d’engager les travaux sans une nouvelle expertise.

On voit qu’à ce stade les intérêts de l’entrepreneur récalcitrant et ceux des habitants qui estiment que l’expert a outrepassé ses instructions convergent dans cette demande d’une nouvelle expertise, mais parce qu’ils en attendent des résultats différents :

  • Les habitants : une simple reconstruction, bien moins onéreuse. Sans compter que tout ce qui peut retarder les travaux retarde d’autant le douloureux moment de payer.
  • Colas : une correction des erreurs de l’expert et la réévaluation du devis.

Pour Monsieur Larme, il n’en est pas question, il faut s’en tenir au devis et enfin commencer les travaux de reconstruction de sa cure. Il peut compter sur l’appui des deux représentants des propriétaires forins (des hommes de loi) qui déclarent que puisque ce qui a été fait et décidé l’a été selon les règles, ils n’ont pas d’autre observation à faire.

L’intendant Dufour de Villeneuve donne satisfaction à Monsieur Larme par une ordonnance du 7 août 1762 [16]qui enjoint aux adjudicataires de « rendre dans un mois les ouvrages dont il s’agit faits et parfaits. » Et si sous huitaine après signification de cette ordonnance, il n’a pas mis sur place les matériaux et les ouvriers nécessaires « il sera procédé à l’adjudication des ouvrages à leur folle enchère et à leurs frais pour le procès verbal d’adjudication ».

Il n’y aura donc pas de nouvelle expertise. Vous croyez l’affaire terminée ?

A suivre…


[1Sous la cote C 233

[2Sous la cote C 233

[3AD 71 BMS Bray 1649-1758 vue 97.

[4ROLAND BOURQUIN, limites administratives et religieuses en Saône et Loire au XVIII ème et XIXe siècles, p. 162.

[5PIERRE GOUHIER, la maison presbytérale en Normandie, in Le bâtiment, enquête d’histoire économique 14e-19e siècles, tome 1 p. 132.

[6AD 71 3E 2487 25/11/1767 paiement pour travaux à François Rigaud, maçon de Saint-Marcelin.

[7N’ayant pu retrouver cette délibération, je ne sais si elle n’a rassemblé que quelques individus, comme il sera affirmé plus tard ou la totalité des chefs de famille.

[8AD 71 C 233/17

[9AD 71 C 233 Devis des réparations 25/8/1759.

[10AD 71 C 233/14.

[11Son beau-frère, est Pierre-Paul Prudon, le futur peintre, né en 1758.

[12AD 71 C 233/35.

[13AD 71 C233/17

[14AD 71 3E 2486 : délibération des habitants de Sailly contenant procuration pour Etienne Chevalier contre Claude Emilian Larme.

[15AD 71 BMS CLUNY NOTRE DAME 1702-1726 vue 192.

[16AD 71 C23 p.6.

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