Ce matin-là, 6 fructidor an X [1], je m’étais aventuré au cœur des Bois noirs, dans la Montagne bourbonnaise et j’arrivais à Ferrières, chez les Pions, rudes gaillards … et gaillardes !
Devant le citoyen-maire Gonnard, s’unissaient par le mariage : Etienne Vallard (le Jeune !) avec Anne - - - ?
« … ont comparus … Etienne Vallard né le dix sept janvier mil sept cent quatre vingt un fils a Matthieu et a deffunte Marie Ratier, tous propriétaire habitant au village Pion . . . et Anne fille naturelle de deffunte Françoise Fradin né le neuf septembre 1777 . . . ».
La nature avait décidé de se mettre en travers de mon chemin en dissimulant l’identité du papa de la future !
Le secrétaire de mairie chargé d’établir la table décennale des mariages confirmait lui aussi (naturellement), la filiation anonyme :
« Valard Etienne – Anne - - - - 6 fructidor an 10 »
Toutefois une brèche était ouverte dans la barricade du silence : la date de naissance d’Anne.
Hélas, il fallut d’abord déchanter, le lieu n’était pas précisé et . . . ce n’était pas Ferrières.
Il faudra donc contourner l’obstacle et explorer les communes voisines.
C’est mon expérimenté cousin qui, le premier, mit l’œil sur l’acte recherché.
« Anne XXX » avait été baptisée à Laprugne, village voisin..
Maigres indices : la localité mais aussi les parrain-marraine, Claude Goutorbe/Anne Moussière, seraient-ils liés au père ?
S’en suivirent de longues, filandreuses et vaines recherches en milieux post-révolutionnaires.
L’obstination finit par gagner !
J’en témoigne : la chance peut sourire à ceux qui la tentent.
Premier sourire éclatant à l’attention de mon dit cousin. Il découvre au Mayet de Montagne, le 20 thermidor an VII [2], un acte de mariage « prêt à l’emploi », entièrement rédigé à l’évidence quelques jours avant la cérémonie . . . Anne a retrouvé un papa !
« . . . sont comparus . . . pour contracter mariage :
d’une part Claude Picarles . . .
d’autre part Anne Goutorbe . . . fille naturelle a Jean Goutorbe et a Françoise Fradin, sa mère. . . » .
Toutefois, évènement rarissime, l’acte est énergiquement barré de deux croix et a reçu en marge la mention « nul » ainsi qu’un post-scriptum :
« Le mariage n’a pas eu lieu en conséquence l’acte devient nul et comme non fait ».
- 2 Mi EC144 3 - BMS 1771-1792 - Le Mayet-de-Montagne - vue 550/645.
- 2 Mi EC144 3 - BMS 1771-1792 - Le Mayet-de-Montagne - vue 550/645.
Pauvre Anne, puisque c’est bien elle la malheureuse héroïne de ce rebondissement dramatique !
Ma sympathie attristée se porte également vers Claude, futur à jamais, sans doute tout aussi désemparé.
Pour les descendants d’Anne, une lumière s’allume quant à sa filiation du côté des Goutorbe : Jean le père et Claude peut-être un tonton ?
Dans le même temps, deux nouvelles énigmes surgissent qui sont à éclaircir : quel(s) événement(s) a (ont) pu provoquer l’annulation du mariage ? Comment comprendre que le nom du père soit ignoré trois ans plus tard comme on l’a vu, lors du mariage avec Étienne, à Ferrières ?
Mes recherches dans l’intérêt des familles vont donc reprendre, plus opiniâtres que jamais et . . . tout aussi décevantes.
A quatre lieues à la ronde, je rencontre 2, puis 5, 10, 12 Jean Goutorbe en âge de procréer !
Tous récusent la paternité.
C’est alors que la chance magnanime va se manifester à nouveau.
En tamisant une fois de plus le terreau de Laprugne, la pépite va surgir !
Au beau milieu du registre des naissances, le 26 prairial de l’an X [3] se cache l’improbable acte de reconnaissance et adoption d’Anne Goutorbe !
… Jean Goutorbe agé de quarante cinq ans [domicilié au lieu Gamet commune de St
Priest . . . departement de Loire, renvoi approuvé] lequel
a déclaré adopter pour son enfant et pour jouir des droits
qui sont ou seront en pareil cas reglés par la loi la
personne de Anne XXX fille de Françoise Fradin la ditte
Anne XXX fille naturelle et reconnue par la ditte Françoise
Fradin sa maire ainsi qu’il est prouvé par son acte de naissance
la ditte Anne XXX n’ayant pas de père connu le dit Jean
Goutorbe declare qu’elle est vraiment sa fille naturelle
et l’avoir eu de Françoise Fradin quoi que non mariés
et vouloir lui faire porter le nom de Anne Goutorbe
la ditte Anne Goutorbe adoptée accepte l’adoption à
elle faite par le dit Jean Goutorbe quelle reconnais pour
son père naturel.
- Registre 2 MI EC136 3 Laprugne-N (1801-1822) vue 209/595.
La voie est libre, je peux poursuivre mon chemin vers Saint-Priest où je vais faire connaissance de mes Goutorbe !
Deux hypothèses peuvent être avancées pour résoudre les énigmes collatérales :
- Anne déclarée sans père connu lors de son mariage le 24 août 1802 ?
L’acte d’adoption et reconnaissance rédigé le 13 juin à Laprugne n’aurait pas été porté officiellement à la connaissance du maire de Ferrières dans les délais nécessaires pour la publication du mariage.
- Annulation in extremis du mariage avec Claude Picarles en 1799 au Mayet ?
Si le lien de paternité n’était pas encore officiel, il était probablement connu ou révélé à l’annonce du mariage. Or en faisant connaissance avec mes nouveaux cousins, j’ai découvert que Claude Picarles et Anne Goutorbe avaient les mêmes arrière-grands-parents. Cette consanguinité au 3e degré pourrait expliquer l’annulation.
La vie a poursuivi son cours :
Jean Goutorbe est mort célibataire, à Saint-Priest, âgé de 72 ans.
Françoise, la maman, s’était finalement mariée en 1794 au Mayet, à 41 ans. Elle est morte l’année suivante . . .
Anne a mis au monde six petits Vallard. Elle est morte à 37 ans, laissant un nourrisson qui ne survivra pas.
Étienne se remariera 4 ans après, en 1819. Il aura cinq héritiers de plus et mourra, chez Pion, à 67 ans.
Quant à Claude Picarles il a trouvé consolation et convolé deux ans après l’annulation de l’union projetée avec Anne.