- Registre des baptêmes (1682-1788 - page 100) de Gerstheim (Bas Rhin)
Une liste de citoyens d’un village datant du milieu du dix-huitième siècle ! Cette étonnante trouvaille est propre à faire saliver bien des généalogistes en mal d’ancêtres gerstheimois…
Bien qu’une lecture rapide ait rapidement calmé mon excitation puisque je n’y ai trouvé aucun candidat à ma parentèle, le document attira mon attention par l’étrangeté de son contenu : quelque chose choquait mon esprit rationnel.
Tentant de me remettre en mémoire les circonstances de ma propre confirmation vieille de plus de 60 ans, je perçus ce qui clochait : dans mon Créteil de 1954 qui comptait 13 793 habitants, nous étions une cinquantaine de gamins à être bénis par l’évêque ; tandis qu’à Gerstheim, qui comptait moins de 800 habitants en 1760, ils furent 118 à bénéficier du coup de goupillon !
Le sacrement de confirmation est habituellement délivré par l’évêque dans l’année qui suit la communion ; il aurait donc dû ne concerner qu’une quinzaine de gamins, c’est-à-dire moins de 5% des paroissiens. À l’évidence la disproportion du nombre des consacrés est flagrante puisque c’est près du tiers des catholiques du cru qui sont concernés, ce qui implique qu’il y ait eu une large proportion d’adultes parmi eux… ???
J’entrepris donc de tenter d’éclaircir le mystère en me cultivant un peu par l’étude de l’histoire locale : Tout d’abord une lecture plus attentive du texte me permit de rectifier une erreur : le vicaire Georges KIEFFER ne veillait pas seulement sur les âmes des paroissiens de Gerstheim, mais il avait aussi en charge celles du village limitrophe d’Obenheim. Cet étrange cumul m’amena à m’interroger sur le contexte religieux local : la carte est éloquente puisque l’analyse des registres paroissiaux montre que les villages de la région sont exclusivement catholiques, à l’exception de ceux de Sand (protestants presbytériens exclusifs), Osthouse et Boofzheim (où les protestants sont très majoritaires) et …Gerstheim et Obenheim (les deux paroisses confiées au curé Kieffer) où les protestants sont fortement majoritaires, mais avec une présence catholique notable (respectivement 34% et 20%).
Notre belle Alsace, ravagée par la guerre de trente ans (1618-1648 ) au cours de laquelle les papistes et parpaillots d’Europe du nord s’étripèrent joyeusement, en tira pourtant un avantage considérable : elle fut définitivement intégrée à la France (malgré les intermèdes 1870-1918 et 1939-1945) par le traité de Westphalie (1648) qui assura la liberté de culte aux protestants, ce qui, de jure et de facto, interdit à Louis XIV d’y faire appliquer la révocation de l’édit de Nantes (1685) ; notre région ne fut donc pas concernée par la catastrophique émigration des élites de la religion réformée qui ruina la France.
Cela ne veut toutefois pas dire que les parpaillots y jouirent d’une totale liberté : contraintes et incitations appuyées et insistantes à la conversion furent la règle générale jusqu’au milieu du 18e siècle ; ainsi il suffisait que 7 familles catholiques habitent un village pour que le chœur du lieu de culte leur soit attribué ; les pasteurs suisses et allemands étaient persona non grata ; quant au bourgmestre de la ville, il était obligatoirement en alternance de l’une puis l’autre des deux religions quand la cité était protestante…
L‘intégrisme religieux agressif que nous vivons aujourd’hui n’est pas d’invention récente et il devait être exacerbé dans nos villages de Gerstheim et d’Obenheim où existait une forte minorité de la religion officielle ostensiblement soutenue par les pouvoirs politiques et religieux.
Faute de documents, nous en sommes réduits à faire des supputations : faut-il voir là la motivation de cette manifestation publique ostentatoire ? Faut-il voir là la motivation du curé KIEFFER zélé à transcrire sur le registre des naissances sa laborieuse liste ? La présence d’adultes est-elle l’expression de conversions ostensiblement mises en scène pour affirmer la présence et la suprématie catholique et narguer la majorité protestante impuissante ?
Le grand intérêt de l’interactivité de notre Gazette est de permettre l’expression de ceux qui ont la connaissance (ou les moyens et les méthodes pour trouver la connaissance) face aux questions posées par un auteur dépassé par son sujet. Je ne désespère donc pas de recueillir des commentaires voire des ébauches de réponses à mes cogitations.
Au-delà de l’intérêt cette singulière mention insolite des registres paroissiaux, cette découverte fortuite m’a fait prendre conscience que je n’avais jamais envisagé qu’il pût exister d’autres documents de facture religieuse que les classiques Baptêmes-Mariages-Sépultures qui officialisent l’appartenance de nos ancêtres à leur communauté. Pourtant, la religion était la colonne vertébrale de la vie sociale d’antan et ces étapes essentielles ne sont pas les seuls événements religieux vécus par nos aïeux. Qui dit événement dit traces datées de leur existence : le curé KIEFFER nous en a apporté la preuve et il a bien dû expédier sa sacramentum confirmationis collatum à l’archevêché où elle a rejoint des archives diocésaines qui seraient du plus grand intérêt pour nous autres les généalogistes…
Ces archives existent-elles ? Si oui sont-elles accessibles ? Si elles ne le sont pas, ne serait-il pas opportun d’en demander l’accessibilité ?