Commandement de Pronis et de Fauquembroch des 19 mars et 18 avril 1643 :
" nous avons fait commandement aux Sieurs Abraham Le Gaigneur, Sébastien Droüart, François Cauche, Jacques Du Val, Jean Destouzeaux, Jacques Desprez, Charles des Armois, qui sont les hommes restants du dit voyage de Goubert, de nous passer déclaration générale de toutes les marchandises et bestiaux qu’ils peuvent avoir à eux appartenant jusqu’à présent, sans y omettre chose que ce soit, et de nous rendre lesdites déclarations dans notre habitation dans huit jours ... que ce qui s’y trouvera à l’advenir de plus que seront leurs déclarations, leur certifions qu’il leur sera confisqué au bénéfice de Messieurs de la Compagnie ... "
Dieppe, janvier 1638
François Cauche a 22 ans. Il est Rouennais.
" Porté par la curiosité naturelle de l’homme à voyager ", il prend place dans une flutte, " vaisseau long à cul rond, du port de 300 tonneaux " ou " fleque de Hollande " qui devait faire voile à la Mer Rouge, et en y allant, laisser une habitation en l’île Maurice.
Ce vaisseau est le Saint Alexis, commandé par le capitaine Alonse Goubert de Dieppe. Le maître est Jacques Soulas, le premier pilote Claude Ferrant, le second Robert de Perrois, le troisième Salomon Goubert, le fils du capitaine, et le quatrième Guillaume Reade. Viennent ensuite le premier quartier-maître Jacques L’Amy, le deuxième Robert de Barne, le premier canonnier Guillaume Reade déjà nommé, le deuxième Sébastien Droüart et le troisième Jean Asseline.
Le reste des personnes embarquées se compose de 73 hommes et 13 garçons rassurés par la présence à bord d’une barque de plus de 100 tonneaux et d’outils propres à bâtir et à cultiver.
Les marchandises laissent présager de l’activité qui sera déployée à destination : " coral fin et faux, patenostres de verre, chaisnes, bracelets, pendants d’oreilles, ceintures de toutes les couleurs de terre, d’émail, de cristal, de bois, layet, cuiure doré et argenté, vrais grenats, perles de Venise, agates, cornalines, couteaux, mirouërs, ciseaux, estuis, esclots, chapeaux, bonnets, sonnettes, clochettes et autres sortes de quincaillerie pour trafiquer avec ceux es ports desquels nous entrerions. "
En cours de route, il est prévu de gonfler les flancs du vaisseau de quelques prises supplémentaires : " ... principal but ... surprendre et combattre les vaisseaux espagnols ... mais encore les vaisseaux des Mahométans et Gentils qui trafiqueront es Seins Persique et Arabique, conduits par les Portugais, notre flotte quoique très légère, faisant 90 lieües en 24 heures, estant renforcée par les flancs de trois doublages bien corroyez et portant 22 pièces de canons. "
Le départ survient le 15 janvier 1638
Le lendemain à 10 heures, le Saint Alexis rencontre un navire marchand portant à son pavillon les armes de l’empire et dont les officiers se disaient de Danemark. Ils n’étaient que 14 et avaient 14 pièces de canons. Les équipages échangent des cadeaux ; le capitaine reçoit deux jambons de Mayence et deux fromages de Hollande. La séparation se fait à hauteur du cap " Fine Terre ".
Le 12 février le vaisseau fait halte à l’île St. Vincent du Cap " Verd " pour charger du sel.
Le 14 février est animé. Du matin jusqu’à 5h. du soir, le Saint Alexis donne la chasse à une caravelle d’Espagne venant du Brésil et l’arraisonne. " Nous mîmes les 12 hommes qui étaient dedans dans notre vaisseau, les fers aux pieds, et des nôtres à leur place dans la caravelle " Pendant 12 jours les navires voyagent ensemble mais le treizième une tempête les sépare.
Le 25 février les hommes joignent l’utile à l’agréable en organisant une joyeuse partie de pêche à hauteur " du 14e deçà la ligne presque en vue de l’embouchure de la rivière Sénéga (sort du même lac que le Nil, traversant le royaume de Tombur) ". L’équipage " est divisé en sept plats ou parties, chaque partie en sept hommes et un petit garçon... une bouteille de vin d’Espagne pour celui qui prend le premier poisson ". La pêche est bonne, les hommes prennent fardes et capitaines.
Le 28 février le navire reprend sa route en se rapprochant de la terre. La nuit il surprend à l’ancre à la côte une caravelle d’Espagne. " Le bout du mat de beaupré couché sur la proue du navire perce la panse du paquefit de notre grand voile sans nous entraver ". L’équipage adverse s’imagine "que nous avions trouvé une roche ... Cris de ceux qui estoienr en ladite caravelle ". Les Dieppois jettent une chaloupe dehors pour aller en reconnaissance. " sept Portugais seulement que nous fismes passer en notre vaisseau. ... Au Cap Verd ... nous vendîmes ladite caravelle et tout ce qu’il y avait dedans à Dom Diego Vas, Portugais qui se tenait au port de Rusisque ... pour la somme de 25000 livres ... Nous troquâmes ... les marchandises de la première caravelle espagnole ... laissâmes tous nos prisonniers. "
Toutes ces émotions autorisent une relâche de 15 jours au port de Rusisque. " Les habitants sont tous noirs, ils ont de grosses lèvres et retroussent leurs cheveux crespez en forme d’une bourguignotte. " Le 1er mai, c’est l’arrivée sous la Ligne et l’occasion d’une belle rencontre : cinq grands vaisseaux hollandais dont le moindre portait 34 pièces de canons. Ils venaient des Indes Orientales. "Ils nous firent reconnaître par leur vice-amiral avec commandement d’abattre notre pavillon, mais leur ayant remontré qu’il n’estoit raisonnable que le vaisseau d’un Roy de France leur fit hommage, ils vinrent à notre bord apporter leur congé. ... Le reste du jour fut sans vent, les capitaines l’employèrent à se traiter l’un l’autre ... Ils tirèrent trois coups de canon pour nous dire adieu et nous, cinq. "
25 juin : île de Diego Rois (Rodriguez).
" ...20° de la ligne équinoxiale du côté du pôle antarctique, à 40 lieües environ de l’île de Madagascar ... Nous y descendîmes et arborâmes les armes de France contre un tronc d’arbre par les mains de Salomon Goubert. Notre navire fut toujours en mer n’ayant pu ancrer ... De là l’île de Mascareigne qui en est éloignée de 30 lieües, où nous arborâmes aussi les armes de Roy ... inhabitée comme la précédente... ".
Le Saint Alexis y séjourne 24 heures avant de rejoindre Ste. Apollonie, 1 degré plus haut. " Tirant vers la ligne en l’intention de l’habiter ... nous trouvâmes la place prise par des Hollandais qui y bastissoient un fort ... nommée il y avoit longtemps ladite île du nom du Prince Maurice. Ils nous permirent d’y entrer, d’y chasser et d’y pêcher. Nous quittâmes ce port dès le lendemain et allâmes ancrer à l’autre bout de l’île au nord-ouest. Ce port était défendu par six Hollandais ... Il y avait un navire anglais à l’ancre portant 28 pièces de canons et au pavillon ... une croix de St. André, ayant 500 tonneaux de charge. Il venait de Bantan ville de l’île de Java regardant l’île de Sumatra chargé d’épicerie. Ceux qui y estoient nous offrirent de nous aider à chasser les Hollandais , à quoi nous ne voulûmes consentir attendu l’alliance qui est entre nous et eux. "
Après quinze jours de chasse, de pêche, de chargement de bœufs, chèvres et porcs, de limons, citrons et grenades, le navire fait voile vers Madagascar, dite encore île de St. Laurent. " L’île est abondante en bœufs, moutons, poules, perdrix, faisans, tourterelles, chèvres et une infinité d’autres animaux ...(les habitants ne sont) jamais réduits à la nécessité des Brasiliens ... user de chair humaine ... "
C’est maintenant la fin du mois de juillet. L’équipage a abandonné l’idée de trafiquer sur l’île Maurice tenue par les Hollandais. Ils rencontrent un clan de l’île de Madagascar.
" Le roy de cette province dite Madecache ... vint nous trouver, on l’appeloit Andianramac ayant à sa suite plus de 400 hommes tant blancs que noirs, testes pieds et jambes nues. Ce roy avoit le teint un peu enfumé, mais plus blanc que ne sont les Castillans. ... d’une taille fort haute, bien proportionnée ... le visage hardi, sans barbe, la langue et les dents de même que tous ceux de sa suite noires comme jayet luisant ... les Noirs ... n’estoient camus comme ceux de la terre ferme ... Notre capitaine ... fut audevant d’eux accompagné de vingt des nôtres armés jusqu’au village appelé Ramac qui est éloigné du port de Ste. Luce environ de trois portées de fusil. ... en langage portugais ... Ce prince lui repartit en même langage, car il avait été longtemps en Mozambique ... qu’il était le bienvenu ... il fit délivrer 20 bœufs ... 4 chèvres au poil ras ... 4 moutons ...12 chapons et du riz tant que 8 nègres pouvoient porter. ... il prit congé de nous...
Le lendemain matin ... nous fûmes donner le bonjour à Andrianramac devant lequel notre capitaine ouvrit une caisse pleine de diverses marchandises.
... il (Andrianramac) prit pour lui un chapelet de coral fin ciselé pesant 5 onces et quelques bracelets de verre pour les dames, pour lesquelles choses il nous donna 50 bœufs. Après lui Andrianseron son gendre choisit 5 pierres d’agathes, des colliers de fausses perles et des chaisnettes de laiton blanc et pour cela ... 22 bœufs. ... Le roy et Andrianseron ayant pris congé quelques jours après, nous fismes une salve de nos armes à feu, au milieu de la place du village, laquelle étonna tellement le menu peuple... tomba à terre de peur. "
Huit jours plus tard un sujet de discorde intervient entre les voyageurs. Une querelle s’élève entre le capitaine et le maître du navire. Le maître veut charger du bois d’ébène et rentrer en France alors que le capitaine penche pour aller chercher une bonne prise. La maladie frapppe alors les Dieppois. Ils partent pour le " port de Ste. Claire 8 lieües plus bas ". " Nous ne restâmes que 50 si abattus, qu’il fallut plus de 6 mois pour nous remettre ".
Un malheur ne venant jamais seul : " Il arriva que notre navire se trouva en très mauvais estat, et jugé inhabile au voyage ... Nous avions des nègres à la journée pour une corde de rassade, ou patenostres de verre de plusieurs couleurs ... Nous fîmes bâtir un magasin dans lequel nous fîmes porter les marchandises qui estoient au navire, les canons et les agrez, avec les munitions. Puis nous l’abandonnâmes couché sur son flanc sur le sable ... "
Les hommes passent le temps en explorant les alentours jusqu’au jour où survient un navire hollandais de la charge de 300 tonneaux. " ... venant de la baie d’Antongil ils y avoient acheter des Nègres pour s’en servir à l’île Maurice. " Vint-cinq hommes partent alors avec celui-ci pour Maurice puis les Molluques.
Du port de Ste. Claire, sur la fin du mois de mars 1640, Jacques Soulas et dix-neuf autres hommes chargent la barque de marchandises, " bois d’ébène et 18 tonneaux d’eau ... et du bois à brûler ... 600 cuirs de bœuf, quantité de cire et gommes du païs et une grande partie des marchandises venant de France, et deux pièces de canon de fer ... et deux autres de fonte ... " et font voile vers le Cap de Bonne Espérance.
En mars 1640, un bateau de 200 tonneaux venant de Dieppe par la Mer Rouge, commandé par le capitaine Digart et maître Jacques Guespin, est en difficulté. Les naufragés, à proximité, lui porte assistance. Peu de temps après il repart en France avec une bonne partie des marchandises du magasin " pour ceux de notre Compagnie qui estoient à Paris et Rouen ... Berrulier et Martins ... à condition que ceux du vaisseau de la Marguerite commandé par ledit Digart partageoient également avec ceux de notre ditte Compagnie lorsqu’ils seroient arrivez en France. ".
Le bateau emmène le capitaine Alonse Goubert " auquel on avoit donné la chambre des canonniers ". " Il mourut en l’île de Rez six mois après son départ sans entrer en son païs ".
" Il avait laissé à ma charge et à celle de Sébastien Droüard le reste des marchandises ... à condition d’en tenir compte à la Compagnie et remettre icelles ès mains de ceux qu’elle m’enverrait dans deux ans ... "
" Andianmachicore, gendre d’Andrianramac ... vint nous trouver avec sa femme et 200 hommes et femmes ... Ce peuple demeura 8 jours avec nous ... Andianmachicore fit bâtir un village proche de notre magasin où il mit des familles de Nègres pour le garder ... nommé Amparouge ...Andianmachicore fort satisfait de la despouille de notre grand navire, les ferrements duquel pour la plupart demeurèrent pour lui et les siens ...
A Manhale ce seigneur nous donna la maison de sa mère ... Sébastien Droüart, Abraham Le Gaigneur et moi-même demeurâmes à Manhale ... "
Les rescapés s’installent sur l’île de Madagascar en prévision des longs mois d’attente d’un bateau qui viendra les reprendre pour rentrer en France.
François Cauche décide d’explorer la côte du Levant d’un bout de l’île à l’autre. Il part avec 20 nègres, 1 maître de village et 1 domestique d’Andianmachicore nommé Diambo, des marchandises, des fusils et ses instruments de musique. " ... Droüart et Le Gaigneur m’ayant conduit à quatre lieuës plus haut que le port de Ste. Luce prirent congé de moi ... "
" Au bout de 4 jours nous arrivasmes en un autre village commandé par un Noir ayant des cheveux longs appelé Dianzore. "
La petite troupe arrive au milieu des " réjouissances " qui accompagnent le supplice de deux voleurs de bœufs : les mains coupées sont exhibées dans le village. Dianzore loge et nourrit les voyageurs.
Le lendemain la troupe repart en longeant le littoral vers la province des Matatanes. Il leur faut 5 jours pour atteindre 17 grands villages, au bord de la rivière Vinangue, " ombragez de plusieurs bananiers et abondans en cannes à sucre ".
" Le plus grand prince des Matatanes vint à nous dans une canoë qu’ils appellent lacque, à 8 rames de chaque bord, tirées par des Noirs qui voguoient debout, Andiampalola en tenant une autre derrière la poupe qui servait de gouvernail. Sur la proue estoient plantées 17 sagaies et arrangez autant de boucliers ... Le Roy vint à moi me disant Salame qui veut dire bonjour, me serrant la main ... Puis s’étant assis sur une natte ... il me fit assoeir auprès de lui me demandant ce qui m’avait conduit à lui. Je lui fit répondre par la bouche du maistre du village qui m’avoit accompagné ... lui venir baiser les mains et lui faire présent de quelques marchandises ...".
Le prince invite la troupe à passer la rivière.
" ... ayant aperçu quelques oiseaux ... je mis en joue ... tuay 2 canards, 1 sarcelle et 1 vingeon. Mes Noirs... allèrent prendre le gibier qu’ils présentèrent à Andiampalola ... (celui-ci) disant qu’il fallait vivre en ami avec moi... Il me pria de jouer (du flageollet) ...avec grand applaudissement de tous ceux qui estoient dans notre canoë. "
Le séjour chez ce prince dure 8 jours.
Quatre jours plus tard nos voyageurs entrent dans la province des Antavarres. Le pays est marécageux. Les villages regorgent de ruches. François Cauche passera 15 jours à apprendre aux villageois " qui tous sont noirs ou nègres armez d’un grand bouclier et d’une grande zagaie longue comme nos piques " à séparer la cire du miel.
Puis il continue de suivre la côte vers le nord jusqu’au pays des Amboitmenes " Amboits sont des montagnes, Mene signifie rouge. Ceux-ci ont en abondance de bestail, graines et racines. " Le séjour au village de Diamangay durera 8 jours.
Plus tard au village d’Angoada, ils rencontrent deux Hollandais à la recherche d’esclaves pour l’île Maurice et le Brésil. " Le prix ... d’une jeune esclave estoit de 4 réaux d’Espagne, d’une fille 3 réaux, d’un garçon de 10 à 12 ans 2 réaux, d’une femme avec son enfant à la mamelle 5 réaux ... ". En fait le Roy de la province, revenant de guerre, leur laissera autant de prisonniers qu’ils désireront choisir contre quelques pièces de drap rapportées d’orient.
Avec ces Hollandais François Cauche va visiter l’île de Ste. Marie et goûter au vin de bananes avant de repartir quelques jours plus tard reconnaître la baie d’Antongil.
" au bout de 9 jours je quittai cette baie ...je m’en retournai par le même chemin ... au village de Manhale lieu de ma demeure, où je trouvai Andiammachicore et sa femme en grande dispute : celle-ci voulait se saisir de toute ma marchandise sur le bruit qui avait couru que j’avais été tué et l’autre l’en empeschoit disant que ce seroit violler le droit d’hospitalité. Mais tous deux cellèrent leur querelle à mon arrivée ... "
François Cauche ne peut bien longtemps rester en place. Il décide de traverser l’île de part en part " accompagné d’un maistre du village ... nommé Diamber, de 19 Noirs ... de 4 de mes domestiques chargez de mes hardes, armes et marchandises ... ". Il entre dans la province des Tapates. Il obtient des guides au village d’Andianmarophate pour aller à la baie de St. Augustin " mais tous ceux qu’Andianmachicore m’avait donné s’en retournèrent, croyans ce qu’on leur avoit dit de la cruauté de la nation chez laquelle je m’en allai avec mes 4 domestiques ... ".
" ...5 jours ... nous arrivasmes à la rivière qui entre dans la baie ... il y avoit ... une autre forteresse que nos François avoient bâti autrefois ...(voyage de Pyrard en 1602 et 1601) ... L’eau de la rivière est malsaine, pleine de crocodiles ... "
Là encore l’expédition rencontre des villageois et échange force cadeaux, y compris des bœufs.
Sept jours plus tard, retour à Manhale " en faisant conduire mon bétail devant moi ". François Cauche se sentant mal monte en croupe sur un bœuf à la grande surprise des populations qu’il croise. En cours de route, dans la province des Tapates, on lui montre des armes provenant d’un bateau hollandais naufragé. Ceci lui donne l’occasion de choisir un meilleur fusil.
En février 1642 notre explorateur est à Manhale.
Il assiste à la cérémonie de circoncision des jeunes du village et la décrit en détail. Malheureusement une triste nouvelle vient le toucher : un membre de l’équipage resté sur l’île, Meldron, a été assassiné par Andianrazo dont il avait eu l’audace de " profiter " de la femme. Il se plaint au seigneur de Manhale. Celui-ci s’enquiert de la façon dont les assassins sont punis dans le royaume de France. On coupe la tête aux Nobles, on pend ceux qui ne le sont pas, répond François Cauche. Alors justice est faite, répond Andianmachicore qui présente la tête coupée d’Andianrazo.
" Le lendemain nous fusmes dans la maison de la mère d’Andianseron gendre du Roy pour lui demander le coffre de Meldron ... On vendit le tout à l’encan ... J’achetay ses livres, cartes et autres instrumens servant à la navigation, que je paiay depuis à ses parens à Dieppe, lors que je fus de retour. "
François Cauche retourne chez lui, mais pour peu de temps car l’envie de bouger le reprend de nouveau. Il se rend chez Andianboule, seigneur de la province d’Amboule. Mal lui en prend : ce seigneur est en guerre contre Andianramac. Le village est attaqué ; notre navigateur réussit à décliner l’invitation à prendre les armes. Prudent, il part vers les montagnes où se trouvent " quatre fontaines si chaudes qu’on n’y pouvoit arrester le doigt un moment sans le brusler. Les habitans sont tous gens de forges ... " ce qui permet d’admirer les techniques locales de fabrication d’armes et d’outils.
Retour à Manhale en passant par le village de Fazaire où se trouve Andianramac. Abraham Le Gaigneur apprend à notre inlassable marcheur que les Machicores ont attaqué le village, tué 9 Manhalois et emporté 100 bœufs dont 14 des leurs.
Andianmachicore ameute ses troupes. " Andianmachicore conduisit l’avant-garde, je le suivis avec 6 Nègres chargez de mes mousquets et fuzils, accompagnez d’un 7e qui portoit mes provisions de gueule. "
Les troupes progressent si vite " qu’à grand peine les pouvois-je suivre, m’ayans devancé en moins d’une heure d’une demie lieuë. "
Andianmachicore s’impatiente ; il lui envoie 8 domestiques " qui estoient chargez d’un petit brancard pour me porter sur leurs épaules ... Je refusay cette courtoisie, quoy que je fusse extrèmement las, et les suivis par les bois jusqu’à ... ce que je trouvay notre armée faible et recruë ".
François Cauche explique aux chefs de village que, dans son pays, le roi ne prend pas la tête des troupes mais reste au milieu des rangs pour sa protection et pour mieux diriger les combats.
Les chefs trouvent l’idée excellente ... mais demandent au Français d’engager sa petite troupe pour se lancer tous dans la bataille.
Les combattants surprennent les voleurs de bœufs. Grâce aux mousquets la victoire est à eux. Ils récupèrent 60 bœufs et rejoignent Andianramac dont de nombreux membres de la famille arrivent bientôt avec des renforts tardifs. C’est l’allégresse.
Heureux de la tournure de la guerre, Andianramac décide d’édifier une nouvelle maison, un nouveau palais, dans son village. Notre Dieppois ne perd pas une miette de la construction, détaillant le techniques utilisées et les fonctions de chacun : " Comme ils n’avoient point l’usage de la scie, ils déchargeoient les troncs avec leurs cognées, puis avec leurs couteaux de fer d’un pied de long ... ils les applanissoient et en fin les polissoient avec de petits rabots ... Ils commencèrent à travailler les premiers jours de la lune et continuèrent jusqu’au 15e, puis sont 6 semaines de repos ... Les blancs règlent les hauteurs , largeurs et espaisseurs et les noirs, comme les valets des autres, font tout le reste ... Cet édifice avoit 30 pieds de long et 20 de largeur ... Le Roy fit scavoir ... qu’il entreroit en iceluy le premier jour de la lune du mois de novembre ... " Alors tout le monde apporte des présents pendant deux jours. Le troisième " tout le monde se fut laver à la rivière voisine, d’où sortans, ils vestoient de nouveaux habits ... "
François Cauche n’est pas en reste : il dresse une estrade et joue du hautbois et de la cornemuse. Il relie ses fusils et mousquets par des mèches et déclenche de joyeuses salves.
La maison est " baptisée " au vin et au sang de bœuf avant le festin.
Une triste période succède à ces moments de fête. La femme d’Andianmachicore tombe malade. Est-ce de langueur ? François Cauche a remarqué que le seigneur malgache passe beaucoup de temps avec une autre jeune femme.
Le " Marabou " intervient avec toute la puissance de ses charmes. Il échoue. La femme du chef s’éteint en quelques jours. Suivent les solennelles cérémonies des funérailles.
Grande surprise quelques temps plus tard ! Andianramac avertit François Cauche qu’un navire français est ancré à Manafia, c’est à dire Ste. Luce.
" Le capitaine avoit nom Coquey, le maistre Jean Régimon ; ils amenoient des hommes pour habiter dans Madegasse, sous le gouvernement de Jacques Proni et Jean Fourcambourg. "
Sébastien Droüard part s’informer. " Ils estoient 40 hommes, sans l’équipage, qui avoit desseigné de bastir un port sur ledit port, qu’ils estoient venu avec 6 d’eux chez Andianramac, pour lui demander permission de le bastir, ce qu’ils obtinrent facilement, cela ne mettant point en peine Andianramac, qui scavoit leur petit nombre, dans lequel estoient plusieurs malades. "
Jacques Proni prend contact avec François Cauche. Il lui demande de quitter Manhale pour rejoindre Ste. Luce. Il lui laisse 6 mois pour vendre ses marchandises.
Pour les nouveaux venus l’installation est rude. Sur les 40 hommes seulement 14 résistent aux fièvres après deux mois de séjour.
Coquey et son équipage chargent le vaisseau de cire, de gommes, de cuirs et de bois d’ébène et repartent en France. Le sort leur est contraire : de mauvais vents les rabattent violemment à la côte. Ils rejoignent tant bien que mal la baie des Gallions où ils vendent des marchandises et des ferrures du vaisseau naufragé contre des abris précaires en attendant leur barque restée à Ste-Luce.
Arrive le 1er mai 1642
La Compagnie qui avait armé le St. Alexis a fait seconder le St. Louis du capitaine Coquey par le St. Laurent qui amène de nouveaux habitants pour l’habitation de St. Pierre de Jacques Proni. Ce bateau dieppois a pour capitaine Gilles Régimond " Liégeois de nation et habitans de Dieppe, le maistre estoit Gilles Régimond son fils, il estoit armé de 22 pièces de canons, chargé de 60 hommes pour demeurer dans l’isle, sans son équipage, avec toute sorte d’outils pour bastir et cultiver la terre. "
François Cauche et ses compagnons prennent évidemment contact avec le capitaine. Dans la maison de Jacques Proni, il fait part de tout ce qu’il a vu et appris dans l’île. " Le lendemain le père Régimond envoya Sébastien Droüard chargé de mes mémoires, contenans la situation des lieux et les noms de ceux qui y commandoient, pour faire couper l’ébène et traitter des marchandises chez les Matatanes. Pour moy je fus envoyé avec 6 hommes aux Tapates pour eschanger des bœufs, volailles et autres rafraichissements, contre de la marchandise, qu’il me fit délivrer. Je passay en ma maison où Andianmachicore ayant scu mon dessein, me donna 10 hommes des siens pour m’escorter jusque aux Tapates, chez lesquels je fus 3 semaines. "
Sur le chemin du retour François Cauche aperçoit un nouveau vaisseau dans une rade proche. Il s’y rend " dans une canoë avec quelques Nègres, sortant par l’embouchure de la rivière Ranne-Fouche, j’entray dans le port des Gallions, d’où, ayant fait une lieuë en mer, je me mis au bord du vaisseau ... Ce vaisseau portoit en poupe les armes de Danemark soustenuës de deux lyons ; les pavillons estoient arborez et estendus, le rouge, qui est celuy de la guerre, sur la poupe : le blanc qui est celuy de paix, au coupeau du mat de hune, et celuy de Danemark sur le bout du beaupré ... ". Le vaisseau cherche un abri pour attendre la bonne saison (janvier, février, mars) et repartir avec de meilleures chances de salut. F. Cauche procure des vivres et reçoit une lettre en portugais du commandeur danois pour Régimond.
" Quand je fus vers Régimond, il se facha à moy de ce que j’avois tant tardé, et donné connoissance des ports et de l’estat de l’isle aux Danois. Je lui dis que, n’estans pas de son équipage il n’avoit rien à me commander, et qu’estant Chrestien, j’avois esté obligé à soulager des Chrestiens. "
Le capitaine accepte finalement d’aider les Danois. " Cinq jours après Régimond fit équiper sa barque, dans laquelle il mit une bouteille de rofofol, qui est de l’eau de vie distillée avec cannelle et sucre ... des confitures sèches et liquides avec des bouteilles de vin d’Espagne, accompagnées de jambon... un baril de sel ... J’entray dans cette barque avec 16 hommes...(dont) Régimond ... Jacques Proni, maistre de l’habitation de St Pierre. ... Le commandeur nous traitta de petits cochons, canes et oisons qu’il avoit apporté vifs dans son vaisseau des Moluques, et après le repas fit présent à Jacques Proni d’un cerf et d’une biche en vie qui venoient aussi des Moluques, semblablement aux nostres pour en peupler l’isle de Madagascar où il n’y en avoit point... Régimond fit présent au commandeur de tout ce que nous avons dit cy-dessus, de 6 pièces d’ébène ... En reconnoissance il luy donna une jarre... remplie de sucre candi. D’une autre pleine de cassonade blanche... Une autre pleine de gingembre confit. Deux autres de petites oranges et citrons confits. Un sac de poivre, tenant deux mesures, un sac d’une mesure de clous de girofle, un millier de noix de muscade, un pot de fleur d’orange confite, un sac de cannelle. Deux pièces de Damas... deux pièces de tafetas double de la Chine...Six bas de soye de couleur. Six chemises de fine toile de cotton, brodées de soye blanche. Deux paires de calsons à la Persane, tombant jusque sur les souliers. Deux paquets de cannes d’Indes de plusieurs couleurs, et façons ... Un service entier de porcelaine avec un bocal de terre prise proche le tombeau de Mahomet, ayant un grillage à la bouche par lequel on vide de l’eau dedans, laquelle exposée au soleil, se rafraichit au lieu de s’eschaufer."
LesFrançais aident les Danois à installer leur habitation et à commercer avec les Malgaches suivant les ordres de Régimond.
Parallèlement ils continuent d’exploiter les forêts d’ébène. Un groupe de 12 hommes composé de " Sébastien Droüard, Gilles Régimond fils ..., Bonvallot, Gelmain, et autres ... " partent aux provinces Antavarres et Amboimenes. " Leur malheur voulut que Bonvallot mauvais garnement, ne pouvant souffrir qu’un Nègre eut dérobé quelque chose de peu de valeur dans sa hutte, lui coupa les oreilles, et les cloua sur un tronc d’arbre. "
Le Nègre se venge, met le feu aux huttes ; une bataille s’ensuit. Les matelots rattrapent le Nègre, le tue, le brûle et le jette à la rivière.
Andianpalola, le seigneur de la province, prend les armes et massacre les assassins " fors un jeune homme de Calets aagé de 18 ans " qui fait le mort.
Ce garçon parvient à rejoindre Sébastien Droüard qui était resté en arrière à cause d’un pied blessé. Un troisième homme, nommé Hérault, qui demeurait au village d’Andianpalola, récupère des armes et de la poudre et se joint à eux.
Heureusement une barque, venant de Ste. Luce pour récupérer le bois d’ébène, les tire de leur situation délicate et les ramène en lieu sûr.
Andianramac réagit à ces affrontements. Andianpalola doit venir s’excuser auprès de lui. Cela se traduit par de nombreux cadeaux : " deux menilles, ou bracelets d’or, quatre d’argent, un gros collier de cinq rangs, entremeslé de canons d’or, grains d’or ronds et creus, de coral fin, de cornalines longues, et de rassades rouges, le tout enfilé dans du cotton. Ils y adjoutèrent des cannes de sucre, du ris en paille, des fèves, phafioles, et pois, avec deux habits, ...duex quilambas, ou ceintures, un sarravoi, ou braye, le tout tissu de cotton et de soye. Parmi les 12 députez estoient un orfèvre du pays, qui fut quelque temps à faire son mestier en cette province des Madecasses. " François Cauche admire et décrit soigneusement son travail.
Régimond le père, sans doute touché par la mort de son fils, prend la décision de partir naviguer et demande à François Cauche de l’accompagner.
" Ce me fut une dure séparation, puisqu’il me fallait laisser ma maison, mon jardin, et une partie de mes meubles, et ce qui plus me fachoit, quitter Andianmachicore, qui m’aimoit infiniment, ma consolation fut que je lui laissois ce que je ne pouvois emporter. "
" ...nous mismes dans le fond du vaisseau pour le lester la pesanteur de 200 tonneaux de bois d’ébène, de 6 à 7 pieds de long ... Cela fait nous chargeasmes nos vivres et marchandises, après avoir mis en estat la barque que nous avions apportée en pièces de nostre navire, elle estoit du port de 20 tonneaux, nous la mismes en mer avec son équipage qui estoit de 25 hommes, et ayant laissé en terre dans nostre habitation de St. Pierre au port de Ste. Luce 60 hommes sous le gouvernement de Jacques Proni, et Jacques de Fouquembourg Rochelois, nous levasmes l’ancre le 15e d’aoust de laditte année 1642, tirans à la mer Rouge avec dessein de faire quelques bonnes prises. "
Nous comprenons que le retour en France ne peut pas se faire les mains quasiment vides !
Le vaisseau contourne la grande Ile par le sud et fait voile au nord entre Madagascar et la côte africaine. Au bout de trois jours il atteint les Comores et abordent dans l’île principale pour troquer du lige contre des vivres. François Cauche jette un œil admiratif sur le poignard du gouverneur " la poignée toute couverte de diamans et autres pierres fines ". Toujours curieux, il veut entrer dans une mosquée mais l’accès lui en est refusé.
Le périple reprend.
A l’entrée du golfe, on utilise la barque pour chercher des vivres puis pour continuer " du costé droit du golfe vers l’Arabie Heureuse ".
L’expédition croise un petit vaisseau venant des Malabars : 12 hommes à bord, du coton, des draps, de la laine. Voici une prise facile. " Nous nous contentasmes de prendre la marchandise ".
A proximité du tropique du Cancer, ce sont cinq vaisseaux hollandais qui saluent les Français d’une amicale canonnade.
Ceux-ci arrivent bientôt en vue de Suez. " Nous reconnusmes une ramberge d’Angleterre qui escortoit les navires marchands, qui passoient d’une terre à l’autre. Ceux qui estoient dans cette ramberge nous voulusmes quereller ... mais voyant que nous nous apprestions au combat, ils nous laissèrent passer. "
Au fond du golfe, il faut faire demi-tour.
" Sous le 15e degré de la bande du costé du nord, nostre barque fit rencontre d’un vaisseau malabar ". Un seigneur africain qui avait pris femme en Arabie Heureuse rentrait en son pays avec " draps d’escarlate, d’or et de soye, avec de l’or et de l’argent monnoyé ".
Les Français se lancent à l’abordage. Le commandant du bateau nuptial préfère parlementer. Il accepte de se rendre si aucun mal n’est fait aux nouveaux mariés. Les Dieppois repartent avec des draps, plus de 200 00 écus ... et quelques vaches.
Les prises sont suffisantes pour repartir en France, mais, petite cerise sur le gâteau, " sous le 13e du costé de septentrion " voilà que se présente un bateau marchand sans armes. " Nous enlevasmes la meilleure partie de la marchandise qui estoit de drap de soye et de cotton ... laissant libres les marchands et leur vaisseau. "
Le retour à Sainte-Luce se fait début novembre 1643.
Dans l’habitation St. Pierre 14 hommes ont péri des fièvres. Andianramac a persuadé Jacques Pronis de prendre pour femme " suivant la créance des Madagascarois " Andianmarivelle, fille d’un grand seigneur, nièce d’Andianramac et belle-sœur d’Andianmachicore.
Cette fois, en mars 1644, la décision du retour en France est prise. Trente-six personnes restent à Madagascar.
Le vaisseau double le cap de Bonne-Espérance. Au passage il touche terre à l’île de la Biche. " Tout navire qui entre en ce lieu ... plante un bâton sur le bord, au-dessu duquel on attache une bouteille, et dans icelle une lettre du jour qu’il y est arrivé et d’où ... nous y trouvasmes des nouvelles des vaisseaux de Digart, et des Danois. ". Après avoir remonté une rivière, l’équipage racle la coque pour la nettoyer, fait des vivres, de l’eau, échange avec les autochtones.
Vingt-cinq jours après avoir quitté cette île, les Français sont à Ste. Hélène " sous le 16e degré vers le pôle antarctique ", île accueillante et ouverte à tous les bateaux de passage.
Départ ensuite pour l’île d’Ascension et petit arrêt de 6 heures pour y attraper 60 tortues de mer.
Puis c’est la France. Le navire ancre à " Camarer " où il faut encore 15 jours pour le nettoyer avant de rejoindre " le Havre de Grace ", pour 24 heures, et enfin Dieppe le 21 juillet 1644.
Ainsi s’achève le récit de François Cauche.
Il donne encore, en postface, une description de la religion, des mœurs des Malgaches, ainsi qu’un aperçu des poissons et des arbres locaux.
Il ajoute un dialogue bilingue et une liste de mots à connaître.
... Et, la dernière page tournée, retombe un grand silence.
Notes de l’auteur :
Texte rédigé d’après le récit de voyage de François Cauche entre 1638 et 1644 depuis Dieppe jusqu’à Madagascar (conservé à la Bibliothèque municipale de Rouen)
François Cauche est cité dans la Biographie Normande de 1857 de Lebreton. On y donne la référence de son récit : Relation du voyage de François Cauche de Rouen en l’île de Madagascar, îles adjacentes et côtes d’Afrique, 1638, Paris, 1651, in 4°.
En 1892 Gabriel Gravier a fait une conférence sur ce sujet devant la Société des Anciens Militaires Coloniaux de Rouen.
En 1902 un article de la revue La Normandie, "nos premiers colons à Madagascar" d’Eugène Guénin remettait ce récit à l’ordre du jour.
Inalco-Karthala a publié L’Histoire de La Grande Isle Madagascar d’Etienne de Flacourt où François Cauche est cité et où l’on apprend que les ethnologues aujourd’hui reprennent de l’intérêt à son récit.
Enfin divers contacts sur Internet m’ont permis de constater que François Cauche est cité dans des thèses sur Madagascar et qu’il est connu du Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages de l’Université de Paris-Sorbonne.