Jean-Émile (dit Émile) Tétaud est le 20 septembre 1847 à Ruelle-sur-Touvre (Charente), fils d’Hughes Tétaud, agriculteur propriétaire et d’Anne Loiseau.
En 1867, année de la classe, Émile reçoit le numéro 52 au tirage au sort. Son numéro matricule de recrutement est le 2674.
Selon le livret militaire, ses caractéristiques sont les suivantes : Cheveux : châtain clair, sourcils : idem, yeux : bleus ; front : ordinaire, bouche : moyenne, menton : rond, taille : 1,56 mètre. Il est alors cultivateur.
En 1869, Émile appartient au 3° bataillon, 4° compagnie de la Garde Nationale Mobile de la Charente. Les mobiles (en argot les "moblots") faisaient partie de la garde nationale, dans laquelle étaient versés une partie de ceux qui n’étaient pas effectivement incorporés dans une unité d’active (le service durait 7 ans à cette époque, par tirage au sort). Ils recevaient une instruction militaire sommaire, au cours de convocations périodiques. Ils étaient organisés en compagnies et bataillons, à recrutement évidemment local, encadrés par des officiers ayant à peu près la même expérience militaire...
La garde nationale mobile a été mobilisée le 15 août 1870, lorsque les choses ont commencé à mal tourner, et organisée en régiments par regroupement des bataillons. Mis sur pied trop tard pour participer aux combats avant le désastre de Sedan, ils ont été utilisés dans les différentes armées de la période suivante, dite « de la défense Nationale ». Leur tenue au feu a souvent été honorable, malgré leur manque d’expérience (Selon Bernard Sonneck du groupe Genemil).
En 1870, Emile à 23 ans, il est mobilisé pour la Campagne contre l’Allemagne. Il reste d’abord dans son régiment d’infanterie à Angoulême (12e corps d’armée). Affecté au "service de garde des voies de communication, poste 17", il reçoit l’ordre de se rendre à la station de Ruelle sur Touvre. La guerre devant être courte, il espère bien échapper aux combats qui se déroulent si loin de Ruelles.
Mais la suite est moins drôle. Envoyé sur le front de la Loire, il sera un modeste acteur du « désastre d’Orléans ». Les unités concernées, notamment le 20° corps étaient dans un incroyable état de dénuement matériel (Ortholan, 92).
Rappel du contexte : « Après la capitulation de Sedan et la capture de l’Empereur, la République est proclamée le 4 Septembre 1870. Un nouveau gouvernement animé par Favre et Gambetta décide de poursuivre la guerre et, pour renforcer les Gardes Mobiles, organise une levée en masse de tous les hommes valides de 21 à 40 ans. Ces soldats mal armés, à peine nourris, qui formaient en grande partie l’Armée de Loire, avaient pour principale mission de libérer Paris assiégée depuis le 19 Septembre. Sous le commandement des généraux d’Aurelles de Paladines et Chanzy, cette armée, organisée à la hâte et instruite en quelques semaines en Sologne et en forêt de Marchenoir, décide d’attaquer les Bavarois dans le but de délivrer Orléans. Le choc se produit le 9 Novembre sur le front établi entre Baccon et St Sigismond. » (Allocution E. Guiset, extraits).
« Le 2 décembre, à Loigny, 40 000 Français appartenant au 16e corps et à une partie des 15e et 17e se battent avec acharnement contre 35 000 Allemands. Ils perdent 7 000 tués et blessés (...), plus 2 500 prisonniers. Au moins 4 000 de leurs adversaires sont mis hors de combat. Mais la lutte continue les 3 et 4 décembre dans les environs de Loigny, notamment à Artenay et à Patay. La température est glaciale. Le sol est couvert de neige. Les combattants éprouvent d’énormes difficultés à tenir leur arme, à faire du feu, à se nourrir. Leur moral en souffre terriblement. » (cf. Serman et Bertaud)
Dans la nuit du 3 au 4 décembre, les Allemands s’emparent d’Orléans. Les 16e et 17e corps battent en retraite sur Beaugency. L’armée française est coupée en deux. L’une est dirigée par Bourbaki, l’autre par Chanzy.
Lettre d’Émile écrite le 4 décembre, du camp retranché d’Orléans à ses parents et sœurs où il raconte la bataille de Chilleurs aux bois (45095, Loiret, Arrt de Pithiviers) du 3 décembre :
- Une lettre d’Émile
« Vous devez avoir reçu ma lettre du 2 décembre dans la quel je te raconte la grande bataille à laquelle j’ai pu assister à partir de 7 heures du matin, jusqu’à midi sans lâcher le feu et où j’ai failli être tué par une balle qui a emporté mon képi et dont Albert a été légèrement blessé à l’épaule. Maintenant, comme je ne suis pas sûr que tu as reçu ma lettre (du 2 décembre), je te dirai que la bataille a eu lieu à Chambon (Chambon – la forêt, à l’est de Chilleurs) le lendemain de ton départ de Chilleurs aux bois, où tu m’as quitté. Il n’y a que le 2e bataillon qui a donné, aucun de Ruelle qui se sont battus que moi et Albert.
Après la bataille de Chambon, nous sommes venus à Chilleurs. Le lendemain matin avant notre déjeuner, le combat s’est engagé. Leur artillerie était formidable ; nous nous sommes battus pendant une heure trente, puis il a fallu battre en retraite. Devant moi, j’ai vu briser nos batteries d’artillerie par leurs boulets. Chose effrayante, une retraite terrible s’est opérée jusqu’à Orléans. Tu dois connaître le trajet ; chaque paysan sauvait ce qu’il pouvait. Après avoir traversé toute la forêt d’Orléans au pas de gymnastique, nous avons fait des tranchées pour arrêter leur artillerie, tout fut inutile. Nous leur avons poussé des bombes, mais eux aussi, au moment où on faisait les tranchées, leurs bombes éclataient au milieu de nous et faisaient beaucoup de ravages. On voyait tomber nos pauvres camarades, et alors, nous avons continué la retraite jusqu’à Orléans. Heureusement pour moi, le matin, j’avais acheté une paire de bottes à un camarade, qui me vont très bien. Si j’avais eu mes souliers tout percés, j’étais fait prisonnier avec les autres.
Ils nous ont pris presque toute notre artillerie plus 1000 hommes prisonniers. Nous sommes à Orléans mais je crains que les Allemands reprennent sans peine, nous n’avons plus de canons, ce qui est le principal dans la guerre. Tout le monde est décontenancé !
Comme je suis pressé, je ne t’en dis pas davantage. Je ne sais pas si tu as reçu ma lettre car je crains que Chilleurs aux bois ait été pris avant que ma lettre soit partie.
Adieu à toute la famille et à ma mère. » (orthographe restituée !)
Le 4 décembre, les Allemands réoccupent Orléans sans combat.
Au dos de la première lettre, une seconde, écrite au crayon, est plus difficilement déchiffrable :
« Salbris le 6 décembre 1870
Mon cher frère, tu me crois pas peut-être mort non mais je l’échappé belle tous les jours. Voici la suite de cette lettre commencée à Orléans et si vite finie par les cris de (ses) morts aux armes au (?) jetant dans un café auprès de la cathédrale lorsque le canon a grondé avec impétuosité, et le combat s’engagea
il était 1 heure du soir lorsque nous vîmes pris par 3 (feux) après un vigoureux combat. Nous fumes obligés de battre en retraite et d’aller nous embusquer dans les tranchées jusqu’à jusqu’à 11 heures [du] soir par une gelée terrible et rester immobiles, à chaque instant des fusillades terribles puis (?) et voyant les forces prussiennes il a fallu abandonner notre ville d’Orléans. Ils étaient au nombre de 800 000 hommes et 100 pièces de canons contre une (douzaine ?) car la veille ils nous en avaient pris 28 dans la retraite de Chilleurs.Voici 4 jours et 4 nuits que nous marchons sans arrêter un instant et toujours et se battant et en fuyant, ils nous ont repoussé de 80 km au moins. Toute l’armée est découragée, ils nous ont pris tous nos bagages et vivres
et 15 à 16 milles prisonniers. Tout espoir est perdu [à] jamais. La France ne rendra jamais la pareille, ils sont trop forts. Je pense que nous seront obligés
de traiter par force et avant longtemps.Comme le lieutenant Juve (?) mon ancien (vert ?) capitaine à Angoulême il prend cette lettre mais c’est toujours le 2e bataillon qui a donné, ni Dumas ni Gacourois (?) n’ont donné mais il ont faillit être prisonniers. Comme je suis pressé je ne te donne guère de détails et il fait froid Je pense que demain nous allons à Argent ou à Aubignée. Là je me referai et je t’enverrai davantage. »
Émile rentre finalement dans ses foyers... mais il n’en a pas pour autant fini avec l’armée :
En 1873, licencié de l’armée, il passe dans la réserve de la Garde Nationale.
En 1875, du 3 au 30 septembre, il effectue une période d’exercice militaire.
En 1877, il est versé au 12° bataillon territorial du génie.
En 1879, du 17 au 29 avril, nouvel période d’exercice militaire au second régiment de génie.
En 1884, à dater du 1er novembre, en cas de mobilisation, étant dans la réserve de la territoriale, il est affecté à la gare de Ruelle.
Le 1er avril 1893, à 46 ans, Émile est enfin libéré du service militaire.
En octobre 1912, en reconnaissance des services rendus, le Ministère de la Guerre lui décernera la Médaille commémorative de la campagne 1870-1871.
Pendant la Grande Guerre, en 1915, Émile a beaucoup maigri. C’est maintenant un petit homme sec et nerveux. Je possède sa photo en pied devant une affiche de guerre « Taisez vous les murs ont des oreilles » sans doute prise à la gare de Ruelle. On sent qu’il est là chez lui et qu’il contrôle la situation.
Il disparait le 27 octobre 1919, de mort brutale, à l’âge de 72 ans.
Sources :
- Ortholan, Henri, L’armée de la Loire, B. Giovanangeli, Paris, 2005.
- Georges-Roux, La guerre de 1870, Les grandes études historiques, Fayard, 1966.
- Sernam, William et Bertaud, Jean-Paul, Nouvelle histoire militaire de la France, 1789-1919, Paris, Fayard, 1998.