J’ai fait la connaissance de François par ce fait divers recueilli dans le journal « La Lanterne » du 26 avril 1901 :
- (Source : Gallica, La Lanterne du avril 26 1901 (N8769, A24)
Revenons donc avec François à Charolles où il est né en effet le 21 mai 1886 (Charolles, naissances 1886).
Il y retrouve son père, Louis Percherancier, un tailleur de pierres de 46 ans, sa mère, Anne Alachon, 40 ans, ses dix frères et sœurs. Lui est le n°3. Le recensement achevé le 15 mai 1901 signale sa présence au foyer paternel.
Cinq ans plus tard, François passe devant le conseil de révision.
Tout ce que je sais désormais sur lui vient de sa fiche matricule (Source : AD071-1R-1906.4510).
Elle nous apprend beaucoup !
Il est pupille de Saône et Loire. Cette mention remplace celle raturée d’élève des hospices. La consultation du recensement de 1906 indique qu’Anne Alachon est veuve. Un seul de ses douze enfants vit avec elle, un petit Gabriel, né quinze jours avant le décès de son père, en mai 1903. A part l’aînée, mariée en 1901, les autres, tous mineurs, sont devenus pupilles du département et vraisemblablement dispersés.
A quoi ressemble ce François de vingt ans ? Brun aux yeux châtains, front couvert, nez moyen, bouche moyenne, visage ovale, menton rond. Taille : 1,54 m. Niveau d’instruction générale 3.
Autre information, raturée mais lisible : condamné le 11 décembre 1906 pour vagabondage à 8 jours de prison avec sursis par le tribunal d’Auxerre.
Commence alors la relation compliquée de François avec l’autorité militaire :
En 1907, on l’incorpore, mais une commission qui l’examine le classe dans la deuxième partie de la liste du canton pour « faiblesse de constitution », puis en 1909 une commission de réforme le classe « bon absent » et le maintient dans ses foyers jusqu’à son passage dans la réserve de l’armée active, ce qui est fait le 1er octobre 1909 (un de ses cadets, Louis, 1 m 54, cicatrice de brûlure sur la joue gauche) sera lui exempté pour « faiblesse irrémédiable »).
Bien que déclaré soutien de famille (19 mars 1908), François ne semble pas avoir joué ce rôle.
Il vagabonde à travers la France mais cette fois ce n’est pas pour vagabondage qu’il est condamné le 20 janvier 1911 par le tribunal de Saint Jean de Maurienne à un mois de prison et 25 francs d’amende pour complicité de vol et infraction à la législation sur les chemins de fer. 15 jours de prison le 15 novembre 1913 par le tribunal correctionnel de Marseille pour rébellion envers les agents et deux mois et 5 francs d’amende par le même tribunal le 7 mars 1914 pour violences et outrages à agents et ivresse.
Arrive août 14. Apparemment François ne se précipite pas vers le centre de mobilisation sur sa route ! Déclaré insoumis le 5 août 1914, il est arrêté à Béziers, condamné à 4 ans de prison, envoyé au pénitencier militaire de Douéra (Algérie), pas le genre de voyage qu’il apprécie.
Cependant la France a besoin de tous ses enfants, même des voyous. Une nouvelle commission de réforme le classe service actif en janvier 1915. Voilà François au 142e R.I., puis au 124e en 1916 (un de ses cadets est déjà tombé en Belgique en 1915, un autre sera tué en 1917 dans la Marne).
Quel soldat est ce mauvais sujet ? 3 citations nous l’apprennent :
Le 9 mai 1915 : « A fait preuve de courage et de sang froid en restant à son poste de guetteur au moment où les grosses bombes allemandes arrivaient sur lui. A été légèrement blessé. ».
Le 2 juin 1916 : « soldat très brave, volontaire pour les patrouilles sous un violent bombardement. Encourageait ses camarades à rester à leur poste. »
Le 27 mai 1917 : « D’un dévouement à toute épreuve. Ne cesse de s’exposer au danger. Volontaire pour les missions difficiles. A sauvé deux de ses camarades blessés et ensevelis, malgré un violent bombardement. »
Brave, bon camarade… mais toujours rebelle : Le 10 janvier 1918 il est condamné à 11 mois de prison pour outrages envers un supérieur ! Peine suspendue le même jour par le général commandant le 124e RI.
On l’envoie au 101e RI le lendemain. Il participe à la dernière offensive de Foch.
Il est fait prisonnier le 15 juillet 1918.
Rapatrié le 5 janvier 1919, il n’en a pas fini avec l’armée : démobilisé le 13 mars 1919, il est réaffecté au 134e RI le 1 septembre 1921, ce qui nous permet de suivre ses mésaventures jusqu’en 1935, date de sa libération du service militaire.
En quittant le corps, il donne comme adresse celle de sa mère, à Charolles. S’il y retourne il n’y trouve ni Jean-Marie, ni Jean, morts au combat, ni Louis, gazé en juin 1918 dans l’Oise et qui habite Lyon. Dès juin 1919, sa nouvelle adresse est à Rouen, 23 rue Mortainville, chez Leroy. Pourquoi Rouen ? Qui est Leroy ? Un copain de guerre ?
Comment François se réadapte-t-il à la vie civile ? Mal.
En 1922, il est condamné à 2 mois de prison pour vol par le tribunal de Rouen. A cause de cette condamnation ( ?) l’armée l’affecte au 8e groupe spécial.
Les quatre années qui suivent semblent avoir été pour François une soulerie perpétuelle, dont sa fiche matricule peine à rendre compte faute de place pour noter les quinze condamnations pour ivresse jusqu’au 26 novembre 1925.
Et puis voilà que l’énumération s’arrête… jusqu’au 29 juillet 1932 où François est condamné à huit jours de prison par le tribunal du Havre mais cette fois pour défaut de carnet anthropométrique. Plus de condamnation ensuite.
Les deux dernières lignes de la fiche matricule sont pour noter qu’il a été libéré du service militaire le 16 septembre 1935 et déchu du droit à la retraite du combattant le 25 janvier 1937.
Je ne sais pas ce qu’il est devenu entre 1925 et 1937, puisqu’il a perdu la mauvaise (mais utile au chercheur) habitude de se faire coffrer au moins trois fois par an ! Et je voudrais bien le savoir !
Plus d’ivresse sur la voie publique. Plus de prison. S’il y en avait eu, l’armée n’aurait pas manqué de le noter jusqu’en 1935, non ?
Que signifie cette histoire de carnet anthropométrique ?
J’ai essayé de me renseigner sur l’article 271 du code pénal qui justifie la condamnation. Cela renvoie au vagabondage, mais je n’ai pas trouvé mention du carnet anthropométrique qui était exigé des « nomades » depuis 1912. Les vagabonds entraient-ils dans la catégorie « nomade » que je croyais réservée aux « gens du voyage » ?
Il est encore vivant en 1937.
A-t-il fini par trouver un équilibre ? Un métier ? Il a appris le métier de coutelier dans sa jeunesse, mais en 1919, il est déclaré journalier.
S’est-il marié ? A-t-il eu des enfants ?
Ou a-t-il fini sa vie en SDF ?
Trois de ses frères ont eu un destin tragique, deux frères et cinq sœurs vivent encore en 1937, mais pas en Normandie. Rien à attendre de ce côté-là.
Qui peut répondre à mes questions ? Qui peut m’aider à retrouver la trace de François le rebelle ?