Sur le registre paroissial [1], Etienne Verd, le curé, fait état d’un « accident », sans donner plus de détails sur les circonstances et les causes du drame, sinon qu’il s’était déroulé dans la cour du château.
Etienne Verd, avait pris la suite de son frère Claude, comme curé de Verrières. Claude, était devenu curé de Lézigneux, une localité voisine, et archiprêtre de Montbrison. Une de leurs nièces, épousa un Génébrier (ancêtre de l’auteur) dont trois des frères furent également curés en Forez : à Veauche, Rivas et Saint-Just-en-Chevalet. Claude Verd et Jean Génébrier étaient docteurs en théologie, Jean ayant obtenu son diplôme en Sorbonne. Il n’était pas rare de trouver, à cette époque, des fratries de prêtres. Souvent instruits par un oncle curé (comme ce fut le cas pour Claude et Etienne Verd), leur voie était toute tracée [2] |
Parmi les victimes, il nota, tout d’abord, un homme d’une soixantaine d’années dont on ignore le nom et qui serait venu d’une paroisse du nom de Saint-Antoine (Saint-Anthême, en Auvergne, distant d’une dizaine de kilomètres ?). Etaient également décédés une femme, Marie Mousnier, de la paroisse de Gumières, localité voisine, âgée d’une quarantaine d’années, une petite fille du nom de Marie Aubert, âgée d’environ six ans, et deux enfants de neuf et treize ans, également de Gumières.
Un autre gamin, retrouvé sans vie, était probablement, selon les témoins, le fils d’André Bealen, toujours de Gumières. Enfin, trois autres enfants faisaient aussi partie des victimes, sans que l’on ait pu leur donner un nom et un âge, et donc, retrouver leur famille.
Ils furent tous enterrés au cimetière de Verrières. Le père de la petite Marie Aubert était présent. Se trouvait-il à Soleillant avec les autres et avait-il échappé à cette mort collective ? Ou était-il venu de son village après avoir appris le drame ? Deux marchands, l’un de Gumières, et l’autre de Verrières, furent témoins aux funérailles. Leur nom fut noté sur le registre paroissial, comme cela était prescrit.
Il serait intéressant de savoir ce que venaient faire toutes ces personnes au château de Soleillant. Parmi elles, certaines étaient peut-être domestiques de la famille de Claude Rival, seigneur du lieu ; mais, si tel avait été le cas, elles auraient probablement dû être identifiées.
Une autre solution, assez crédible, nous est encore offerte par le registre paroissial. Il nous apprend, en effet, que trois jours avant le drame, « noble Claude Rival, sieur du Soleillant, avocat au Parlement », était passé de vie à trépas dans son vieux château. Agé d’une soixantaine d’années, il fut enterré dans la chapelle de sa famille, à l’intérieur de l’église de Verrières.
En cette fin d’hiver 1693, particulièrement rigoureux et meurtrier, le sieur Rival avait peut-être prévu, dans son testament, comme cela se faisait souvent, de faire donner aux pauvres, du pain et des bichets de soupe. Nous pouvons donc imaginer que les indigents du voisinage, ayant appris la nouvelle de ce décès, vinrent nombreux, de plusieurs lieues à la ronde et le ventre vide, pour obtenir un peu de nourriture. Que seraient-ils venus faire au Soleillant si ce n’était pour cette raison ?
Mais dès lors, il est surprenant de ne relever, parmi les victimes, aucun habitant de la paroisse de Verrières, sur laquelle se trouvait le Soleillant. Les habitants de cette localité regagnèrent-ils leurs maisons toutes proches, le jour-même, tandis que ceux de Gumières, localité plus éloignée, choisissaient –décision bien funeste- de différer leur retour chez eux au lendemain, préférant passer la nuit au Soleillant ?
Tout cela n’est évidemment qu’une succession d’hypothèses. Toutefois, le château de Soleillant, déjà en 1599, apparaissait comme une bâtisse à demi effondrée, aux planchers pourris, sa tour et sa cheminée fendues [3]. Une telle description est de nature à conforter la thèse d’un éboulement ayant enseveli les malheureuses personnes présentes dans l’enceinte du château. Il est dit qu’après la mort de Claude Rival, le château resta inhabité.
Le mauvais état des constructions à cette époque
Tout comme le Soleillant, les bâtiments publics ou privés étaient souvent mal entretenus et s’effondraient régulièrement sur leurs occupants ou les passants. Lorsque nous avons la chance de retrouver des « sommaires à prise », à la fois état des lieux et devis des travaux de réparation, nous ne pouvons qu’être stupéfaits ! Même certains bâtiments, comme « les prisons royaux » de Montbrison ou de Roanne, étaient délabrés, favorisant ainsi un nombre impressionnant d’évasions : les planchers sont troués, les portes manquent, les serrures font défaut [4], ce qui est le comble pour une prison ! Les canalisations sont rompues et l’odeur y est pestilentielle.
La description du jeu de paume de Roanne [5], à cette même époque, surprend tout autant : Les travaux nécessaires pour réparer les planchers éventrés et la toiture branlante sont innombrables, sans parler du filet cassé, du petit matériel disparu et des rideaux (devant protéger les joueurs de l’éblouissement du soleil) en lambeaux. L’entretien des bâtiments semblait être le cadet des soucis de la plupart de nos ancêtres du XVIIe siècle.
Lorsque monseigneur Camille de Neuville, archevêque de Lyon, vint faire sa visite pastorale en 1662 [6], dans ce qui est l’actuel département de la Loire, ses commentaires relatifs aux curés Foréziens et à la tenue de leurs églises, furent, dans l’ensemble, plutôt élogieux.
Néanmoins, il nota que certains lieux de culte et presbytères étaient en piteux état. Il vit des toiles d’araignées dans les tabernacles, des croix des chemins à terre, des cimetières dont les barrières étaient abattues et où chiens et autres animaux entraient librement avec les conséquences que l’on peut imaginer. Il exigea que des réparations soient rapidement entreprises.
A Saint-Rirand, plus au nord du département, le cimetière, pourtant entouré de « murailles sèches », était ouvert en trois ou quatre endroits et le presbytère avait besoin de très nombreuses réparations. L’archevêque ordonnera de remettre tout en état et notamment de « raccommoder » le clocher « dont le bois se pourrit ».
C’est aussi ce que constata dans le village de Lavieu [7], non loin de Verrières, l’archiprêtre Dauzat, curé de Feurs, lorsqu’il fit le tour de ses paroisses, quelques années plus tôt, pour anticiper la venue du prélat : « Nous invitons les paroissiens de Ladvieu, auparavant la visitte de monseigneur l’archevesque, qu’ilz ayent a faire mettre une grille de fer ou du moins de boys a l’entrée de leur cimetière, […] et faire racommoder une croix de pierre qui est au long du chemin devant qu’elle tombe, toutes ces […] choses estant très nécessaires et regardent la gloyre de Dieu et l’honneur de son Eglise. Huy, onzième novembre 1657. Dauzat Archiprestre ».
Il va sans dire que les maisons des particuliers n’étaient pas mieux entretenues. Ainsi, Anthoine Fournon [8], originaire d’Unias, avait quitté sa paroisse pour entrer au service de dame Claire Vinols, veuve du sieur Jean Pinatelle, marchand et hôte (aubergiste) de Lézigneux. Anthoine s’y trouvait encore en février 1698, quand il fut écrasé sous les ruines d’un bâtiment. On ne sait pas si l’édifice appartenait à sa maîtresse ou s’il s’agissait d’un autre bâtiment de la paroisse. Toujours est-il que le corps d’Anthoine fut enterré dans le cimetière du lieu, accompagné par deux habitants du village. L’un d’eux s’appelait Jacques Pinatelle, comme l’un des fils de Claire Vinols.
Dans une autre paroisse, Jeanne Mathevet, âgée d’environ quarante-cinq ans, décéda sous les ruines de la maison de son beau-frère, cordonnier. Il eut le temps, lui, de recevoir les saints sacrements après avoir été retiré « tout meurtri » des décombres.
En 1684, lorsque les hommes de la maréchaussée de Roanne se rendirent chez Etienne Méaudre, un habitant de Luré qui avait été attaqué dans sa maison, en pleine nuit, ils purent constater que le mur était en grande partie effondré et que l’on pouvait facilement pénétrer dans sa cour. Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.
Imaginons que le drame de Verrières, en 1693, se soit produit aujourd’hui. Les familles des victimes porteraient plainte, on commencerait à rechercher les responsabilités, les assurances interviendraient, on chiffrerait les préjudices et les indemnisations à offrir aux familles. Au XVIIe siècle, et bien plus tard encore, on mettait cela sur le compte de la fatalité. Lors d’un décès accidentel, lorsque les autorités judiciaires se saisissaient de l’affaire et constataient une faute du propriétaire, celui-ci n’était condamné, généralement, qu’à une simple amende pour les caisses du roi, du seigneur du lieu ou de l’hôpital, à prendre des mesures pour que l’accident ne se reproduise pas, au paiement des frais de procédure et … à faire une aumône à l’église du lieu dont le curé dirait des messes pour le repos de l’âme de la malheureuse victime.
Actes du bailliage de Roanne : Saint-Romain-La-Motte, 1689. Mort d’une servante qui était allée chercher de l’eau dans un puits étroit, creusé à même le sol et sans muret de protection. On demanda au propriétaire de faire, notamment, bâtir un mur autour du puits et, cela fait, d’en apporter la preuve au bailliage. |