Pour commencer cette histoire, nous sommes en 1792, le trente Décembre – an premier de la République, René CARRE cosigne l’arrêté du registre paroissial tenu durant toute l’année par le Curé de Saint Sulpice en Pareds avec notamment Charles Nicolas BLAIZOT.
C’est ce dernier qui rédigera en début d’année 1793 les actes de naissance formulés comme ci-dessous :
« a été présenté un enfant reconnu de sexe féminin ». Il s’agissait en effet de la naissance d’une petite fille.
AD85 - Saint-Sulpice-en-Pareds Etat civil - Naissances janv.-févr.1793 (Vue 1)
Une lacune dans les archives nous fait faire un petit saut dans l’histoire jusqu’en 1796, nous retrouvons alors René CARRE assumant la fonction d’Agent municipal et enregistrant les actes « destinés à constater les naissances, mariages et décès des citoyens » de la commune de Saint Sulpice en Pareds qui comptait à l’époque environ 700 habitants.
Les actes dont il est le rédacteur sont entièrement manuscrits mais concernant les naissances, présentent la particularité de ne pas préciser le sexe des nouveau-nés. René CARRE les établit « d’après les déclarations à la vérité et la représentation faite de l’enfant » par les déclarants et les intitule « acte de batême ».
Il faudra se contenter du seul prénom de l’enfant comme critère de distinction entre garçon ou fille (Jean, Jeanne, Jacques, Perrine, Marie, par chance Il n’y avait pas de prénom mixte).
Exemple d’un acte de "batême" d’une fille [2] :
Exemple d’un acte de "batême" d’un garçon [3] :
Lors de l’enregistrement du dernier acte de l’an V, René CARRE est plus précis, il écrit Jeanne « fille inconnue de père » et en marge l’intitulé devient « acte de naissance ».
20 Fructidor de l’an V - (6 Septembre 1797) - Naissance de Jeanne
[4] :
Désormais, les actes de naissance stipuleront clairement que l’enfant est fils ou fille de...
1er Vendémiaire de l’an VI- Naissance de Marie P.
[5] :
« Marie P. est né du même jour, fille du légitime mariage …… »
1er Vendémiaire de l’an VI - Naissance de François I.
[6] :
« François I., né du même jour, fils du légitime mariage »
A partir du mois de Nivose de l’an VI, la formulation des actes de naissance est modifiée et nous verrons apparaître la notion d’"enfant malle" pour les garçons et de « filles » pour les filles.
Pendant cette période, les actes seront signés René CARRE : Agent, mais principalement René DURET : Adjoint et Pierre BRIFFAUD Agent.
12 Nivôse de l’an VI (1er Janvier 1798) – Naissance d’une fille : Suzanne Marie G.
[7] :
5 Pluviôse de l’an VI (24 Janvier 1798) - Naissance d’un "enfant malle" : René B.
[8] :
C’est ainsi que des petits « enfants malles » et des « filles » viendront jusqu’à l’an X, agrandir les familles de Saint Sulpice en Pareds.
Un petit changement toutefois, à partir du 7 Fructidor de l’an Huit (25 Août 1800), René CARRE ne signe plus Agent de la commune, mais Maire et à partir de cette date jusqu’en 1826, c’est pratiquement lui seul qui enregistrera l’ensemble des actes d’état civil.
Au mois de Vendémiaire de l’an X, nous sommes en Octobre 1801, apparaissant les registres d’état civil aux pages pré-imprimées.
Concernant les naissances, il faut remplir la rubrique : « le sexe de l’enfant a été reconnu être »
Inexorablement René CARRE inscrira le mot « féminin » que ce soit un garçon ou une fille.
Mais il complètera correctement la rubrique « fils ou fille de » et précisera au paragraphe : « sous la réquisition à nous faite », que la mère est accouchée d’une fille ou d’un garçon.
30 Vendémiaire de l’an X - (22 Octobre 1801) – Naissance d’une petite fille
29 Frimaire de l’an X - (20 Décembre 1801) - Naissance d’un garçon
[9] :
L’acte de naissance de René Aimé son fils, est très intéressant.
En effet la rubrique « le sexe de l’enfant a été reconnu être » est restée en blanc.
On notera que René CARRE et Jeanne Marie BERTRAND les parents, ne sont pas mariés, d’ailleurs l’acte précise « fils naturel » et non « fils légitime ».
25 Floréal de l’an X - (15 Mai 1802)
De plus, même si l’écriture et la forme semblent appartenir à Monsieur le Maire, c’est Jean DURET son adjoint qui a constaté la naissance et signé l’acte.
Le 17 Messidor de l’an XI - (6 Juillet 1803), lors de la naissance de Jean B., le mot féminin a été rayé et remplacé par le mot masculin. Au bas de l’acte, la mention un mot rayé nul … semble confirmer que cette correction fait partie de l’acte et n’a pas été rajoutée ultérieurement.
On aurait pu croire qu’à l’avenir, la lumière ayant jailli, les déclarations de naissance des petits garçons seraient conformes.
C’était sans compter sur l’opiniâtreté de notre Maire qui continua scrupuleusement à consigner dans ses registres la naissance de « garçons de sexe reconnu être féminin ».
A partir de l’an XII, on revient aux pages blanches pour l’enregistrement entièrement manuscrit des actes de naissance, mariage, divorce et décès, chronologiquement sur un même registre. Mais René CARRE conservera la même présentation.
20 Brumaire de l’an XII (12 Novembre 1803)
[10] :
Acte de naissance de Louis R. né le …., fils légitime
Le sexe de l’enfant a été reconnu être féminin
Louise M. est accouchée d’un garçon
Une exception toutefois lors de l’enregistrement du décès de cette Mère morte en couches ainsi que son nourrisson :
20 Frimaire de l’an XII (12 Décembre 1803) – Décès de Mathurine B. et de François B. son fils [11]) :
« un enfant malle qu’on lui a tiré du corps après son décès ».
L’enfant n’étant pas né par les voies naturelles mais par césarienne.
4 Nivôse de l’an XII - (26 Décembre 1803)
[12] :
Acte de naissance de René Jean I. né le …., fils légitime
Le sexe de l’enfant a été reconnu être féminin
Françoise C. est accouchée d’un garçon
Puis, abandonnant le style « formulaire » des anciens registres pré-imprimés, René CARRE retrouve en l’an treize, un style plus personnel pour l’enregistrement des naissances.
4 Pluviôse de l’an XIII - (24 Janvier 1805) Naissance de Jacques A….. - Enfant de sexe féminin [13] :
La tournure de la phrase « le sexe de l’enfant a été reconnu être », n’existe plus, en revanche, tous les enfants naissent de « sexe féminin ». Dans l’acte ci-dessus il s’agit d’un enfant de sexe féminin prénommé Jacques ! mais aucune précision complémentaire pour lever le doute, du style « fils de ».
Un peu plus tard, pour pallier cette lacune il modifiera la tournure de sa phrase et enregistrera dans ses registres la naissance de « filles de sexe féminin » et de « garçons de sexe féminin ».
20 Janvier 1808 – Naissance de François CARRE – garçon de sexe féminin
(Il s’agit du propre fils de Mr le Maire !) - AD85 - St-Sulpice-en-Pareds Etat civil - Naissances, Mariages, Décès an XI-1811 (Vue 148)
Rien ne semble inquiéter notre Maire qui poursuit ainsi sa littérature si ce n’est qu’en 1811, le 17 Juillet, il doit enregistrer la naissance de Geneviève, enfant dit « naturel », né d’une relation illégitime entre Mathurin M. et sa belle-sœur (couple non marié).
Bizarrement cette petite fille ne sera pas déclarée de sexe féminin, mais de sexe naturel ! [14] :
Quand le 23 Juillet 1811, René CARRE rédige l’acte de naissance de Pierre B.
il indique comme à son habitude « garçon de sexe féminin » mais nous constaterons que cette mention a été rayée.
et il est précisé au bas de l’acte : trois mots rayés nuls
AD85 - Saint-Sulpice-en-Pareds Etat civil - Naissances, Mariages, Décès an XI-1811 (Vue 231)
5 Septembre 1811, naissance de François Pascal M. ,
Il s’agit d’un garçon mais Il n’y a pas de précision concernant le sexe de l’enfant.
[15] :
Monsieur le Maire n’est pas encore convaincu !
Il aura fallu attendre jusqu’au 22 Octobre 1811, pour que tout rentre dans l’ordre.
Désormais, les filles seront bien de sexe féminin et les garçons de sexe masculin.
Ainsi, prendra fin cette longue lignée de garçons de sexe reconnu être féminin, qui n’a existé heureusement que sous la plume de Monsieur René CARRE.
Cette absurdité a duré tout de même une dizaine d’années et on ne peut que s’interroger sur les raisons qui ont conduit son auteur à la perpétuer aussi longtemps.
Il était Marchand de son état, Agent municipal en 1796 (il est alors âgé de 29 ans ), Maire en 1800 et exercera cette fonction jusqu’en 1826.
On peut supposer qu’il avait fréquenté l’école. Il savait lire et écrire mais il semblerait qu’il ait été très mal à l’aise avec le mot « sexe » et fort gêné lorsqu’il s’est vu contraint d’utiliser les formulaires pré-imprimés qui contenaient la petite phrase « le sexe de l’enfant a été reconnu être ».
C’est en effet à partir de ce moment-là que la dérive a commencé.
A-t-il mal interprété cette phrase et a-t-il pensé que la question concernait non pas le propre sexe de l’enfant mais celui dont il était issu à la naissance ce qui pourrait expliquer qu’invariablement il ait indiqué « féminin ».
Lors de la naissance de François B. né par césarienne, sa mère n’ayant pu le mettre au monde par les voies naturelles, c’est un « enfant mâle qu’on lui a tiré du corps » et non un « garçon de sexe féminin ». Cette subtilité dans la description que René CARRE fait de l’évènement tendrait à confirmer cette hypothèse.
Lorsqu’en 1797, il rédige « librement » l’acte de naissance de Jeanne, il utilise les termes « fille de père inconnu ».
Nous avons vu qu’à cette période le mot « sexe » n’apparaissait pas sous sa plume.
En 1802, pour la naissance de son propre fils né « hors mariage » la rubrique du registre pré-imprimé « le sexe de l’enfant a été reconnu être » est restée en blanc.
et en 1811 pour la naissance de Geneviève, enfant illégitime, il précise fille de sexe naturel.
Comme si pour lui, le fait que la mère avait eu une relation « illégitime » excluait qu’on puisse reconnaître son enfant comme étant de sexe ….. « féminin »
Pour mémoire, son second fils, né de son légitime mariage sera quant à lui un garçon de sexe féminin.
Ce qui est incroyable c’est que personne n’ait dénoncé cette erreur qui a perduré pendant plus de dix ans.
Comment croire qu’aucun de ses concitoyens (tous malgré l’époque n’étant pas illettrés ), qu’aucun notable, préfet, conseiller municipal, ne l’ai amené à la rectifier avant fin 1811.
Monsieur CARRE est-il resté sourd à toutes remarques ?
La première tentative de Juillet 1803, peut-être à l’initiative d’un témoin, n’ayant pas été suivie d’effet.
L’erreur est humaine et peu importe la manière dont la lumière lui est apparue.
Il a délivré des registres bien tenus, assez bien écrits pour être parfaitement lisibles et contenant l’essentiel des informations que tout généalogiste recherche.
N’oublions pas qu’Il a pris ses fonctions au moment où la France était en pleine révolution et où sévissaient les guerres de Vendée et qu’il s’est consacré à la commune de Saint Sulpice en Pareds pendant une trentaine d’années.
Cela mérite bien notre indulgence !
Sources :
- Les Archives Départementales de Vendée
- Registres d’Etat civil de Saint Sulpice en Pareds : Naissances, mariages et décès.