La nébuleuse familiale s’étend jusqu’au seuil de la parenté
Dans l’entourage immédiat d’un individu, on distingue plusieurs cercles relationnels :
- la famille proche (paternelle et maternelle) : ce groupe comprend le père et la mère, les frères et les sœurs, les beaux-frères et les belles-sœurs, c’est-à-dire les conjoints des frères et des sœurs, les grands-parents, les tantes et les oncles et les cousins germains. Selon les situations familiales, les circonstances et les aléas de la vie, certains peuvent vivre sous le même toit une partie variable de leur existence. Entre ces parents proches, les liens familiaux sont vivants et bien réels. Ils s’expriment par des fréquentations régulières, des invitations et des réceptions lors d’événements majeurs (baptêmes, noces ou funérailles), des échanges épistolaires lorsqu’ils savent écrire, l’entraide et la solidarité… mais parfois aussi par des relations conflictuelles.
- la famille éloignée ou « ceux qui sont un peu parents » : il s’agit des enfants issus de cousins germains que l’on reconnaît encore comme parents, surtout s’ils vivent dans un rapport de voisinage ou une relation de relative proximité géographique ou professionnelle. Si, en général, les liens familiaux sont de plus en plus faibles à mesure que l’on s’éloigne de la famille conjugale et de l’horizon du village ou de celui des paroisses environnantes, cela n’est pas toujours le cas comme le suggère la lecture des souvenirs de Nicolas Rétif de la Bretonne (voir page suivante).
- ceux qui sont sortis de la famille : il s’agit d’individus dont les liens de parenté, trop lointains, sont oubliés. Ce sont eux qui se situent au-delà des limites de la parenté car, comme le souligne Jean-Louis Beaucarnot (Ainsi vivaient nos ancêtres, p. 39), il faut bien qu’il existe « un seuil de parenté où les relations s’estompent : on cesse, lors des enterrements, de se mêler à la famille, on n’est plus parent. Les rapports redeviennent de simples rapports de voisinage. Les maisons ne se fréquentent plus ».
Dans La Vie de mon père (p. 82), le passage suivant suggère qu’un paysan distinguait bien sa parenté dans le cadre de sa paroisse de résidence : « Nous fûmes joints par un homme qui sortait de sa vigne, son hottereau sur le dos : c’était Jean Pyot, le tisserand, cousin maternel de l’abbé Thomas. Il dit à celui-ci : Bonjeu, mon couhingn. N’an dit qu’vous v’nez d’Pahis ? - Il est vrai, cousin. - Savez-vous que l’couhingn Jean Pyot, fi’ [de] Jean le marêchal, vi’ à vi feu voute granpehe, ôt mort ? - Non, mon cousin. »
Puis dans Monsieur Nicolas, à plusieurs reprises, Rétif évoque les visites de la parentèle :
D’abord, deux parents dont la nature du lien n’est pas précisée : « Les deux Restif de Joux, Jean et Bénigne, venaient souvent à la maison [...] Ils racontaient des nouvelles de ce qui se passait à l’orient de mon village » (c’est-à-dire à Joux, paroisse située à environ 7 kilomètres de Sacy).
Puis, deux cousines dont il fait la connaissance à l’âge de dix ans : « Un soir, en arrivant de l’école, j’entendis qu’il y avait à la maison deux de mes cousines Gautherin d’Aigremont : c’étaient les filles d’une sœur de la mère de mon père. La blonde Marie, l’aînée, se mariait ; elle venait en prévenir son oncle. » (Aigremont est à environ 12 kilomètres de Sacy).
Puis, les sœurs germaines de son père, dont Madelon domiciliée à cinq kilomètres de Sacy et qui venait parfois voir ses neveux : « elle aimait [les enfants] de son frère comme s’ils eussent été les siens ; j’étais surtout l’objet de ses complaisances et de sa tendre et sincère affection ; aussi, dès qu’on me parlait d’aller chez ma tante Madelon, j’étais transporté de joie ».
Puis, il rattache aussi à sa parenté, la famille par alliance de sa tante, l’une des sœurs de son père : « J’avais à Nitry un autre bel oncle, mari de ma tante Marie, sœur cadette de mon père, nommé Pierre Leclerc (...). Il avait avec lui un fils, plus âgé que moi d’un an ou deux. Nous fîmes connaissance ».
Toujours à Nitry, il rencontre d’autres parents dont la belle Edmée Boissart : « Je vis sortir d’une maison (...) une jeune fille, ou plutôt une nymphe (...) « Edmée ? lui dit ma tante, c’est ton cousin Nicolas de Sacy, et tu ne viens pas l’embrasser ? »
Enfin, Nicolas évoque deux vieillards, dont le premier est Jean Rétif, avocat à Noyers (à quinze kilomètres de Sacy), cousin germain de son grand-père, et le second est son « cousin Droin, des villages de la Rivière », des Rétif domiciliés à Grenoble, bien loin de la Bourgogne natale.
D’après Nicolas Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas ou Le cœur humain dévoilé, Paris, Isidore Liseux Éditeur, 1883 (d’après l’édition de 1796) et La vie de mon père, op.cit.
Source : Familles & ménages de nos ancêtres, au même pot et au même feu, éditions Thisa, 2013.