L’école des garçons est fréquentée par une bonne trentaine d’élèves de tous âges entre 6 et 14 ans, se répartissant entre toutes les classes situées dans une grande salle commune, regroupant les cours préparatoires première et deuxième année, les cours élémentaires, le cours moyen et le cours supérieur, lequel prépare au certificat d’études nécessairement passé au canton de Noailles.
- L’école communale de Laboissière
Le maître d’école, comme on l’appelle à l’époque, s’organise pour faire fonctionner seul, sans assistant, toutes ces classes en parallèle, y faisant régner une discipline rigoureuse et distribuant astucieusement travail et savoir entre les différents cours.
Je ne l’ai jamais vu se mettre en grève. Son souci essentiel est d’amener chacun de ses élèves à passer avec succès l’épreuve finale du certificat d’études.
Nous sommes très loin de l’état d’esprit des enseignants du 21e siècle qui exigent assistants, stages de formation personnelle, ou policiers pour encadrer les enfants, et oublient de leur apprendre les notions élémentaires de politesse et de savoir-vivre en groupe.
Durant les cinq années passées dans cette école, je n’ai jamais eu à constater la suppression d’un jour de classe pour absence du maître. Je l’ai parfois vu malade. Il met alors son point d’honneur à assurer ses cours, prenant soin cependant, lors de la récréation, d’aller se soigner dans ses appartements qui communiquent avec la salle de classe.
Cette grande salle est chauffée par un poêle rond vertical placé au milieu et dont les tuyaux de départ de fumées cheminent, à un mètre sous le plafond, sur la plus grande longueur de la salle. Par grands froids, le poêle est allumé, avant l’arrivée des élèves, par la femme de ménage de la mairie dans les locaux de laquelle se situe l’école. Quand il fait moins froid et qu’elle n’a pas jugé utile de l’allumer c’est le maître qui l’allume avec l’aide de certains élèves chargés de faire la noria entre la réserve de bois, sous le préau, et la salle de classe. C’est là que j’ai appris à transporter plusieurs bûches empilées sur un seul bras, et aussi à allumer un feu en disposant, en étage dans le poêle, papier froissé, brindilles puis petits bois.
La cour de récréation est très grande. Elle est divisée en deux parties, l’une réservée aux plus grands et l’autre aux plus petits, pour éviter des accidents. Pendant les récréations, quel que soit le temps, dans la cour des grands, on joue aux barres. Quand il est de bonne humeur et n’a pas de retard dans son travail c’est le maître qui arbitre la partie. Il donne l’impression d’éprouver autant de plaisir à arbitrer que nous à jouer.
La plupart des enfants qui fréquentent cette école sont issus de famille installées depuis longtemps dans le village. Il n’y a qu’un seul enfant noir qui semble un peu perdu au milieu de nous tous. Ses cheveux sont crépus. Il s’appelle Roger Koité. Au début, nous le considérions comme un phénomène. Il a cependant réussi à se faire accepter tellement il est agréable de contact. Son plus grand défaut être d’être bavard comme une pie. Pendant la classe il s’est retrouvé plusieurs fois puni avec une pince à linge sur les lèvres pour l’obliger à se taire. Il a fini par accepter la discipline. Si cette punition avait été donnée au XXIe siècle, on aurait assisté à une réaction de masse des parents d’élèves.
- L’auteur en 1942
Les punitions sont notées sur un cahier de punitions. Elles ne comportent que très rarement des retenues parce que le maître exerce, en plus de sa fonction à l’école, celle de secrétaire de la mairie. La classe se termine à 16h30 et, de 17h à 19h, il est à la mairie. Il ne peut donc conserver les mauvais élèves en retenue que de 16h30 à 17h.
L’essentiel des punitions sont des lignes à copier plusieurs dizaines de fois du genre :
* Je ne dois pas bavarder avec mon voisin pendant le cours,
* Bijou, caillou, chou, genou hibou joujou et pou prennent un x au pluriel.
Ce peut être aussi la table de multiplication par 9 ou une de celles de division.
Chaque lundi matin, on consacre quelques minutes à la présentation des punitions rédigées. La règle est connue de tous : si la punition n’est pas faite, elle est doublée.
Mon voisin de table, en cours élémentaire, Roland Melun, s’était mis dans la tête de ne pas rédiger ses punitions. Elles ont donc doublées chaque semaine. De guerre lasse, le maître a obligé Roland à écrire ses punitions, chaque matin, pendant les heures de classe. Il l’a isolé au fond de la classe, le privant de cours pour qu’il puisse se consacrer à plein temps au rattrapage du retard de punitions. Roland, qui ne manquait pas d’imagination, a mis en place un dispositif constitué de trois crayons papier assemblés par des élastiques pour écrire, d’un seul jet, trois lignes en même temps.
Pour ceux qui omettaient d’apprendre leurs leçons, il y avait l’affront suprême de passer une heure dans un coin au fond de la classe, au voisinage des porte-manteaux, avec un bonnet d’âne sur la tête. Pas physiquement douloureux sauf la station debout sans avoir droit de s’appuyer sur un des murs du coin. Mais quelle honte ce bonnet ! On peut compter sur les copains pour le faire savoir dans le village et surtout auprès des filles.
Les horaires sont de 8h30 à 11h30 et de 13H30 à 16h30. Tous les élèves rentrent à la maison pour le repas de midi. Il n’y pas classe le jeudi toute la journée. C’est le jour du catéchisme.
Pendant la saison d’hiver, tous les quinze jours, en fin de semaine, il y a une séance de cinéma à l’école des garçons. Elle regroupe les enfants des deux écoles : les filles viennent en rang, depuis leur école, accompagnées de leur maîtresse, s’installer dans notre classe aménagée en conséquence avec des bancs prélevés dans la salle de la mairie et installé par nos soins.
C’est le maître qui fait fonctionner le projecteur payé par la coopérative scolaire. C’est un cinéma parlant avec un gros haut parleur installé derrière l’écran. Le programme comprend un documentaire genre Pêche à la baleine ou Fabrication des fromages dans les Alpes, suivi par un comique genre Charlot ou Laurel et Hardy, ou Félix le Chat.
Le son doit être réglé assez fort, pour couvrir le clic-clic du projecteur.
La télévision n’est pas encore née et nous sommes satisfaits de cette nouvelle distraction.
Certains élèves punis, deux ou trois garçons ou filles, sont privés de films : ils sont présents mais assis le dos à l’écran. Ils doivent se contenter du son et des rires de leurs camarades.
C’est grâce à la coopérative scolaire, complété par la Caisse des Écoles, que les deux classes de garçons et filles peuvent bénéficier en fin d’année scolaire, en général le dernier jour de l’année, d’un voyage en autocar pour visiter une curiosité régionale.
Malgré un départ dès l’aube et un retour tard dans la soirée, le rayon d’action est de l’ordre de 150 à 200 km, compte tenu de la moyenne réduite sur des routes départementales ou nationales. Les autoroutes n’existent pas encore. La bonne humeur règne dans les deux cars où un des parents est autorisé à accompagner sa progéniture. Quant plusieurs enfants d’une même famille sont du voyage le regroupement familial est autorisé si bien que les autocars ont exceptionnellement des contenus mixtes, à la grande joie des garçons et des filles des classes terminales.
C’est dans ce contexte que la jeunesse scolaire de Laboissière découvre, au cours de plusieurs années successives :
* les falaises d’Étretat et la plage du Tréport,
* la forêt et le château de Fontainebleau,
* l’aéroport commercial du Bourget, unique en région parisienne.
Ce voyage scolaire annuel est un évènement au village. La contribution parentale très modique le rend accessible à l’ensemble des familles du village dont la plupart n’ont d’autres moyens personnels de locomotion que la bicyclette. En 1939, dans le village qui devait compter une centaine de familles, il n’y avait qu’une dizaine de familles qui possédaient un véhicule.
Chaque fin de mois, c’est l’époque des compositions mensuelles. Ces épreuves conditionnent le classement de chaque classe et les notes obtenues sont portées au bulletin mensuel présenté aux parents. L’originalité de ces épreuves est que, dans notre école, les places physiques sont affectées en fonction du classement : comme chaque classe est constituée d’une seule rangée de tables scolaires à deux places, allant de l’estrade du tableau noir au fond de la classe, les meilleurs élèves du classement occupent les places des premières tables. Ce classement physique m’a beaucoup stimulé pendant le temps de cette école communale. Être premier ou deuxième me permettait de rester dans la première table. Je n’ai été que très rarement troisième. Occuper la deuxième table revenait pour moi à être dilué dans la masse des élèves.
- L’auteur, sa sœur et sa mère en 1938/39
Pendant l’occupation allemande, le maître d’école a utilisé quelques élèves, dont je faisais partie, pour l’assister dans son travail de secrétaire de mairie : à chaque arrivée de tickets de rationnement reçus de la Préfecture de Beauvais, il nous fait timbrer toutes les feuilles de tickets avec le tampon de la mairie, élément indispensable pour déclencher la validité de ces tickets. Nous sommes volontaires, vivement encouragés, pour cette opération qui a lieu pendant la récréation des élèves. Nous sommes répartis en deux groupes. Dans chaque groupe, un élève tamponne, un autre dégage la feuille tamponnée et le troisième réparti les feuilles par paquets de 50. Nous sommes conscients de l’importance de la mission qui nous est confiée et nous nous efforçons de la remplir au mieux.
A partir de 1943, quand la résistance à l’envahisseur allemand s’est mise en place dans le village, les tickets de rationnement ont été l’objet de la convoitise des organisations de réfractaires, ces jeunes gens qui avaient quitté leurs domiciles pour échapper au travail obligatoire en Allemagne. En entrant dans la clandestinité, ils se privaient d’existence légale donc du droit aux tickets de rationnement.
Pour pouvoir disposer de ces tickets, il ne leur restait que la solution de les voler dans les mairies. C’est ainsi que le village apprit un matin, par la voix du garde champêtre précédée d’un battement de tambour, que la distribution des tickets serait différée de quelques jours suite à un vol de la livraison en mairie.
En fait deux jeunes gens du village voisin d’Andeville étaient venus en vélo à la mairie, entre 16h30 et 17h, juste avant l’ouverture de la mairie au public, avertis par le secrétaire, via ma mère, que tous les tickets étaient timbrés et qu’ils allaient être distribués à la population le lendemain. Ils sont venus, ont ligoté le secrétaire et sont repartis avec la liasse de tickets dans leurs musettes. Les gendarmes du canton Noailles sont venus enquêter pour la forme et pour satisfaire l’occupant. Eux non plus n’étaient pas dupes.
Mon école était une école comme les autres, mais c’était la mienne. Je m’y rendais avec plaisir. Elle était en face de la maison. Il n’y avait que la rue à traverser. Le maître était apprécié de la population. De temps en temps il tirait la joue ou les oreilles d’un écolier paresseux. Personne n’aurait eu l’idée de lui faire un procès pour cela !
Il faut dire qu’il connaissait tous les habitants du village, grâce à la fonction de secrétaire de mairie qu’il exerçait en plus de celle d’instituteur. Il connaissait les enfants et était au courant des besoins des parents à travers leurs visites à la mairie.
Je me souviens d’un matin, à l’école, où nous avons reçu une leçon de morale improvisée parce qu’un membre du Conseil municipal s’était plaint, auprès du maître d’école, de ne pas avoir été salué dans le village par un groupe d’écoliers qui sortaient de l’école. Heureuse époque !
De nos jours, lorsque j’entre chez un commerçant et que je dis bonjour, personne ne répond et je dois subir le regard des clients qui se tournent brusquement vers moi avec un œil surpris, sans pour autant répondre à mon salut. On en viendrait presque à s’excuser d’avoir dit bonjour !
Autre époque, autres mœurs. Je ne suis pas certain qu’elles aient évolué dans un sens satisfaisant.