Dès le XVe siècle, avec les progrès des voyages maritimes et le développement des colonies, des horizons lointains s’ouvrent pour les habitants des régions côtières, et parfois même de l’intérieur des terres. Mais bien que l’on trouve dans les archives du XVIe siècle quelques rares mentions de personnes de couleur (voir ci-dessous l’acte du Croisic), il faut attendre le siècle des Lumières pour voir « la première vague d’entrées de non-Blancs sur le sol de métropole » (cf. le livre de l’historien Erick Noël, Être noir en France au XVIIIe siècle, Paris, Tallandier, 2006)... Pierre dit Scipion fut l’un d’eux.
soussigné Pierre dit Scipion negre de le terre de congo en afrique âgé d’environ
quatorze ans appartenant à Monsieur Alexis de Raguienne. Ont été parain Messire
Pierre Grimod écuyer du fort l’un des fermiers generaux de sa Majesté dem à Panir pan de st Jean en Greve, et maraine Dame Elisabeth de Raguienne épouse de Messire prosper-andré Baüyn chevalier Seigr de Jallais et autres lieux Con(er) au parlement de Paris. Ont été présens Messire Emmanuel Ogier de la Therandiére archiprêtre de Niord en poitou, Messire françois de la Besnardaye écuyer, et Mer Loüis Bouhier de l’Ecluse Coner du Roy président au grenier à fil de chollet, Dame Catherine de Raguienne épouse de Monsieur de Raguienne de Mareüil Enseigne des vaisseaux du Roy au departement de Rochefort et plusieurs autres soussignés. Soussignés Raguienne de Jallais, grimod Dufort, Raguienne de Mareüil, Ragienne, Marie-anne de la Boüere, Jeanne de la Fresnay, Prosper de la Girardière, Rosette de Gazeau, Loüis de la Besnardaye, Augier de la Theraudiere, Bouhier de l’Ecluse et de Gazeau, de la Besnardaye, Sr Creyssel cordelier, Rassaneau et nous Doyen Rondeau doyen.
- Transcription depuis le registre des BMS 1718-1740 (collection départementale) de Jallais (49), AD du Maine-et-Loire, vue 157/233.
Notes : Qui était Pierre dit Scipion ? Nous ne savons presque rien sur lui. Ni son véritable nom de famille et ni l’identité de ses parents. Tout juste connaît-on son surnom, qu’il est originaire du Congo et qu’il est qualifié de "nègre" (au milieu du XVIIe siècle, le terme de "nègre" s’impose sur celui de "Maure"). Par ailleurs, il est indiqué que l’enfant est la propriété d’un notable Monsieur Alexis de Raguienne. S’agit-il d’un esclave ? On peut le penser, sans pour autant en être certain car, en vertu du droit métropolitain, toute personne qui foule le sol du royaume est réputée libre. Nous pouvons raisonnablement envisager qu’il était domestique au service de Monsieur de Raquienne. En effet, depuis plusieurs articles datés de 1716, la situation des esclaves débarqués en France s’est clarifiée : les colons sont désormais autorisés à amener leurs « nègres de l’un et l’autre sexe en qualité de domestiques ou autrement pour les fortifier davantage dans notre religion et pour leur faire apprendre en même temps quelque art ou métier ».
Était-il affranchi ? Difficile de répondre à la question sans faire une recherche aux archives. En effet, il est spécifié que les propriétaires ont l’obligation de faire enregistrer les permissions obtenues de leurs gouverneurs généraux ou commandants aux îles au greffe de « l’amirauté du lieu du débarquement dans la huitaine après leur arrivée en France ». Or, « c’est en cas de non-enregistrement seulement de la part de leurs maîtres que lesdits esclaves seraient libres ». De même, l’article XV accorde aussi le « statut d’homme libre aux esclaves que leurs maîtres définitivement rentrés en métropole n’auraient pas, un an après l’abandon de leur plantation ou la cessation de leur office aux îles, renvoyés aux colonies » (cf. Erick Noël, ouvrage cité ci-dessus). Dans le cas de Pierre dit Scipion, nous ne connaissons pas sa date d’entrée en métropole, mais on peut supposer qu’elle est relativement récente.
Par ailleurs, Erick Noël souligne que le baptême est généralement la première étape qui précède l’affranchissement et que c’est lors de cette cérémonie que la personne de couleur reçoit un non chrétien, mais aussi des parrain et marraine susceptibles de lui apporter un soutien moral ou matériel. Pour Scipion, c’est son parrain, le notable Pierre Grimod, qui lui donne son prénom chrétien. Dans cet acte, on remarque également la présence de nombreux témoins prestigieux, preuve sans doute d’une certaine curiosité à l’égard du jeune enfant de couleur.
Enfin, toujours grâce aux travaux de l’historien Erick Noël, nous savons que la présence de Pierre dit Scipion en France s’inscrit parfaitement dans le corpus des cas étudiés. En effet, au XVIIIe siècle, les gens de couleur recensés en France sont majoritairement des jeunes hommes, âgés de 10 à 19 ans, car les maîtres préféraient « faire venir des individus susceptibles de les servir docilement ou d’être mis en apprentissage ».
D’autres mentions de l’exotisme dans les registres :
- Le Croisic, Notre-Dame-de-Pitié (44) - Lusage, curé - AD - B 1560-1591 - Vue 363/461.
- Nantes, Saint-Léonard (44) - Cité par Alain Croix, Moi, Jean Martin, recteur de Plouvellec, Éd. Apogée, 1993.
Cet ouvrage, étude inédite, se propose de vous faire découvrir quelques-unes de ces mentions insolites et de vous en montrer la richesse historique et généalogique. Il répond à bien des questions au sujet de ces textes insolites qui parsèment les registres paroissiaux : Pourquoi certains curés notent des mentions insolites ? Que nous apprennent-elles sur la vie quotidienne de nos ancêtres ? Comment repérer, déchiffrer, transcrire et commenter ces témoignages du passé ? Comment les utiliser pour compléter notre généalogie et l’histoire de notre famille ou de notre village ?
Il s’agit du premier numéro de Théma, la nouvelle collection d’histoire et de généalogie.