Chez mon grand-père
A l’origine, compagnon charpentier, il avait été obligé de quitter le métier après un accident, mais il avait gardé une collection d’outils fabuleuse.
Il y avait aussi, pendus aux murs tout blancs du long corridor d’entrée, en souvenir de son travail de compagnon, une série de tréteaux miniatures , simples, doubles et triples , aux entretoisements plus ou moins compliqués, qui faisaient inlassablement l’objet de mon admiration.
Dans le hangar donnant sur l’allée qui conduisait au grand tilleul, au fond de la propriété, d’un côté il rangeait méticuleusement les outils de jardinage, et de l’autre, au dessus d’un grand établi, il suspendait sa panoplie impressionnante d’outils de menuisier charpentier. Chaque outil avait sa place, et, après usage, il ne la retrouvait jamais sans que mon grand père l’ait au préalable bichonné avec un chiffon imbibé d’huile de lin.
J’étais d’autant plus curieux de tout cet attirail luisant, impeccablement rangé et propre, que si j’étais admis à risquer un œil sur le pas de la porte, il m’était interdit d’entrer seul. Quelquefois, dans ses rares accès de sollicitude, il me prodiguait une leçon de chose, qui se terminait toujours par une leçon de morale ! l’outil était le compagnon fidèle de l’artisan, il fallait le respecter, le nettoyer après usage, le ranger à sa place, pour le conserver en état de fonctionnement le plus longtemps possible…
Un jour que j’étais autorisé à pénétrer plus avant dans l’atelier, je fus très intrigué de m’apercevoir qu’il y avait deux énormes pioches rangées avec les outils de menuiserie ; lui qui était si maniaque, je voyais là une anomalie et je lui en fis la remarque, il piqua d’abord une colère feinte, pour montrer qu’il ne supportait pas mon ignorance, et puis m’expliqua. Je découvris la bisaiguë.
C’est un outil de charpentier, en fer d’une seule pièce, qui se termine par un bout en ciseau à bois, et par l’autre en bédane, pour parer les mortaises. Il a l’avantage de réunir en un seul les propriétés de ces deux outils, et en outre celle du maillet que remplace le poids de l’ensemble, manœuvré par sa poignée latérale. Par sa longueur il permet de tailler debout les pièces posées à même le sol ou simplement sur chantiers et sur cales.
J’ai appris plus tard que, pour les Compagnons, la bisaiguë était un outil fondamental de la charpenterie, qui représente la rectitude dans l’effort et la dualité se fondant dans l’unité.
- La bisaiguë
- Je suis très fier d’avoir pu récupérer une bisaiguë
et de l’exposer, avec quelques bouvets de sa fabrication,
dans notre jardin d’hiver.
Chez mon oncle bourrelier sellier
Quand j’étais chez mes grands parents, nous montions souvent voir mon oncle André, dans son atelier.
Il fallait en effet monter dans le bourg, l’atelier était situé dans une légère courbe, à mi-pente de la Grande Rue qui monte vers l’église. En face il y avait une mercerie, dans l’angle d’une ruelle qui menait à la poste, et un peu plus haut une boucherie.
Du temps de mon grand oncle, Albert Cornuault, qui avait créé la bourrellerie, et que l’on aperçoit dans l’encadrement de la porte du haut, dans la photo ci-dessus, il y avait deux grandes pièces. L’atelier proprement dit où s’effectuaient la plupart des travaux de bourrellerie, et le magasin deux marches plus haut, avec une grosse machine à coudre, une grande table pour les tracés des travaux de sellerie, et des vitrines où étaient entreposés les produits finis mis en vente.
Mon oncle paternel, André Auriault, avait repris le fonds dans les années 30, et autant que je me souvienne, je n’ai pas connu les inscriptions en façade, et le magasin du haut était toujours fermé.
On pouvait entrer par la porte du couloir, au centre du bâtiment, pour se retrouver, dans une quasi obscurité, au pied de l’escalier en bois, lugubre, qui menait aux trois chambres de l’étage, et de chaque côté une porte s’ouvrait sur un des ateliers qu’il fallait traverser pour rejoindre soit la cuisine, en bas, soit la salle à manger, deux marches plus haut. Enfin la salle à manger et la cuisine donnaient sur une cour exiguë recouverte d’une tonnelle. Il y avait là, outre la table circulaire en ardoise qui occupait tout le centre, un lavabo pour faire la vaisselle, un cabanon avec des WC en bois, un escalier en pierre, très raide et profond, qui descendait dans la cave, et un escalier en bois qui montait à une mezzanine, espace réservé à la fabrication des matelas, encombré de panières à laine, à crin ou à bourre, où trônait la cardeuse à balancier.
- Etabli, à gauche, en entrant. Les outils de travail du cuir.
Prise en 1985, alors que mon oncle ne travaillait plus depuis de nombreuses années, ces photos montrent l’atelier resté en l’état, tel que je l’ai connu, enfant.
L’atelier était en fait la seule pièce de la maison relativement grande, quoique un peu sombre quand la grande porte vitrée était fermée, ce qui était rarement le cas en été. C’est là que j’ai passé des heures merveilleuses.
Assis sur mon petit banc (Je l’ai encore aujourd’hui !), que je retrouvais rangé à gauche en entrant, entouré d’outils, tous plus bizarres les uns que les autres, je regardais mon oncle travailler.
- Etabli à droite en entrant. Les outils de travail du bois, pour les colliers et autres travaux de sellerie…
Mon oncle André était bourru, mais contrairement à mon grand père il était bavard et m’expliquait tout ce qu’il faisait.
Grand et sec, très nerveux, avec son tablier à bavette de grosse toile noire fripée, renforcé de cuir sur le devant, et son inséparable béret rond vissé sur la tête, il travaillait avec des gestes rapides et précis.
Il fabriquait surtout des harnais, les vendait, les entretenait et les réparait. En fait il travaillait à la commande et raccommodait plus qu’il ne créait. Il fournissait aussi des sacoches, des sangles et des ceintures. Et hors de l’atelier, dans un local situé un peu plus bas, en retrait de la Grande Rue, il réalisait des matelas ou des capotes de carrioles, en toile de bâche ou en cuir ciré.
Les travaux de couture obéissaient à une sorte de cérémonial immuable que j’observais toujours avec la même attention.
D’abord il préparait le fil de chanvre en le torsadant. Il mesurait alors deux longueurs de cordonnet de ses deux bras étendus, et il le passait dans un petit rectangle de cuir plié en deux, qu’il avait, au préalable, rempli à demi d’un mélange visqueux de poix, de suif et de cire jaune. Le fil étant prêt, il enfilait deux aiguilles à bout rond à chaque extrémité.
Il préparait ensuite les deux pièces de cuir à coudre en les ajustant avec le couteau à pied pour qu’elles soient rigoureusement de la même taille, et il passait la griffe à molette sur la pièce supérieure pour marquer l’emplacement des trous où il passerait les aiguilles.
Il rapprochait le tabouret de l’établi et saisissait la pince à coudre. C’était une sorte d’étau bizarre, droite, toute en bois, formée de deux pièces dont l’une avait un peu plus d’un mètre de longueur et l’autre environ la moitié, réunies en bas par deux charnières faites de tenons et mortaises à même le bois. Ces deux pièces formaient une mâchoire dans le haut pour y introduire le travail.
Ce qui était encore plus bizarre était la façon de l’utiliser. Il s’asseyait sur le tabouret, mettait la pince entre ses jambes, la jambe gauche plus haute que la droite. Il engageait les lanières de cuir, sur plus de la moitié de leur largeur, dans la mâchoire, et exerçait une forte pression avec ses jambes pour les y maintenir.
Il perçait le premier trou avec l’alêne, passait une aiguille qu’il montait à bout de bras à la même hauteur que l’autre, et alors, la « machine » était lancée… Il cousait à points continus : percer avec l’alêne - passer une aiguille d’un côté - puis l’autre aiguille, dans le même trou, de l’autre côté – croiser - tirer … le geste était cadencé, énergique, ponctué d’un souffle rauque, j’avais l’impression qu’il souffrait. La pression des jambes occasionnait de la fatigue, de plus, le travail disposé ainsi le forçait à courber la poitrine, gênant la respiration.
Il s’arrêtait de temps en temps, il était fier de la régularité de ses coutures, et me prenait à témoin. Lorsque l’opération était terminée, il passait la pièce au laminoir. Il introduisait la partie piquée dans les rouleaux superposés et donnait la pression nécessaire pour boucher les trous d’alêne et unir les inégalités du cuir.
Et, satisfait, il allait boire un coup dans la cuisine !
Beaucoup plus tard, lors de mes rares visites, je lui avais plusieurs fois demandé si je pourrais un jour récupérer ses outils pour en faire une exposition, dans notre jardin d’hiver. En souvenir de toutes ces heures passées dans l’atelier et de ma curiosité renouvelée, il avait fini par m’autoriser à les récupérer lorsqu’il ne serait plus, car il tenait à rester dans son atelier, en l’état, jusqu’à son dernier jour. Ma promesse le comblait. J’ai alors pris les photos ci-dessus de son atelier, pour fixer les emplacements et mieux réaliser la reconstitution, le jour venu.
J’ai tenu parole et réalisé deux panneaux d’outils sur les murs de notre jardin d’hiver, sans pouvoir toutefois reconstituer à l’identique, mais les outils sont là.
Les outils de l’atelier
Je liste ici les outils spécifiques au travail du cuir, il y en avait quantité d’autres pour la fabrication des colliers, par exemple, mais ils m’intriguaient moins car c’était les mêmes que ceux de mon grand-père.
- Alênes
- Sortes de poinçons d’acier, de multiples formes, droits ou courbes, pour percer le cuir et faciliter le passage de l’aiguille.
- Compas à rainette
- Utilisés pour marquer un cercle dans l’épaisseur du cuir, la pointe sèche permet d’encastrer le fil de couture.
- Cornette à tracer
- Outil pour marquer le cuir
- Couteaux à pied
- C’est l’outil principal de l’ouvrier du cuir. Le saint patron des bourreliers, Crépin, l’a toujours en main. Son nom vient de l’analogie du mouvement de bascule, qu’on lui imprime pour couper correctement, avec celui du pied en marche. On l’appelle aussi couteau demi-lune.
- Couteau mécanique
- La lame est amovible et se positionne sur une verge coulissante graduée. Il est utilisé pour couper des bandes de cuir aux dimensions choisies. Avec trois lames de rechange
- Couteau à bomber/ à parer
- Pour assurer une égale épaisseur de bande de cuir, on l’introduit, préalablement mouillé, entre le guide et la lame, on règle l’épaisseur désirée avec les ailettes de serrage, puis on tire.
- Couteaux à main
- Par opposition aux couteaux à pied,
couteaux pour travailler le cuir qui prennent différentes
formes et dimensions.
- Crochets à tendre
- Se présentent sous la forme de crochets à étrier pour tendre les bandes de toile afin de les coudre.
- Emporte-pièce à enchapure
- Outils pour découper toutes sortes de formes dans le cuir. Il faut travailler sur une plaque de plomb pour éviter d’émousser les taillants.
- Emporte-pièce
- Emporte-pièce à mortaise : pour pratiquer des
ouvertures dans les harnais.
Emporte-pièce à rondelle : pour découper des
rondelles de cuir d’un diamètre constant.
- Emporte-pièce à main
- Griffe à molette
- Roulette dentelée emmanchée
pour marquer, par une suite de petits trous,
l’emplacement des points à coudre ou seulement
décorer par de fausses piqûres.
- Pince à coudre
- Marteaux
- Marteaux de sellier-harnacheur et marteaux de carrossier-garnisseur.
Marteaux de carrossier-garnisseur
- Pince à tendre
- Pour tendre les cuirs et les tissus qu’on veut clouer.
- Rainettes
- Outils à marquer le pourtour des ouvrages de cuir pour les décorer. Un grand U d’acier, dont l’écartement est réglable avec une vis, se termine sur une branche par un taillant destiné à tracer un sillon.
- Modèles de rainettes simples en buis.
- Rembourroirs
- De toutes formes et de toutes tailles, utilisés pour pousser la paille dans la verge des colliers, pour rembourrer et bien placer le crin dans les parties à garnir.
- Cardeuse
- Machine à balancier avec siège attenant. Elle peut être graduée suivant l’état de la laine, du crin ou de la bourre que l’on veut traiter. La graduation se fait par une petite mollette à cran d’arrêt, permettant de régler la hauteur d’une carde à l’autre, en graduant une ou deux fois pour arriver à un résultat sans pour cela tordre les dents. La cardeuse en bois blanc de mon oncle, à l’origine peinte en vert. Je l’ai décapée, teintée bois et installée en déco. dans la salle de séjour.
- Laminoir