Le Courrier du Havre, en date du 4 mars 1868 :
"Parmi les passagers du paquebot Saint-Laurent, venant de New-York, se trouvaient 136 Canadiens qui vont, sous le commandement du capitaine Jos. Taillefer, grossir l’armée pontificale.
Ces volontaires ont bonne mine sous leur chemise de laine grise, et se montrent fiers de la cause au service de laquelle ils se mettent avec tant de dévouement.
Le mot de dévouement n’est ici que l’exacte expression de la vérité. En effet, ces hommes, que les furibonds adversaires de la papauté s’obstinent à qualifier de mercenaires, s’équipent à leurs frais, et pendant les deux années qu’ils vont passer à Rome, ils ne coûteront rien à Pie IX.
L’intérêt particulier n’est pour rien dans leur détermination, et le sacrifice qu’ils font, bien que l’ardeur de leurs convictions le leur rende facile, n’en est pas moins très réel.
Ils savent qu’ils n’ont rien autre chose à gagner à Rome que les bénédictions du père des fidèles et l’honneur de soutenir le trône du chef de la catholicité, et pour cet honneur, pour ces bénédictions, ces soldats, parmi lesquels on compte des médecins, des avocats, des membres des familles les plus considérées du Canada français, quittent pour un temps assez long le pays où ils ont leurs affections et leurs intérêts.
Ce n’est pas d’ailleurs seulement comme défenseurs d’une cause sainte qu’ils méritent nos sympathies. En dehors même de cette considération, nous ne saurions laisser passer sans un salut cordial les fils de ceux qui, commandés par Montcalm, ont honoré le nom français sur le continent américain.
Les zouaves canadiens n’ont pas attendu, pour mettre pied à terre, que le Saint-Laurent fût entré au bassin. Ils se sont fait débarquer ce matin, et ils ont pris le train de onze heures pour se rendre à Marseille, d’où ils s’embarqueront pour l’État romain".
Le passage à Paris de cette cohorte de volontaires a également inspiré au Monde les réflexions suivantes :
"Nous avons vu passer les jeunes Canadiens qui se rendent à Rome pour la défense de l’Église catholique et du souverain pontife : d’autres, et en aussi grand nombre, sont en route pour les suivre. Qui n’admirerait ce pieux élan ? C’est l’ancienne France qui se retrouve avec son esprit de foi et ses hautes vertus. Le Canada reste fidèle à des moeurs que nous désertons chaque jour ; il n’a pas été, comme la mère-patrie, ravagé par les révolutions. La Hollande s’est particulièrement distinguée ; beaucoup de ses enfants sont tombés à Mentana. Toutes les nations concourent ainsi à la croisade. Et, quoi que fasse notre siècle, c’en est la plus grande gloire. En d’autres temps, les chrétiens ont arraché à l’islamisme le tombeau du Sauveur : ils se dévouent aujourd’hui, par le sacrifice de leur vie, à Notre-Seigneur lui-même dans la personne de son vicaire. L’intérêt de la lutte s’est accrû. Rome, plus sainte que Jérusalem, est assiégée. Nos ennemis nous font un reproche : Quoi ! vous êtes deux cent millions de catholiques, et vous n’avez pas trois cent mille hommes à envoyer au secours du saint-père ! Ils en concluent que la foi est morte : elle n’est qu’endormie. Peu importe par qui la délivrance s’opère. Dieu veille sur son Église et la soutient par des voies qui nous échappent. Les Hongrois ont proposé plusieurs escadrons à Pie IX, et l’Espagne nous remplacerait au besoin. Et la France, si les lois civiles laissaient plus d’initiative aux citoyens, croyez-vous qu’elle inonderait pas l’Italie de ses volontaires catholiques ?"
Note :
Cet épisode est à replacer dans le contexte de la formation de l’unité italienne (1859/1870). Les Mille de Giuseppe Garibaldi, qui ont envahi l’Etat pontifical le 23 octobre 1867, sont arrêtés à Mentana par l’armée française. Le Pape Pie IX obtient alors la protection des soldats français pour trois années. Les volontaires canadiens sont en route pour se joindre aux Français.